Libéralisme et lutte environnementale: comment s’en sortir?

Justin Trudeau s'est fait huer lors de la marche pour le climat du 27 septembre 2019 à Montréal. Photo: Ryan Remiorz/The Canadian Press

Le 27 septembre 2019, Montréal a accueilli plus de 450 000 personnes lors de la marche de la journée mondiale de grève pour le climat. À en entendre plusieurs, une telle mobilisation aurait dû produire des changements drastiques dans les politiques publiques. Rien de tel n’est arrivé. Quelles leçons pouvons-nous tirer des stratégies de luttes récentes pour le climat? Comment s’en inspirer pour mieux lutter en 2021?

«Faire sa part»

Les responsables des campagnes et des organisations écologistes présentent souvent le problème des changements climatiques comme une responsabilité individuelle. Moyennant une sensibilisation adéquate, les individus pourraient réduire leur empreinte écologique en faisant «leur part». Cela participerait à régler l’essentiel du problème.

Or, l’année 2020 nous a donné un aperçu réel de l’impact que peuvent avoir nos sacrifices écologiques sur l’environnement. Diminution drastique des déplacements, annulation des voyages par avion, baisse de la consommation et tant d’autres sacrifices n’auront réussi qu’à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 4 à 7%. Cette quantité est plus basse encore que le minimum requis pour limiter les changements climatiques.

«Faire pression sur le gouvernement»

Le 27 septembre 2019, Montréal a accueilli plus de 450 000 personnes lors de la marche de la journée mondiale de grève pour le climat. Photo: Radio-Canada

Au niveau politique, les organisations écologistes ont surtout une approche de lobbyistes envers les gouvernements. Faisons une action, démontrons que la population veut quelque chose et le gouvernement nous écoutera. L’objectif consiste à leur faire adopter des pratiques écologiques. Pour y parvenir, les responsables du Pacte pour la transition sont allés aussi loin qu’appuyer la candidature de Steven Guilbeault, cofondateur d’Équiterre, au sein du Parti libéral pro-hydrocarbure de Justin Trudeau. Sans résultat.

C’est précisément à cet endroit que s’est arrêtée la pensée politique des dirigeants et des dirigeantes des mouvements écologistes de masse de 2019. Au Québec, que ce soit le Pacte pour la transition, Extinction Rebellion ou la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES), tous ont comme objectif de convaincre les gouvernements d’aller dans la bonne direction.

Dans leur bilan final, les responsables du Pacte tirent leur révérence après deux années d’existence. Ils soulignent que la population est plus conscientisée que jamais. Ainsi, 85% des Québécois et des Québécoises considèrent l’urgence climatique comme un enjeu toujours important, sinon plus qu’il y a deux ans. Seulement 17% pensent que l’action des gouvernements a été suffisante. Bien que le Pacte a permis l’organisation de manifestations de masse ainsi qu’une présence plus importante de l’enjeu climatique dans le discours public, le rapport conclut avec honnêteté que les gouvernements n’ont pas livré la marchandise.

L’environnement et la crise

Les choses semblent toutefois évoluer de manière globale. En novembre dernier, l‘Agence internationale de l’énergie a publié un bulletin dans lequel elle annonce que la part de production d’électricité issue d’énergies renouvelables (éolien et solaire) dépassera celle issue du charbon en 2025. En 2020, 90% de la nouvelle production d’électricité l’a été sous forme renouvelable, contre 10% pour le gaz et le charbon. Cette marche vers un monde où la majeure partie de l’électricité générée sera renouvelable est liée à la baisse du coût de ces technologies. Elles deviennent ainsi des investissements attrayants. Or, cela n’a pas empêché la majorité des gouvernements du monde de diriger leurs investissements de relance économique 2020 vers les énergies fossiles.

Legault n’a toujours pas été convaincu

En juin dernier, le premier ministre François Legault a échoué à faire adopter son projet de loi 61 (PL61) sur la relance économique du Québec. Le PL61 offrait notamment aux entreprises des voies de contournement des lois environnementales ainsi que l’accélération de travaux autoroutiers. Tel qu’il fallait s’y attendre, le gouvernement est revenu à la charge cet automne. Il a adopté une nouvelle mouture du projet de loi reprenant en bonne partie les points qui posaient problème.

