Pratiquer un syndicalisme de proximité en temps difficiles

À l’aube des négociations du secteur public qui débuteront à la fin mars, les syndicats locaux sont face à un double défi. D’une part, les membres à mobiliser travaillent dans des conditions plus dangereuses et précaires que jamais. D’autre part, les exécutifs syndicaux doivent désormais composer avec les nouvelles superstructures fusionnées, héritage de la loi 10 adoptée en 2015.

Pénible, difficile, stressant, éprouvant : voilà ce qu’on entend lorsqu’on demande aux bas salarié·es de décrire leurs conditions de travail. Le délabrement du réseau de la santé défraie les manchettes, mais rien n’y change. C’est toujours la même galère.

On n’est pas au bout de nos peines

Comme le relate Randy, préposé au service alimentaire de l’hôpital LaSalle, le manque de personnel affecte considérablement les conditions de travail : « On nous demande de faire la même quantité de tâches malgré la baisse d’effectif certaines journées ». Même son de cloche pour Dave, préposé à l’urgence. C’est tout un défi lorsqu’il manque des préposées aux bénéficiaires : « Il y a tellement de patients à l’urgence que le maintien de notre sécurité et celle des patients est difficile à assurer ».

Lorsqu’on questionne Sophie Bibeau, vice-présidente à la section locale 2881 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), elle commente : « Le manque de personnel est flagrant et je crois que cela est dû à la lourdeur de la tâche ». On apprenait par le journal LE DROIT du 13 août 2019 : « Toujours pour la période de 2015-2016 à 2018-2019, la hausse a notamment été de 20 % chez les techniciens et professionnels en santé et services sociaux, de 38 % chez le “personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métiers” (ce qui inclut les préposés aux bénéficiaires) et de 54 % pour les cadres. »

Toujours plus d’accidents

Pour ce qui est des accidents de travail, c’est nos préposées aux bénéficiaires qui remportent la triste palme du plus haut taux d’accidentées. Comme l’explique le journaliste du DEVOIR François Aubry : « Les préposées forment aussi la catégorie professionnelle la plus fragilisée en matière de santé au travail. Dans le réseau de la santé et des services sociaux, ce sont principalement elles qui subissent des blessures. Globalement, les ratios d’assurance salaire et d’accident de travail des préposées sont les plus importants dans le réseau ».

Fanny Demontigny, secrétaire générale de la section locale 2881 du SCFP, porte un jugement sévère à l’égard des administrateurs du réseau : « On dirait que les employeurs ne considèrent plus les salariés comme des humains, mais comme des robots ». Elle ajoute que nous assistons à une déshumanisation des conditions de travail.

Des gestionnaires qui sévissent

Il semblerait que malgré les conditions difficiles dans lesquelles évoluent les bas salarié·es, les gestionnaires n’hésitent pas à sévir pour la moindre infraction. Ramsès, préposée aux bénéficiaires sur l’équipe volante déplore qu’« en cas de surplus de travail, on n’apprécie pas toujours ce qu’on fait et au moindre petit pépin, c’est là que le gestionnaire voit tout le mal ». Même écho dans la cuisine où le jeune préposé au service alimentaire, Randy mentionne qu’on empêche même les salarié·es de discuter pendant qu’on travaille sur la courroie alimentaire ! « Ils sont à veille de leur acheter une muselière », rajoute à la rigolade David, préposé à l’entretien ménager.

Cette situation nous rappelle l’histoire où une préposée aux bénéficiaires a été congédiée pour avoir mangé une crème glacée appartenant à l’employeur. Pourtant, à écouter les travailleuses et les travailleurs, des « vrais problèmes » qui ont un impact sur le service donné aux usagers, « il y en a des tonnes ».

Des conditions de travail difficiles qui affectent le service

Charlotte, agente administrative, ressent bien le mécontentement de la population par rapport au service donné. Tous les jours, nous relate-t-elle, les gens sont exaspérés de la lenteur du service. Elle doit souvent leur demander poliment de baisser le ton lorsque les personnes s’adressent à elle pendant qu’elle exécute son travail.

Le 27 septembre 2018, Radio-Canada nous a appris que la famille d’une résidente du CHSLD LaSalle déposait une plainte suite à une chute. Mme Sabina Pietrzycka s’est retrouvée à l’hôpital pendant 2 jours. On y apprend que la patiente était sans surveillance et que deux préposés sur cinq étaient en congé maladie ce jour-là. Le média cite Sophie Bibeau : « L’employeur, en ce moment, pour pouvoir combler tous les trous vacants, devrait engager 1 500 personnes, ce qui n’est pas le cas. C’est la pénurie, pas seulement à Montréal, mais partout au niveau provincial ».

Ce n’était pas la première fois que le syndicat dénonce le mauvais service qu’on offre à la population. Le 16 juillet 2018, Jonathan Deschamps, président de la section locale 2881 du SCFP, s’est exprimé en entrevue à TVA Nouvelles :

Depuis 2015, notre syndicat dénonce la situation au niveau de l’entretien du matériel hospitalier. Il y a eu un plan d’intervention mis en place, mais on a beau faire les plans qu’on veut, si nous n’avons pas les effectifs et l’argent, ça reste théorique. Depuis 2015, il n’y a pas eu plus d’effectifs. On nous dit qu’il y a des difficultés de recrutement. Nos membres ont le mandat de nettoyer les civières, mais les employés font ce que l’employeur leur dit de faire. Les employés sont d’ailleurs débordés et il faut tout le temps gérer les priorités.
À la lumière de ces témoignages, serait-il possible d’affirmer que l’amélioration du service à la population passe par l’amélioration des conditions de travail ?

La recherche de l’unité syndicale

C’est ce que Fanny Demontigny, secrétaire générale, croit : « nous devons sensibiliser la société québécoise à nos problèmes. Le service de santé leur appartient, le public doit lutter à nos côtés afin d’en garantir sa pérennité ». Du côté du plancher, un certain scepticisme semble affecter l’humeur des troupes. Pour Dave, brancardier, « le syndicat, c’est important. L’équipe est là pour nous aider, mais je trouve qu’il manque d’unité entre l’équipe et les membres ». La jeune secrétaire générale répond que ce manque d’implication découle des complications organisationnelles provoquées par les fusions.

« C’est tellement gros le CIUSSS1 que cela te rend difficile d’être près de tes membres », explique-t-elle. Le consensus semble par contre se dessiner entre la base syndicale et la direction du syndicat local autour de l’idée qu’il faut trouver des moyens pour faire circuler l’information auprès des 4 000 membres du local 2881. « C’est pour quoi la section locale s’est dotée d’un agent d’information qui rentrera sous peu en fonction, nous apprend Fanny. Ce n’est pas compliqué, si on veut gagner des gains pour les bas salariés du réseau, on doit impliquer les membres à travers la mobilisation et c’est ce que va faire notre section locale avec notre futur agent ou agente d’information ».

Il est encore trop tôt pour dire si la mobilisation sera au rendez-vous. Mais les militantes et les militants du Conseil provincial des affaires sociales (CPAS)2 ne semblent pas s’être résignés à rester de simples spectateurs. Visiblement, ces syndicalistes désirent assumer un véritable leadership capable d’arracher des gains en faveur des bas salarié·es du réseau de la santé.


1 Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux
2 Le CPAS regroupe les syndicats du secteur de la santé et des services sociaux syndiqués auprès du SCFP-FTQ et représente plus de 25 000 membres.


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