Le capitalisme néocolonial exacerbe les abus des institutions impérialistes
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a beaucoup figuré sur nos radars ces derniers temps, souvent présentée sous un jour favorable pour ses conseils d’«expert» sur la manière de faire face à la pandémie de COVID-19. Toutefois, le 29 septembre, un rapport a été publié, détaillant les abus sexuels commis par les employés de l’OMS lors de sa réponse à la crise Ebola de 2018 en République démocratique du Congo (RDC). Aux côtés de l’OMS, d’autres agences et ONG telles que ALIMA, UNICEF, IMC, World Vision, OXFAM, MSF (Médecins sans frontières) sont accusées.
Les 51 femmes interrogées ont toutes déclaré avoir subi des pressions pour avoir des relations sexuelles avec des employés de l’OMS et d’autres agences déployées dans le cadre du projet d’aide Ebola.
Près de 60 % d’entre elles ont été exploitées sexuellement par des hommes travaillant pour l’OMS. Des rapports indiquent également que des contrats de travail ont été résiliés lorsque des femmes ont refusé d’avoir des relations sexuelles avec leurs supérieurs masculins. Bien que le ministre de la santé de la RDC affirme qu’aucune plainte officielle n’a été déposée, les journalistes ont constaté que les récits étaient si nombreux et similaires que la pratique semblait être répandue et courante.
Un chauffeur pour l’une des agences d’aide a déclaré que «c’était si régulier que c’était comme si on achetait de la nourriture au supermarché». Une femme a déclaré que le sexe était devenu «un passeport» pour des emplois qui payaient des salaires beaucoup plus élevés dans une région où les emplois stables pour les femmes sont rares. «Les femmes ont déclaré que les hommes refusaient systématiquement de porter des préservatifs – à une époque où l’on décourageait les contacts physiques pour enrayer la propagation du virus mortel. Beaucoup connaissaient le nom de ces hommes».
Les actes «généralisés», une forte tendance au sein de l’ONU
Malheureusement, ces rapports ne sont pas une surprise. Les agences de l’ONU chargées du «maintien de la paix», communément appelées les «casques bleus», et de l’«aide» dans les régions les plus troublées et les plus déchirées par la guerre de notre planète sont mêlées à des scandales similaires depuis des décennies.
Pendant la guerre de Bosnie (1993-94), 47 soldats canadiens de maintien de la paix ont été accusés d’avoir abusé sexuellement d’infirmières et d’interprètes et d’avoir abusé physiquement de patients souffrant de troubles mentaux. Les abus sexuels commis par les soldats de la paix de pas moins de dix contingents internationaux en République centrafricaine en 2016 étaient si graves, y compris des soldats français utilisant de la nourriture pour attirer jusqu’à des filles seulement âgées de 9 ans pour des rapports sexuels, que le HCR lui-même a été contraint d’admettre que ces actes étaient «généralisés». Actuellement, le personnel de l’ONU dans la région ougandaise de Karamoja, frappée par la sécheresse, est accusé d’échanger de la nourriture contre des rapports sexuels dans une région où plus de 500 000 personnes sont confrontées à des pénuries alimentaires.
La réalité est plus sombre encore si l’on considère l’exploitation sexuelle des enfants.
Dans une étude des Nations unies de 1996 sur les effets des conflits armés sur les enfants, Graça Machel a indiqué que «dans 6 des 12 études nationales sur l’exploitation sexuelle des enfants dans les situations de conflit armé […] l’arrivée des troupes de maintien de la paix a été associée à une augmentation rapide de la prostitution enfantine».
En 2017, il a été rapporté que sur une période de 10 ans, plus de 100 soldats de maintien de la paix ont été impliqués dans la gestion d’un réseau de prostitution d’enfants. En 2004, Amnesty International a rapporté que des filles ont été kidnappées, torturées et forcées à se prostituer au Kosovo ; la demande d’esclaves sexuels d’enfants était alimentée par le personnel de l’OTAN et de l’ONU. Le viol systématique d’enfants locaux était utilisé comme moyen de coercition.
