Brexit : un accord sans gagnant

Quatre ans et demi après le vote de départ de l’Union européenne, un accord commercial a finalement été conclu à la onzième heure avant l’échéance du 31 décembre 2020 fixée par Boris Johnson. Le Parlement n’a eu que quelques jours pour examiner l’accord avant de le ratifier, une parodie de la narration des conservateurs de droite pour lesquels le Brexit visait à «reprendre le contrôle».

Les sondages de YouGov ont montré que la majorité des sondés désirait que l’accord soit adopté indépendamment de la façon dont ils ont voté lors du référendum ou des élections générales. Et ce en dépit du fait que très peu (17%) estimaient qu’il s’agissait d’un bon accord pour la Grande-Bretagne. Le Premier ministre Boris Johnson semble avoir espéré qu’attendre la dernière minute pour faire des concessions sur la pêche le ferait apparaître comme un héros remportant l’accord sur le fil. Si c’est effectivement le cas, la déception l’attend. On ne trouve aucune euphorie ni chez les grandes entreprises ni chez les travailleurs. Les sentiments qui dominent sont plutôt d’une part celui du soulagement que le long et fastidieux processus soit terminé et d’autre part, en raison également de la crise sanitaire, que l’incompétence des Conservateurs n’a pas de limite.

Tout cela peut se transformer en colère lorsqu’il deviendra plus clair pour un plus grand nombre de personnes que le processus est en fait loin d’être terminé! L’accord qui a été conclu est incroyablement mince, il manque de précisions sur un vaste nombre de questions. Les négociations vont probablement se poursuivre pendant des années encore. Alors que certains ont voté pour quitter l’UE en espérant moins de bureaucratie et de «paperasserie», l’accord a donné naissance à tout un réseau de groupes de travail et de comités mettre au point une multitude de détails.

Les gagnants et les perdants

Cette manière de laisser nombre d’aspects ouverts a permis de conclure l’accord. Ce dernier est suffisamment vague pour que les deux parties puisse revendiquer la victoire. Par exemple, l’une des grandes questions des négociations concernait la garantie qu’aucune partie ne puisse obtenir un avantage «injuste» en modifiant sa législation sur le travail, l’environnement ou les aides d’État. L’accord prévoit le maintien des normes existantes, mais avec le droit de diverger à l’avenir si le gouvernement britannique le souhaite (et de risquer alors de se voir imposer des droits de douane si ces divergences sont considérées comme une menace pour le marché unique de l’UE). L’UE peut donc se prévaloir d’un succès parce que la Grande-Bretagne n’a pas été autorisée à accéder au marché unique avec le droit de fixer les règles qu’elle souhaite. Mais le gouvernement Johnson peut prétendre au succès parce qu’il a obtenu le «droit» pour le Royaume-Uni de prendre ses propres décisions sur ces questions, ce qui était considéré comme politiquement vital pour apaiser de quelque manière que ce soit la base de soutien des conservateurs autour de la «souveraineté».

La réalité est à l’opposé : aucun des deux camps n’est vainqueur. L’UE est convaincue que le résultat n’a pas fait de cette sortie une perspective attrayante pour les autres États membres, mais elle est très certainement affaiblie par la perte de l’une de ses plus grandes économies et d’environ un quart des dépenses de défense de l’UE.

Du point de vue du capitalisme britannique, si la catastrophe d’une situation sans issue a été évitée, il y aura de nouvelles barrières commerciales contrairement aux déclarations de Boris Johnson. De nouveaux contrôles douaniers seront introduits et des restrictions imposées sur certains produits, tout particulièrement concernant l’alimentation. L’inévitable surcroît de bureaucratie que cela implique risque d’entraîner des problèmes logistiques, des retards, etc. mais aussi une augmentation des coûts et du temps consacrés à la paperasserie.

Toute tentative de répercuter ces coûts sur les travailleurs par des hausses de prix, des suppressions d’emplois ou des réductions de salaires doit être combattue avec acharnement par les syndicats. Il n’y a pas non plus de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles et des restrictions seront imposées aux entreprises britanniques qui vendent des services en Europe, surtout pour les services financiers de la classe capitaliste (en valeur, les services représentent 50% des exportations britanniques).

