Black Friday, Boxing Day, etc.: moraliser les gens pour sauver la planète?

Pour la majorité des gens, le Black Friday, le Cyber Monday et le Boxing Day sont synonymes de rabais exceptionnels et d’économies. Cette année, plusieurs voix n’ont pas hésité à moraliser la « surconsommation » de ces journées parfois émeutières. Les personnes qui appellent à un mode de vie plus frugal et « écoresponsable » se trompent toutefois de cible en culpabilisant les victimes mêmes du système qu’elles dénoncent.

« Stimuler la consommation »

Les élites médiatiques et politiques nous rabattent sans cesse les oreilles avec l’importance de consommer. Un haut taux de consommation des ménages est un signe de vitalité pour notre économie capitaliste. Il permet d’éviter les crises économiques de surproduction, comme celle des années 1930.

Comprenons ici qu’acheter, « remplacer » et jeter rapidement sont des gestes profitables pour les entreprises. Il faut bien qu’elles liquident les biens qu’elles produisent à n’en plus finir! Pour bien faire, on nous vend maintenant des méthodes pour mieux ranger. Il paraît que ranger rend heureux. Par le fait même, on nous insuffle l’idée que trop consommer rend malheureux. Pendant ce temps, la guru du rangement, Marie Kondo, lance un site web qui permet de racheter tout ce qu’on a jeté en suivant sa propre méthode. Voilà les travailleuses et les travailleurs emprisonnés dans un engrenage sans fin où il faut à la fois consommer et ne pas consommer. C’est là que se trouve la clé du bonheur!

Une écoresponsabilité hypocrite

Cette année, on entend de nombreux messages écologistes sur les thèmes de la surconsommation et de l’obsolescence programmée. Les médias de masse publient des articles qui mettent de l’avant une consommation plus responsable ou qui font une analyse économique de nos habitudes d’achat. Il semble que les Québécois et les Québécoises achètent de plus en plus lors du Vendredi fou (Black Friday) et délaissent le Boxing day. Les organismes de bienfaisance vont jusqu’à solliciter nos dons en jouant sur la culpabilité des acheteuses et des acheteurs potentiels.

Ces campagnes partent de bonnes intentions, même si elles sont hypocrites.

Les médias de masse, dont le modèle d’affaires est basé sur la vente de publicité, profitent amplement des rabais du Vendredi fou annoncés dans leurs pages. On a beau nous dire de consommer moins, nous sommes bombardés par des publicités qui nous incitent à dépenser nos salaires et à nous endetter pour acheter toutes sortes de choses. Le vernis écologiste des entreprises « écoresponsables » dupe de moins en moins de monde.

Un pouvoir d’achat en baisse constante

Pour beaucoup de gens, les aubaines des journées de mégasoldes sont l’occasion de se procurer des objets de première nécessité. Depuis 30 ans, le pouvoir d’achat de la population diminue alors que le profit des entreprises augmente. Les gens qui travaillent au salaire minimum sont obligés d’avoir recours aux banques alimentaires pour joindre les deux bouts. Le salaire minimum actuel au Québec ne permet pas de sortir de la pauvreté, créant ainsi toute une catégorie de travailleuses et de travailleurs pauvres.

Si les gens « surconsomment » lors des journées de mégasoldes, c’est que leur pouvoir d’achat ne leur permet pas de faire autrement. Le taux d’endettement des ménages canadiens est à un taux record de 177 % et ce n’est pas à cause du Vendredi fou.

La moralisation des élites

Certaines personnes s’offriront peut-être un petit luxe en solde, chose qui serait impensable le reste de l’année. En as-tu vraiment besoin? vous demanderont les élites culturelles bien-pensantes sur un ton de reproche. Simplicité volontaire! s’écriront les médecins derrière la promotion d’un mode de vie frugal. La réalité, c’est que plus de 20 % des Québécois et des Québécoises qui travaillent gagnent un salaire sous le seuil de la pauvreté.

Culpabiliser les gens de ne pas vouloir demeurer dans une pauvreté matérielle relève d’une morale de résignation qui ne favorise que les puissants. Tout le monde devrait avoir accès à un minimum de confort dans la vie. Le système capitaliste ne le permet tout simplement pas.

Mauvaise cible

Dans la foulée des mobilisations mondiales pour climat, plusieurs groupes militants appellent au boycott des mégasoldes. Le 29 novembre dernier, le groupe Extinction Rebellion a réalisé plusieurs actions de visibilité à travers le Québec pour dénoncer la « surconsommation ». Les membres du groupe ont notamment occupé des magasins et une intersection de la rue Sainte-Catherine, à Montréal. Une friperie de fortune y était proposée comme alternative au magasinage des Fêtes pour les milliers de personnes qui passaient par là.

Si ces actions participent à sensibiliser les gens, elles ne ciblent toutefois pas les véritables responsables de la surconsommation et de la pollution qui en découle. Selon l’organisme britannique Carbon Disclosure Project, 100 entreprises sont responsables de 71 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales produites jusqu’à maintenant. Le taux de pollution causé par le transport ou la consommation des individus est nettement plus faible en comparaison.

Cette approche fait reposer la responsabilité des changements climatiques sur les épaules des individus. On demande à la population d’être écoresponsable dans ses achats alors qu’elle n’a aucun contrôle sur la production des biens qu’elle consomme. Pendant que les États-Unis se retirent des accords de Paris sur le climat, on nous fait croire que les pailles en plastique sont un problème de pollution majeur. Ce qui crée des opportunités d’affaires intéressantes pour différentes entreprises capitalistes : pailles enrobées de sucre ou pailles réutilisables vendues à prix d’or. Le capitalisme vert profite bien de la crise climatique sans nuire à la production d’énergies fossiles. Les capitalistes gagnent sur les deux plans.

S’en prendre aux grands pollueurs et à leurs gouvernements

Les petits gestes individuels, les blâmes et les autres supplications aux gouvernements capitalistes ont bien peu d’impact lorsque ces derniers sont complices des grandes entreprises polluantes. Ces gouvernements préfèrent acheter des pipelines, construire un 3e lien à Québec ou encore mettre sur pied des mesures d’« écofiscalité » qui sont, pratiquement, des seuils de pollution « acceptables » puisqu’ils rapportent de l’argent à l’État.

Le modèle de production capitaliste actuel est basé sur l’obsolescence programmée des objets, ce qui accentue l’exploitation du travail des gens ainsi que celle des ressources naturelles. Seule une économie dont la production sera planifiée démocratiquement par la population offrira les biens durables dont la population a réellement besoin. Moraliser les travailleurs et les travailleuses parce qu’elles adoptent le mode de vie capitaliste « normal » ne réglera pas les problèmes de pollution, de changements climatiques ou d’exploitation au Bangladesh.

Nous avons besoin de nous saisir des principaux leviers politiques et économiques — autant au niveau local que pancanadien — pour défendre notre droit à un environnement sain. Ça passe par l’action parlementaire autonome de notre classe sociale, tout comme l’organisation de lutte sur le terrain. Seules des actions de masse militantes basées sur la défense des intérêts des travailleurs et des travailleuses contre ceux des grandes compagnies polluantes et de leurs élites politiques nous permettront de sécuriser un tel changement de société.


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