Conditions d’exploitation
Les Nations unies et d’autres agences d’aide à grande échelle se déploient souvent dans des régions où les populations locales sont confrontées à un grave désespoir. Englués dans des conditions de guerre civile et de pandémie, les femmes et les enfants sont généralement confrontés à une pauvreté extrême, au manque d’emplois, à des pénuries de nourriture et d’eau, à un accès insuffisant aux soins de santé, tant physiques que mentaux, et sont déracinés de leurs terres. Les forces de maintien de la paix et les organismes d’aide déployés dans le cadre de mesures provisoires et de secours entrent dans ces régions dans une position idéale pour tirer parti de la dernière chose qu’il reste à vendre pour ces femmes et ces enfants : leur corps. Les immenses disparités de pouvoir entre les forces «déployées» (d’occupation) et la population locale créent les conditions idéales pour que les abus se multiplient. En outre, les forces de maintien de la paix et les organismes d’aide sont parfaitement placés pour exploiter l’immense inégalité entre les sexes et l’oppression, telle que la marchandisation généralisée des femmes et du sexe et les niveaux élevés de violence sexiste, qui existent déjà dans ces régions.
Cependant, ce sont ces mêmes «forces de maintien de la paix» et agences d’«aide» qui sont à l’origine de l’exploitation. L’ONU reçoit la grande majorité de ses fonds de nations impérialistes telles que les États-Unis (22 %) et la Chine (12 %). Ce sont ces mêmes pays dont les gouvernements et les grandes entreprises se battent pour obtenir des ressources, des terres et une main-d’œuvre bon marché dans le monde néocolonial. L’ONU a été créée pour sauver le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale, avec des institutions financières comme le FMI et la Banque mondiale pour contrôler les anciennes colonies, et où les pays néocoloniaux sont privés de toute représentation démocratique réelle alors que les pays impérialistes jouissent d’un important droit de veto. En substance, l’ONU existe pour promouvoir les intérêts des nations impérialistes et leur poursuite de la domination économique.
La nécessité pour le système capitaliste d’augmenter constamment ses profits et d’élargir ses marchés est à l’origine de l’instabilité politique et sociale des régions «justifiant» le déploiement de l’ONU et de l’aide. La RDC et de nombreux autres pays d’Afrique sont traités comme des terrains de jeu pour les industries extractives, où la classe capitaliste mondiale peut faire avancer son idéal selon lequel la main-d’œuvre doit être libre de tout obstacle qui empêche la circulation des capitaux et des potentiels de profits. Cet idéal a non seulement entraîné des conditions proches de l’esclavage en Afrique, mais des cas importants de travail forcé, qui continuent d’être documentés.
Une question de pouvoir
L’impérialisme est un capitalisme qui s’étend sur toute la planète dans une compétition entre ses principaux États-nations et leurs classes dominantes pour les marchés, les exportations de capitaux, l’influence politique et militaire. L’ONU tente d’unifier, avec un succès toujours plus grand, la classe capitaliste des différents pays et sert de médiateur entre leurs intérêts politiques et économiques sous le voile de la diplomatie.
Cela leur permet d’affirmer collectivement leur domination sur la classe ouvrière au niveau international.
Le viol et les abus sexuels ont toujours été une question de pouvoir sur un autre être humain. Cela remonte à l’époque où les femmes et les enfants étaient considérés comme des «butins de guerre». Avant le milieu du siècle, les femmes et les enfants étaient capturés et vendus comme esclaves pour le travail et le sexe. Même dans les sociétés qui avaient aboli l’esclavage, il était considéré comme normal que les commandants des armées d’invasion victorieuses permettent à leurs soldats de «violer et piller» dans le cadre de leur rémunération pour les combats. Ces pratiques contribuaient à l’élément déshumanisant de la guerre et n’étaient pas limitées à un seul pays, mais constituaient plutôt un phénomène commun partout où des conflits violents pointaient le bout de leur nez.
Le viol systématique des femmes n’est pas seulement une caractéristique historique, mais un moyen-clé de la guerre moderne aujourd’hui – la RDC, la guerre des Balkans et la Syrie en sont des exemples bien documentés. La violence sexuelle visant spécifiquement les femmes et les enfants est une arme consciente qui déshumanise et objectifie les personnes occupées. Elle joue un rôle essentiel dans le maintien des divisions fondées sur la nationalité dans l’ensemble de la classe ouvrière et la justification d’autres formes de violence.