L’Irlande du Nord

L’un des changements les plus importants est la mise en œuvre du protocole sur l’Irlande du Nord. Pour éviter les implications politiques et sociales du durcissement de la frontière sur l’île d’Irlande, l’Irlande du Nord restera dans le marché unique des marchandises de l’UE, et il existe désormais une frontière réglementaire le long de la mer d’Irlande. L’assemblée d’Irlande du Nord se prononcera également tous les quatre ans sur le maintien de ces dispositions, ce qui signifiera une bataille sectaire régulière concernant la frontière irlandaise, mais aussi la perspective d’un durcissement de la frontière nord/sud à l’avenir.

Des contrôles seront effectués sur certaines marchandises circulant entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, et il est déjà signalé que certaines petites entreprises ont cessé d’approvisionner l’Irlande du Nord en raison de l’augmentation des coûts que cela représente. Si certaines industries d’Irlande du Nord peuvent bénéficier d’un accès aux deux marchés, dans d’autres, il subsiste un risque accru de suppressions d’emplois et de fermetures d’entreprises, auquel il faut résister.

Pour de nombreux travailleurs protestants d’Irlande du Nord, le nouvel arrangement ressemble à une «Irlande économique unie» et constitue une étape supplémentaire pour les pousser dans une Irlande unie dans laquelle ils seront une minorité marginalisée. La République d’Irlande a accepté de prendre en charge les coûts des étudiants d’Irlande du Nord pour maintenir l’accès au programme Erasmus et pour que les voyageurs aient accès aux services de santé européens. Bien que l’approche du DUP (Parti unioniste démocrate, en anglais Democratic Unionist Party) semble pour l’instant minimiser cet aspect, ils peuvent utiliser les nouvelles dispositions pour attiser davantage les tensions sectaires à l’avenir lorsque cela répondra à leurs besoins politiques. Une approche socialiste reposant sur la solidarité et l’unité de la classe ouvrière au-delà des clivages sectaires est essentielle.

Et maintenant?

Le refrain commun des politiciens capitalistes par-delà les clivages politiques et nationaux est de mettre Brexit derrière eux. Ce processus qui a duré des années les a encore plus exposés, eux et leur système, comme incapables de résoudre les problèmes de la masse des gens ordinaires. Comme nous l’avons souligné, les facteurs qui ont contribué à ce que de nombreuses personnes votent pour quitter l’UE en 2016 – pauvreté, travail précaire, bas salaires, services publics décimés et sentiment d’aliénation par rapport à toutes les institutions politiques – n’ont pas disparu, bien au contraire.

L’abandon de l’UE était un vote contre l’establishment, et il a plongé la classe capitaliste dans la crise, notamment en faisant tomber deux premiers ministres conservateurs. Ce fut un coup dur pour le projet néolibéral de l’Union européenne. Mais nous avons également souligné que sur la base du capitalisme, le Brexit ne résoudrait aucun de ces problèmes subjacents. La situation aurait pu être différente si Jeremy Corbyn (alors qu’il était dirigeant du Parti travailliste) et les dirigeants syndicaux avaient pris la tête d’une campagne de gauche anti-austérité pour le « leave » mais, malheureusement, ils ne l’ont pas fait.

Aucun accord élaboré par les conservateurs et d’autres politiciens capitalistes européens n’aurait jamais pu satisfaire les besoins et les désirs de la classe ouvrière. Pour cela, nous ne pouvons compter que sur la force potentielle de la classe ouvrière organisée et des mouvements de masse en Grande-Bretagne et dans le monde pour apporter un véritable changement socialiste. Sur base de l’appropriation publique démocratique de l’économie et d’une planification démocratique visant à répondre aux besoins des gens, nous pouvons construire un avenir meilleur dans lequel les peuples d’Europe et du monde peuvent être unis sur une base libre, volontaire et égale.


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Alternative Socialiste (Québec)