Le Bélarus et la lutte pour la démocratie

Protestation après la fermeture des bureaux de vote lors des élections présidentielles à Minsk, en Biélorussie, en 2020 / photo : EPA-EFE/STRINGER

Au moment de la rédaction du présent rapport, les manifestations au Bélarus contre la manipulation évidente des résultats de l’élection présidentielle d’hier semblent se propager et se heurtent à une répression croissante.

À Minsk, à Brest, à Grodno et dans une douzaine d’autres villes, des milliers de personnes sont sorties dans les rues et, dans de nombreux endroits, ont construit des barricades. En réponse, le régime utilise la police antiémeute, et maintenant même les troupes antiterroristes d’élite « Almaz ».

Des vidéos montrent la police frappant violemment les manifestant·es, tandis que des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes sont largement utilisés. Beaucoup ont été blessés par des balles en caoutchouc. Hier, selon les rapports, des milliers ont été arrêté·es, dont au moins 17 journalistes, principalement russes. Dans une scène qui rappelle celles de la place Tiananmen, en Chine, un manifestant a été frappé par un fourgon de police.

Les conducteurs de Minsk roulent à travers la ville en klaxonnant pour soutenir l’opposition et, dans de nombreux cas, en essayant de bloquer la circulation pour stopper le déplacement des véhicules de police. Dans d’autres endroits, les conducteurs tournent autour des véhicules de police pour arrêter leur mouvement. Ce soir, la police antiémeute utilise des taxis et des ambulances pour entrer dans la foule de manifestants.

Les travailleurs et les travailleuses sortent

Travailleurs en grève chez BMZ

Travailleurs en grève chez BMZ

Plus important encore, les travailleurs et les travailleuses de l’usine métallurgique bélarusse (BMZ) ont déclaré une grève en disant qu’ils veulent « vivre, pas seulement exister ». Dès que l’annonce a été faite, la police antiémeute a approché l’usine et il est rapporté qu’au moins soixante travailleuses et travailleurs ont été arrêtés. Un appel a été lancé pour que les grèves se propagent.

Pendant ce temps, il vient d’être rapporté que Svetlana Tikhanovskaya, la seule candidate de l’opposition autorisée à se présenter, n’a pas été vue pendant cinq heures après sa visite à la commission électorale.

Ces protestations ont été provoquées par l’annonce d’hier qu’Alexandr Loukachenko a « gagné » 80 % des voix aux élections. Ce chiffre clairement fabriqué contraste totalement avec l’humeur de la population, de plus en plus en colère contre Loukachenko, qui est au pouvoir depuis 1994. Non seulement une crise économique dévastatrice s’est développée dans le pays, mais il est également un négationniste du virus, affirmant qu’un verre de vodka par jour gardera le virus à distance. Par conséquent, les taux d’infection sont quatre fois plus élevés par habitant qu’en Ukraine, un pays voisin.

Le vide dans l’opposition

L’opposition traditionnelle n’a pas fourni d’alternative à cette élection, affirmant qu’elle était préoccupée par la sécurité des gens pendant la pandémie. Sentant l’opposition croissante dans la société, une partie de l’élite dirigeante – un ancien ambassadeur et un banquier – ont annoncé qu’ils se présenteraient. Cela a entraîné une participation massive de personnes désireuses de signer leur déclaration de candidature. Pour éviter que ce soutien ne se transforme en votes, l’un a été arrêté, l’autre contraint à l’exil. Un troisième candidat, un blogueur bien connu, a également été arrêté. C’est sa femme, Svetlana Tikhanovskaya, qui a ensuite annoncé sa candidature.

Cette opposition accidentelle a rapidement vu des milliers de personnes se mobiliser en soutien à sa campagne, dans laquelle elle a simplement promis que si elle était élue, elle libérerait tous les prisonniers politiques et organiserait de nouvelles élections démocratiques. Loukachenko croyait qu’en tant que femme, elle était incapable d’être présidente. Mais tout indique que la population n’était pas d’accord. Lorsque les chiffres des votes des différentes stations ont été révélés, ils montrent que ce n’est pas Loukachenko qui a gagné 80 % des voix, mais Tikhanovskaya.