Contrairement à leur attitude du printemps, les partis d’opposition n’ont fait aucune obstruction à l’adoption du nouveau PL66. Québec solidaire s’est battu pour retirer certains aspects problématiques lors des débats parlementaires, mais sans grand succès. La direction du parti a perdu sa meilleure carte lorsqu’elle a laissé tomber sa campagne de mobilisation climatique Ultimatum 2020, au début de l’automne. L’objectif de cette campagne consistait justement à obstruer la rentrée parlementaire si la CAQ n’offrait pas un plan vert à la hauteur des attentes de QS.

Le Plan pour une économie verte dévoilé par Legault en novembre a évidemment déçu. Il ne prévoit même pas l’atteinte des objectifs québécois de réduction des émissions de GES pour 2030. De l’effort de réduction nécessaire de 29 mégatonnes de CO2, seules 12 sont chiffrées. Ce plan mise plutôt sur le développement de la filière du lithium en partenariat avec une compagnie qui pratique l’évasion fiscale, Pallinghurst. L’accent est mis sur le développement de l’automobile électrique et l’interdiction de la vente de véhicules neufs à essence dès 2035. En plus d’être une fausse bonne idée, le passage à un parc automobile 100% électrique est loin d’être une réalité. Ces véhicules très dispendieux ne représentent que 2% des véhicules en circulation. Pas surprenant que le plan vert vise aussi le développement d’autoroutes et le report de la construction du tramway de Québec.

Les limites de notre démocratie

Force est de constater qu’il n’y a pas de lien très fort entre les croyances écologistes de la population et les actions de nos gouvernements. Aux États-Unis, une étude faite à l’Université de Princeton nous apprend, sans grande surprise, que le gouvernement américain représente beaucoup plus souvent les intérêts des plus riches que ceux de la classe ouvrière. Les groupes organisés, dont les lobbyistes représentant les capitalistes, ont une grande influence sur les décisions du gouvernement. De leur côté, les groupes représentant la population ordinaire en ont peu sinon aucune.

L’analyse de l’État bourgeois et de son parlementarisme permet déjà aux marxistes de comprendre les raisons à l’origine des résultats de l’étude de Princeton. À l’époque des monarchies, les petits propriétaires capitalistes se sont rassemblés pour faire la révolution et prendre le contrôle de l’appareil d’État. Ainsi, les lois et les institutions bourgeoises représentaient mieux leurs intérêts de classe. Pour être politicien, il fallait non seulement être un homme, mais aussi un propriétaire. Notre système politique parlementaire est l’héritier direct de ce mode de fonctionnement.

Ce contrôle des gouvernements de riches pour les riches perdure aujourd’hui. Le plan de relance économique de Legault octroie encore plus facilement l’argent public aux compagnies de construction louches, tandis que la majorité des employé·es du secteur public ne peuvent même pas compter sur une augmentation salariale couvrant la hausse du coût de la vie. Pendant que des dizaines de millions de personnes ont perdu leur emploi en 2020, 45 des 50 plus grandes compagnies américaines ont continué de faire des profits.

La main invisible du marché

Peut-on s’attendre à ce que Legault oblige les compagnies privées à être à la hauteur des défis environnementaux? Prenons par exemple Shell et Exxon, deux des plus puissantes compagnies d’énergies fossiles au monde. Durant les années 80, ces compagnies ont ordonné à leurs scientifiques d’étudier les conséquences de la croissance des émissions de GES. Ces personnes en sont venues aux mêmes conclusions qu’aujourd’hui. Si nous continuons sur notre lancée, le réchauffement climatique aura des conséquences désastreuses pour la planète. Les dirigeants importants de Shell et Exxon ont eu accès à cette information des années avant qu’elle fasse partie du débat public. Bref, ils ont eu cette fameuse éducation qu’on voudrait tant donner à Legault.