Dans le monde néocolonial, la misogynie toxique (préjugés ancrés contre les femmes) issue de millénaires d’oppression des femmes se mélange au racisme inventé uniquement pour justifier l’esclavage et la colonisation à la recherche de profits. L’acte même d’occupation par des forces extérieures pour maintenir la paix et/ou apporter aide et assistance fait le jeu de la fausse idée que les populations locales sont des “sauvages” incapables de résoudre ces crises elles-mêmes. Il n’est donc pas surprenant que là où des occupations de maintien de la paix ont lieu, la tendance générale soit à l’augmentation significative des actes sexuels violents. L’ONU fournit aux capitalistes le moyen de dépouiller le monde néocolonial de toutes ses richesses, et s’en sert ensuite comme justification pour envoyer des forces d’occupation “aider” les “sans défense” et “mal équipés”, tout en fermant les yeux sur la violence continue de ses forces.
Aucune justice pour les victimes
Le fait que les victimes de ces actes horribles n’aient pratiquement aucune voie vers une quelconque forme de justice n’est pas une coïncidence, mais une caractéristique du système capitaliste mondial. Les forces d’occupation de l’ONU sont immunisées contre les lois locales et il est de la responsabilité de leur pays d’origine de les «discipliner» et, en général, il est difficile de savoir quelle justice, s’il y en a une, a été rendue. Dans leur pays d’origine, les victimes sont confrontées à l’obstacle de l’instabilité due aux épidémies et aux conflits qui bloquent encore davantage l’accès à la justice.
Cela illustre parfaitement les contradictions du système juridique international libéral. Les puissances économiques peuvent dominer le monde entier sous les prétextes juridiques d’institutions comme les Nations unies et la Banque mondiale – allant jusqu’à prescrire des modifications du droit local en fonction de l’«aide» fournie – mais l’accès aux droits de l’homme et à la dignité est «sous-traité» aux autorités locales.
Les belles paroles, la reconnaissance d’actes grotesques et la promesse de faire mieux de la part des Nations unies et de leurs agences ne changeront pas grand-chose à cette question de la surexploitation des femmes et des enfants. L’ONU a été créée autour des années 1950 dans le seul but de sauver le capitalisme après que des guerres brutales aient poussé les gens ordinaires à envisager une alternative. L’exploitation est à sa racine même et, en continuant d’approuver la recherche incessante de profits dans le monde néocolonial, elle permettra la poursuite de la super-exploitation et l’intensification de l’oppression sexiste et raciste des personnes les plus vulnérables.
Quelle alternative ?
En tant qu’Alternative Socialiste Internationale, nous sommes opposés à toute implication impérialiste dans les conflits, qu’elle soit ou non sanctionnée par l’ONU. Nous nous efforçons d’exposer les illusions de l’ONU, de ses missions de «maintien de la paix» et de sa «charité» en tant que sauveurs, et nous tournons plutôt nos espoirs vers la classe ouvrière et les populations pauvres au niveau local, ainsi que vers la solidarité internationale de la classe ouvrière. À ce stade, il est crucial d’exiger la création de tribunaux indépendants dirigés par les travailleurs et les communautés pour enquêter de manière approfondie sur les abus de l’OMS et des agences d’aide en RDC, tribunaux qui auraient le pouvoir de demander des comptes aux auteurs de ces abus. En outre, toutes les victimes devraient bénéficier immédiatement de services de conseil et d’une indemnisation.
Nous pensons que la classe ouvrière et les pauvres devraient avoir le contrôle des richesses – telles que les vastes richesses minérales de la RDC – qui sont produites dans la société, et nous organisons activement des campagnes de masse dans plus de 30 pays pour la nationalisation des hauts lieux de l’économie sous contrôle des travailleurs, comme un pas vers un monde socialiste. Cette richesse peut être utilisée pour créer des systèmes de santé locaux suffisamment dotés en ressources, ainsi que des comités de maintien de la paix dirigés par les travailleurs et les communautés, comme l’exige la population dans ces conditions extrêmes.