Inde : Manifestations massives contre la division communautaire et grève générale

Le premier ministre indien, Narendra Modi, a fait un pas de plus pour renforcer son régime nationaliste hindou. En août 2019, il a instauré des mesures visant à abolir les droits spéciaux limités de l’Etat du Jammu-et-Cachemire, au Nord de l’Inde. Aujourd’hui, avec le Citizens Amendment Act (CAA) et le National Register of Citizens (NRC), le gouvernement entend refuser la citoyenneté indienne aux musulmans.

Le Registre national des citoyens (NRC) est l’extension d’une mesure qui existe déjà dans l’Etat du nord-est de l’Assam. Les citoyens doivent y prouver qu’eux-mêmes ou leurs ancêtres sont indiens, sinon ils sont menacés de persécution. En Assam, des centres de détention ont été construits et d’autres sont prévus pour détenir les résidents « illégaux » et des centaines de personnes ont déjà été arrêtées. Cette mesure menace la vie de centaines de milliers de personnes rien qu’en Assam : une première liste de personnes non reconnues comme « Indiens » contenait 1,9 million de noms ! Parmi ces personnes figuraient de nombreux musulmans, mais aussi des hindous.

L’extension de cette mesure à l’ensemble du pays ne touchera pas seulement les musulmans. Un autre amendement a été proposé au Parlement et accepté par celui-ci, définissant qui peut être reconnu comme citoyen indien. L’amendement à la loi de citoyenneté (CAA) stipule que les réfugiés arrivés en Inde avant 2015 en provenance des pays voisins (Pakistan, Bangladesh et Afghanistan) peuvent être reconnus, sauf s’ils sont musulmans. Les Tamouls sri-lankais, principalement hindous, sont également exclus. Ces deux mesures constituent un pas de plus vers la transformation des 200 millions de musulmans qui vivent en Inde en citoyens de seconde zone.

Avec ces mesures, Modi et son parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), intensifient leur politique nationaliste hindoue, dont ils ont besoin pour maintenir leur popularité. La croissance économique de ces dernières années n’a profité qu’à une petite couche de la société. Près de 60 % des 1,3 milliard d’Indiens vivent avec moins de 3,10 dollars par jour, le seuil de pauvreté médian de la Banque mondiale. Plus de 250 millions de personnes doivent survivre avec moins de 2 $ par jour. L’espoir qu’une forte croissance économique améliorerait les conditions sociales de la majorité de la population s’est avéré être une illusion. De plus, on constate aujourd’hui un sérieux ralentissement de la croissance. Au troisième trimestre de 2019, le PIB a augmenté de 4,5 %, le niveau le plus bas depuis 2013.

Dans ce contexte, Modi a dû mener une campagne nationaliste pour gagner les élections de mai. Il est aidé en cela par la faiblesse du principal parti d’opposition, le Parti du Congrès. Ce dernier défend la même politique économique de libéralisation et de stimulation du marché libre que le BJP, tout en n’offrant aucune réponse aux campagnes nationalistes de Modi.

Les politiques de division communautaire rencontrent cependant une opposition de masse. Des centaines de milliers de personnes ont déjà protesté contre la CAA et le NRC, les jeunes et les femmes étant au premier plan de la lutte. La veille du Nouvel An, des manifestations ont eu lieu à Delhi, Hyderabad, Mumbai et Kolkata, entre autres. Début janvier, il y avait déjà des manifestations massives avec plus de 100.000 participants à Kochi (Kerala) et Hyderabad (Andhra Pradesh), ainsi qu’une manifestation de dizaines de milliers de personnes à Bangalore, et une autre organisée par la communauté LGBTQI à Delhi.

Les autorités ont répondu par une répression de masse. Les manifestations ne sont pas autorisées ou, sous la pression, n’ont été permises qu’avec une limitation du nombre de participants. A Hyderabad, officiellement, seul un millier de personnes ont été autorisées à manifester. Des milliers de personnes ont été arrêtées, y compris dans le seul État de l’Uttar Pradesh, dans le nord du pays : 1.100 personnes, tandis que 5.558 autres ont été placées en « détention préventive ». Au moins 27 personnes ont été tuées.

Il n’y a pas que les autorités officielles qui recourent à la violence. A l’Université Jawaharlal Nehru, un bastion de longue date de la gauche à New Delhi, des voyous masqués ont attaqué des étudiants et des enseignants le 5 janvier. Les agresseurs ont crié des slogans tels que « mort aux traîtres ». Auparavant, des affrontements avaient eu lieu ici entre des étudiants de gauche et des partisans du groupe étudiant de droite Akhil Bharatiya Vidyarthi Parishad (ABVP, lié au RSS nationaliste hindou).

Le Congrès et les autres partis d’opposition soulignent que ces mesures sont « inconstitutionnelles ». Cependant, les critiques légalistes ne mettront pas fin aux mesures. Plusieurs États indiens ont annoncé qu’ils n’appliqueront pas la CAA et la NRC. Cela inclut le Kerala, dans le sud, qui est gouverné par le Parti communiste indien (M). Mais cette approche visait essentiellement à éviter la propagation des protestations dans l’État au lieu de chercher à construire un mouvement uni dans toute l’Inde. En conséquence, les mesures du gouvernement qui visent à diviser la classe ouvrière et les pauvres pourraient gagner en force à mesure que les tensions régionales à l’intérieur de l’Inde augmentent.

La seule façon d’empêcher que cela se produise est d’organiser une résistance de masse unitaire entre les différents groupes de la population. Cette unité sera d’autant plus forte qu’elle sera fondée non seulement sur le respect des origines religieuses et ethniques spécifiques de chacun, mais aussi sur des objectifs spécifiques visant à améliorer le niveau de vie de tous.

La grève générale du 8 janvier peut jouer un rôle important dans l’unification de la résistance à la politique du BJP (cet article a été initialement écrit en néerlandais le 7 janvier, NdT). Les fédérations syndicales qui appellent à la grève l’orientent à juste titre contre les politiques antisociales du gouvernement, notamment la privatisation et la destruction de la législation du travail, ainsi que contre les mesures visant à créer des divisions communales. L’appel est soutenu par des groupes d’étudiants qui protestent contre l’augmentation des frais d’inscription et contre la commercialisation de l’enseignement supérieur. Jusqu’à 250 millions de personnes devraient participer à la grève.

La lutte de masse est le seul moyen de vaincre les politiques nationalistes hindoues et anti-ouvrières de Modi et du BJP. Un programme pour changer la société est essentiel, en rejetant la politique du « moindre mal » qui laisse la grande majorité de la population sans perspective d’amélioration de ses conditions de vie. Le capitalisme ne peut rien offrir aux masses en Inde. Pour mettre fin au désespoir, à la pauvreté, à la faim et à la division, il faut combattre tout le système. La meilleure façon d’y parvenir est de mettre en place un programme de changement socialiste pour créer une société dans laquelle les travailleurs, les agriculteurs pauvres et leurs familles décident démocratiquement de la manière d’utiliser les ressources disponibles dans leur intérêt.


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