En privé, aucun n’a disputé les résultats. Faisant abstraction de leur propre rôle, ces entreprises ont plutôt transposé le problème comme étant celui de l’utilisation de leurs produits par les individus et des réactions des pouvoirs publics. Le hic, c’est que Shell et Exxon ont financé des think tanks de droite pour mentir et contester le consensus scientifique sur les effets de leurs produits. Ces compagnies ont tout fait pour empêcher les gouvernements d’adopter des contrôles environnementaux qui auraient pu rectifier la situation. Et elles ont réussi pendant des décennies.

Qui dispose du pouvoir?

Le patronat a un boulot à faire : maximiser les profits de ses entreprises. L’élite politique a également le sien : organiser les meilleures conditions sociales possibles afin de permettre au patronat de maximiser ses profits. Même avec les meilleures valeurs et les meilleures idées, les individus ne réussiront pas à imposer des changements écologiques à l’ensemble de la société dans les conditions actuelles. Les travailleurs et travailleuses ont besoin de forcer le système à changer à travers des outils et des organisations de masse afin d’être en mesure de contrer la puissance de l’argent.

Ce n’est pas nous qui autorisons le suremballage de produits mis au point pour ne plus fonctionner après quelques années. Ce n’est pas nous qui décidons de laisser cours à l’exploitation polluante des mines et des forêts pour les profits des multinationales. Pourtant, les personnes qui défendent le système actuel font reposer la gestion des conséquences environnementales sur nos épaules: recyclez plus, consommez des produits locaux et moins de viande, prenez votre vélo, etc.

Ces actions ne sont pas inutiles en soi, mais ne peuvent pas changer le problème de fond: la gestion capitaliste de nos ressources. C’est pour cette raison que les stratégies visant à contrer les changements climatiques par l’éducation individuelle, les sacrifices personnels et le lobbyisme sur les gouvernements capitalistes sont des culs-de-sac. Leurs échecs peuvent entraîner le cynisme parmi les personnes prêtes à s’impliquer de bonne foi. Cependant, leurs limites peuvent aussi amener les militants et les militantes à radicaliser leurs positions politiques.

La lutte climatique sera socialiste ou ne sera pas

Pour stopper la catastrophe climatique, la jeunesse, les travailleurs et les travailleuses devront prendre le contrôle de la société. Cela implique de renvoyer les gouvernements pro-capitalistes et de révolutionner l’État. Le temps presse de nous organiser politiquement afin de s’emparer des moyens de production et de gérer l’espace dans l’intérêt de la majorité et de la nature.

La bataille pour un programme socialiste démocratique et écologique débute dans nos milieux de vie, avec les gens autour de nous. Pourquoi? Parce que toutes nos luttes ont un lien avec le contrôle et la gestion de notre environnement.

Par exemple, avec une nationalisation démocratique de l’industrie pétrolière, les travailleurs et les travailleuses pourraient reconvertir leurs activités vers les énergies renouvelables, stopper la production de plastique et créer des centres de recyclage performants. Si nous avions le contrôle démocratique sur les moyens de déplacement, gageons que la diminution des GES serait facile avec des réseaux de transport en commun efficaces, accessibles et gratuits. Si l’État nationalise l’industrie de la construction sous contrôle démocratique, gageons que la crise du logement se résorbera par la construction de logements publics, de qualité, écoénergétiques et à prix modique. Avec un réel contrôle des communautés sur nos milieux de vie, les systèmes de ventilation des CHSLD et des écoles auraient été rénovés depuis longtemps!

Ces luttes quotidiennes nous permettent de bâtir une solidarité et de nous organiser sur la base de nos besoins, pas du profit des autres. Ces leviers nous permettent de bâtir un rapport de force pour obliger les gouvernements à bouger d’ici à ce que les forces de la classe ouvrière soient assez matures pour prendre elles-mêmes les rênes du pouvoir.

Seule une planification socialiste et démocratique de la production et de la gestion des ressources est en mesure de nous sortir de la crise climatique capitaliste. Si cette perspective politique vous intéresse, considérez rejoindre Alternative socialiste!


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