Combattre la COVID-19, c’est prendre soin du personnel de la santé!

En tant que salarié du réseau de la santé, il m’est difficile de réprimer un sourire narquois lorsque j’entends le sobriquet « d’ange gardien » de la bouche du premier ministre Legault pour nous qualifier, mes collègues et moi. Le gouvernement de la CAQ n’avait aucune considération pour nous avant la crise. Il n’en a pas davantage aujourd’hui.

Avant la crise de la COVID-19, la ministre de la Santé Danielle McCann et M. Legault n’ont pas su apporter les solutions dont le réseau de la santé avait un urgent besoin. Pourtant, les syndicats n’ont pas cessé de répéter qu’une meilleure efficacité du système de santé passait par une amélioration immédiate des salaires et des conditions de travail. Derrière son allure de bon papa, il ne faut pas se méprendre : François Legault et son gouvernement caquiste tenteront de résorber la crise sanitaire sur le dos des travailleuses et des travailleurs.

Il est vrai de dire que ce n’est pas le gouvernement, mais bien les travailleurs et les travailleuses qui nous sortiront de la crise. Il est toutefois irresponsable de laisser le personnel de la santé dans les conditions actuelles. Le faire, c’est risquer inutilement leur santé et celle de la population. Plus de 204 employé·es du réseau de la santé et des services sociaux sont atteints de la COVID-19. Attendrons-nous d’atteindre le niveau de l’Espagne – où 14 % du personnel est infecté – avant d’agir?

L’autoritarisme caquiste pour gérer la crise

Le 21 mars, la ministre McCann a déposé un arrêt ministériel qui accroît le pouvoir des administrations du réseau de la santé sous prétexte de leur permettre une plus grande latitude quant à la gestion de l’état d’urgence sanitaire. Cet arrêté donne aux gestionnaires, entre autres, la possibilité d’annuler les vacances de salarié·es, de modifier leurs horaires et de les relocaliser là où les besoins se font sentir. Comme le signale dans un communiqué Daniel Boyer, le président de la plus grosse centrale syndicale au Québec :

Pour la FTQ, il est important que les administrateurs comprennent bien qu’ils devront favoriser en tout temps le volontariat plutôt que la contrainte pour assurer le bon fonctionnement du système de santé. De son côté, le gouvernement a le devoir d’agir de façon responsable et de diffuser les bons messages aux gestionnaires pour ne pas démobiliser les travailleuses et travailleurs de la santé qui se dévouent sans relâche auprès de la population du Québec depuis le début de cette crise.

Il va sans dire que donner un pouvoir aussi arbitraire aux administrations du réseau ouvre la porte aux abus. Obliger un personnel déjà épuisé à rester sur le plancher de travail, même de manière « exceptionnelle », n’aidera pas la santé d’un réseau affaibli par des décennies d’austérité budgétaire.

Tout le monde sait que de telles mesures « temporaires », comme le travail en temps supplémentaire obligatoire (TSO), peuvent ouvrir grand la porte à l’arbitraire patronal. À ce propos, la pire disposition de l’arrêt ministériel est sûrement la possibilité de prolonger la journée régulière de travail à 12 heures, payées à taux simple. Après 12 heures, le taux horaire passe à temps et demi. Cette disposition n’apporte aucune ressource supplémentaire au réseau, si ce n’est que d’économiser sur les salaires de personnes que le gouvernement oblige à travailler plus longtemps.

C’est au personnel de la santé et à leurs syndicats de planifier quand et où les travailleuses et les travailleurs doivent rester ou revenir au travail. Les sit-in et les autres actions spontanées des infirmières montrent comment des actions militantes permettent de regagner un certain pouvoir à ce sujet.

Des dangers réels pris à la légère

Un peu partout au Québec, on assiste au laxisme d’administrations qui tardent à offrir les outils de protection nécessaires à leur personnel. Selon Radio-Canada, des employés du CHSLD Laflèche à Shawinigan affirment qu’on leur a refusé l’accès aux masques N-95, même si une préposée et un résident de l’établissement ont été déclarés positifs à la COVID-19. Une fois chez eux, les préposés ont même été rappelés au travail avant la fin de leur période d’isolement. La région de la Mauricie compte d’ailleurs sur son territoire le quart de tous les employé·es du secteur de la santé québécois infecté·es à la COVID-19.

Selon une employée de l’hôpital Jeffery Hale à Québec, quatre membres du personnel ainsi que quatre résidents ont été testés positifs au coronavirus suite à la négligence de l’administration. Malgré les craintes manifestées par le personnel, l’administration a tardé à mettre en place un contrôle des visites en plus d’avoir refusé de dépister des patients symptomatiques.

Le même type de situation s’est produit à l’hôpital Jean-Talon de Montréal, où une infirmière et au moins cinq autres personnes ont été infectées à la COVID-19. Le Devoir rapporte que selon le président par intérim du Syndicat des travailleurs du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, Alexandre Paquet, « la situation a été prise un peu trop à la légère » par la direction déjà occupée à gérer l’éclosion de COVID-19 au CHSLD de Notre-Dame-de-la-Merci.

L’hésitation des administrations à prendre les mesures de précaution nécessaire apparaît d’autant plus irresponsable que du personnel sans symptôme, comme ces médecins de l’hôpital de Verdun, peut être à l’origine de la contagion de ses collègues et bénéficiaires.

Un rationnement qui favorise la contagion

Déjà au début mars, le quotidien Le Devoir a fait remarquer que le masque N-95 valait son pesant d’or. La ministre McCann s’est faite rassurante dans ses plans de rationnement. Nous sommes loin d’une pénurie, estimait-elle. À la fin du mois, le premier ministre Legault a révélé en point de presse qu’une pénurie de matériel médical nous guettait d’ici trois à sept jours. C’est désormais la compétition entre pays pour obtenir les précieux N-95. Encore une fois, ce sont les salarié·es qui font les frais de ce type de rationnement.

