Quelle stratégie pour le droit à l’avortement et renverser le gouvernement?

photo : Alexey Vitvitsky / Sputnik via AFP

Malgré les menaces de répression, plus de 100 000 personnes ont pris part à une gigantesque manifestation pour le droit à l’avortement à Varsovie ce vendredi 30 octobre. Dans une incroyable atmosphère de carnaval, les slogans pour les droits reproductifs se mêlaient à ceux pour le renversement du gouvernement. Longtemps après la fin de la manifestation, les slogans se faisaient encore entendre dans les transports. La ville entière était à nous!

Face à ce mouvement massif, le parti dirigeant PiS est désemparé. Des divisions commencent à apparaître en son sein sur la façon de répondre a cette opposition massive. Ainsi, le 27 octobre, dans une allocution télévisée qui n’est pas sans rappeler la déclaration de la loi martiale par Jaruzelski en 1981, Kaczynski (vice-premier ministre) a appelé à défendre les églises contre les manifestants – c’est à dire à rejoindre les bandes fascistes qui s’étaient donné cette mission. Il a été rappelé que, sous le prétexte de la situation sanitaire, toute personne qui appelle à un rassemblement de plus de 5 personnes risque 8 ans de prison. Mais le 30 octobre, le président Duda annonçait déjà que l’avortement resterait possible dans le cas d’un fœtus non-viable.

Les menaces de répression n’ont pas réussi à intimider les manifestants, et les bandes fascistes qui ont tenté d’attaquer la manifestation varsovienne ont été insignifiantes face à cette déferlante. Et la proposition de Duda est risible comparée aux attentes du mouvement : l’avortement libre et gratuit, d’en finir avec ce gouvernement réactionnaire et qui a perdu de son autorité de par sa mauvaise gestion de la crise COVID, et la fin du pouvoir politique de l’Eglise.

La tentative par Kaczynski de jouer les gros bras l’a fait paraître encore plus faible et plus ridicule qu’avant. L’aura qu’il avait, celle d’un homme dur, maître tacticien et fin stratège, a volé en éclat. Loin d’intimider le mouvement, il l’a rendu plus fort et plus confiant – les manifestants l’ont défié et il s’est révélé impuissant.

En plus d’être dans l’impasse, le PiS perd de sa base sociale. Des manifestations ont eu lieu dans des bastions électoraux du PiS, petites villes de provinces et quartiers ouvriers où il n’y avait pas eu de manifestations depuis 30 ans. Des électeurs du PiS, qui ont voté pour lui pour ses promesses sociales, rejoignent le mouvement. Même une partie des hooligans, vivier d’extrême droite, se prononce en faveur des droits des femmes (avec une position ambiguë qui consiste à se déclarer en défense des femmes mais contre les “gauchistes”, mais cela montre tout de même un tournant).

Quelle suite pour le mouvement?

A l’heure où nous écrivons, il n’y a pas encore d’appel à une nouvelle grève des femmes comme le 28 octobre où à d’autres manifestations nationales comme le 30. OSK, la direction de facto du mouvement, appelle à organiser des blocages au niveau local. OSK a également fondé un “comité consultatif” avec différentes personnalités politiques. Cette initiative est très critiquée au sein du mouvement car la composition de ce comité n’a pas été élue mais nommée par en-haut.

Alternatywa Socjalistyczna et ROSA Polska appellent à la constitution de comités de grève démocratique au niveau local, qui pourraient ensuite se coordonner au niveau national et élire une direction du mouvement issu de celui-ci.

Un risque qui existe avec une direction auto-proclamée est que celle-ci – n’ayant pas à répondre à la base – soit très sensible aux pressions externes. Elle pourrait accepter des compromis bien en dessous des aspirations des masses et de ce qu’il est possible de gagner. Le PiS pourra se servir de cela et entamer des négociations avec cette direction, ce qui lui permettrait de limiter les dégâts pour lui-même.

Pour empêcher cela, il faut non seulement une direction qui représente réellement le mouvement, mais aussi une stratégie pour ne pas laisser le potentiel se perdre. Une grève générale, en augmentant encore le nombre qui peut se joindre aux manifestations et surtout en utilisant le levier du blocage de l’économie, serait certainement un tournant décisif pour gagner.

Malheureusement, les directions des principaux syndicats ont signé un appel au calme le jour même de la grande manifestation varsovienne, ensemble avec les patrons, au prétexte de la crise COVID. Cela ne représente pas du tout l’état d’esprit de la base de ces syndicats. Les discussions sur nos lieux de travail et avec d’autres syndicalistes montrent un large soutien de la classe ouvrière au mouvement. Il y a d’ailleurs eu des actions sur les lieux de travail, comme dans les hôpitaux ou les transports, et des déclarations de soutien de la part de syndicats de postiers, chauffeurs de taxis, mineurs… Le syndicat Août 80 a quant à lui annoncé qu’ils apporteraient un soutien à toute personne poursuivie en justice pour sa participation au mouvement, une très bonne initiative. Nous continuons à construire la pression par la base pour l’appel à une grève générale et appelons tous ceux qui nous entourent à le faire.

La popularité des slogans pour renverser le gouvernement pose une question cruciale : par quoi remplacer celui-ci? La place vacante pourrait être rapidement saisie par des politiciens de l’establishment opportunistes. Pour se maintenir au pouvoir, ils répondraient à une partie des attentes du mouvement concernant les droits reproductifs, tout en ménageant les capitalistes et la force politique que représente l’église – c’est à dire probablement avec un nouveau compromis, et sans rendre l’avortement et la contraception gratuites donc accessible à toutes.

Alternatywa Socjalistyczna et ROSA Polska défendent que le renversement du PiS ne pourra pas garantir une victoire complète et sur le long terme sans le renversement du système que le PiS protège. Nous défendons dans ce mouvement que le capitalisme est à renverser pour le remplacer par un système socialiste qui réponde aux besoins de tous et pose les bases matérielles et sociales pour assurer les pleins droits reproductifs et démocratiques.


Jeudi 5 novembre : rencontre en ligne avec une féministe de Pologne.


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