Une alternative de gauche est nécessaire

Sotsialisticheskaya Alternativa sur le piquet à Kiev

Sotsialisticheskaya Alternativa sur le piquet à Kiev

Le fait que la seule candidate de l’opposition ait été accidentelle, et même ceux qui étaient initialement prêts à se présenter étaient issus de l’élite dirigeante, montre qu’il est urgent de construire une véritable alternative de gauche, de la classe ouvrière, avec des comités d’action démocratiquement élus pour intervenir dans de telles manifestations avec des revendications qui reflètent les intérêts concrets des travailleuses et des travailleurs, pour les droits démocratiques et la fin du régime dictatorial, pour des salaires décents et un soutien à la gratuité des soins de santé et de l’éducation, pour un Bélarus socialiste, démocratique et indépendant. Bien sûr, la grève commencée à BMZ devrait se transformer en grève nationale dirigée par des comités de travailleuses et de travailleurs démocratiquement élus.

Telle est la leçon des événements survenus en Ukraine voisine lorsque, pendant Euromaïdan (manifestations pro-européennes en Ukraine), faute d’alternative de gauche, les véritables préoccupations des gens ordinaires ont été exploitées par l’opposition bourgeoise et l’extrême droite.

Hypocrisie impérialiste

Comme prévu, les puissances occidentales ont été promptes à critiquer publiquement le résultat des élections. Il y a quelques mois, bien sûr, l’UE (Union européenne) fermait les yeux sur l’autoritarisme de Loukachenko alors qu’elle tentait de l’éloigner de la Russie. Aujourd’hui, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, appelle simplement Minsk à « veiller à ce que les votes soient comptés et publiés avec précision ». Cela ignore, bien sûr, que tout le processus électoral a été truqué dès le début et qu’il ne peut en être autrement dans un état autoritaire antidémocratique.

Les dirigeants autoritaires d’autres pays comme la Chine et le Kazakhstan n’ont pas tardé à féliciter Loukachenko. Et bien sûr, les salutations ont été rapidement envoyées de Russie. Cependant, la réponse de la Russie semble être plus nuancée. La dernière chose que la Russie veut, c’est une répétition à sa porte de l’Euromaïdan Ukrainien, lorsque le président prorusse à Kiev a été renversé en faveur d’un gouvernement pro-UE.

Le message du Kremlin à Loukachenko attendait avec impatience la coopération au sein de « l’État de l’Union » — une continuation de l’Union de la Russie et du Bélarus. Loukachenko, depuis EuromaÏdan, a suivi une voie de plus en plus indépendante de la Russie – qui se reflète dans une certaine mesure par le nombre de journalistes russes actuellement détenu·es et par le scandale dans la période préélectorale autour de l’arrestation au Bélarus d’un groupe de mercenaires russes. Dans le parlement russe, habituellement fidèle au Kremlin, des voix se sont également élevées pour critiquer la répression de Loukachenko. Ils donnent l’impression nette que le soutien à Loukachenko sera limité – s’il n’accepte pas de revenir complètement dans l’orbite russe, le Kremlin soutiendra un autre candidat si nécessaire – peut-être Viktor Babariko, l’ancien banquier proche de la compagnie Gasprom de Russie. Pour intensifier la pression, un comité quelque peu fallacieux est apparu dans l’une des régions du Bélarus prétendant vouloir rejoindre la Russie, de la même façon qu’en Ukraine en 2014.

Sotsialisticheskaya Alternativa en Russie et en Ukraine sont, bien sûr, en pleine solidarité avec la lutte des travailleuses, des travailleurs et des jeunes bélarusses contre le régime dictatorial de Loukachenko et ont organisé des manifestations aux ambassades bélarusses à Kiev et à Moscou avec la demande de « Loukachenko doit partir – pour la démocratie, pour les travailleuses, les travailleurs et tous les opprimés ».

Rob Jones, Sotsialisticheskaya Alternativa – ISA en Russie


par
Mots clés , , , , , .