Le 29 mars, une vingtaine d’employées de l’Hôtel-Dieu de Lévis, dont une enceinte, ont toutes été en contact avec une patiente infectée à la COVID-19, sans avoir pu se protéger adéquatement. Elles ont été retirées de leur milieu de travail après des protestations contre le manque d’accès à l’équipement de protection. Dans leur cas, les masques N-95 sont rationnés et tenus sous clé.

Préférant garder l’anonymat, un préposé à l’entretien ménager attitré à l’urgence de l’hôpital LaSalle nous a mentionné qu’après avoir désinfecté une dizaine de chambres, dont certaines ont accueilli des personnes infectées par le coronavirus, « le gestionnaire est sorti de son bureau pour venir nous dire qu’il a reçu une plainte parce qu’il y a trop de préposés à l’entretien ménager qui portent des masques ».

Tout ce discours visant à « prévenir les abus » cache plutôt une méthode de gestion de pénurie dangereuse pour le personnel. Il n’y aucune concession à faire avec notre santé. Réclamons l’équipement de protection individuelle requis maintenant!

Désinfecter et réutiliser des masques souillés!?

Durant le point de presse du 31 mars, la ministre McCann a demandé de désinfecter et de réutiliser les masques N-95, même si ces derniers sont conçus pour usage unique. L’Institut national de santé publique du Québec est clair dans son Avis scientifique sur le port du masque dans la communauté en situation de pandémie d’Influenza, publié en 2007. Citant Santé Canada, l’Institut mentionne que le « masque N-95 doit être remplacé au minimum chaque jour […] ou lorsque l’on quitte une zone à haut risque ». La ministre de la Santé a toutefois avoué que certains établissements les désinfectent déjà. Le CIUSSS de la Mauricie fait d’ailleurs récupérer des masques souillés de l’urgence et des soins intensifs et projette de les stériliser pour les réutiliser.

Jusqu’ici, il n’a pas été prouvé que la désinfection des masques N-95 est efficace et sécuritaire. Aucune étude scientifique ne semble confirmer l’efficacité des différentes méthodes de stérilisation. Dans un bulletin technique daté du 27 mars 2020, le fabricant de masque N-95 3M estime qu’aucune méthode de désinfection ne satisfait entièrement ses critères d’efficacité et de sécurité. Effectuer ce genre d’opération pour pallier à la pénurie risque de mettre notre santé en danger.

Face aux pénuries, nous avons le droit de savoir!

Le personnel de la santé et leurs syndicats ont le droit de connaître de manière précise l’état de la situation concernant une éventuelle pénurie de matériel médical. C’est essentiel afin de prendre les dispositions de protection nécessaires pour nous-mêmes, nos familles et la population en général.

Nous ne devons pas nous leurrer. Ce n’est pas le gouvernement caquiste qui veillera aux intérêts des « anges gardiens », ni même de la population. Dans l’immédiat, investir nos syndicats de manière militante est la meilleure façon d’établir un rapport de force pour accéder à de l’équipement de protection individuelle (EPI).

Pour éviter les pénuries, produire ici!

Si la bataille pour l’accès aux EPI est cruciale, encore faut-il exercer un pouvoir sur leur production et leur distribution. Même si la reconversion volontaire de la production de certaines compagnies ou la réouverture d’usines fermées sont des pistes qui doivent être envisagées par le gouvernement, cette perspective est trop limitée pour répondre aux besoins du réseau. La cupidité des entreprises privées prouve de manière flagrante pourquoi elles produisent: faire de l’argent sur notre dos. Les propriétaires d’usines d’EPI n’ont aucun scrupule à vendre au plus offrant ou à détourner des commandes déjà faites pour les rediriger vers le plus gros joueur.

Le premier ministre Legault a reconnu que la vente d’EPI au plus offrant implique une course contre d’autres juridictions et des paiements en argent comptant avec escorte policière. Il est inacceptable que l’approvisionnement de notre système de santé soit géré à la manière des mafias!

Plutôt que d’encourager le gouvernement fédéral à donner des milliards de dollars aux PME, nos centrales syndicales devraient plutôt défendre la seule véritable solution pour faire face aux pénuries et assurer des emplois de qualité: la planification rationnelle de la production et la nationalisation de toutes les compagnies privées liées à la santé (usines de matériel médical, cliniques, laboratoires, pharmaceutiques, agences de personnel). Avec la question des EPI vient aussi celle de la production des tests de dépistage. Et il viendra celle de la production du futur vaccin contre le coronavirus. Mieux vaut prévenir que guérir! Défendons Pharma-Québec, le projet de Québec solidaire pour la mise sur pied d’un organisme public d’achats, de production et de recherche sur les médicaments!

Une société qui répond à nos besoins

Contrairement à Hydro-Québec, par exemple, les entreprises publiques gérées démocratiquement impliquent directement les employé·es et les communautés dans la production et la distribution. Seule une telle manière de faire peut garantir les meilleures conditions de travail possible au personnel de la santé, autant en temps de crise qu’en temps normal.

La crise actuelle prouve que le libre marché est incapable de combler les vrais besoins des populations. Le capitalisme est un système malade. Nous avons besoin d’une société qui produit et distribue les moyens disponibles en fonction des besoins réels des travailleurs et des travailleuses. Nous avons besoin du socialisme démocratique afin d’offrir les meilleures conditions de vie et de travail à un maximum de personnes possible.


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