2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution

L’année 2019 marque un tournant politique à l’échelle mondiale. Durant les derniers mois, des luttes de masse et des grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires se sont développées dans le monde entier. Elles découlent d’une colère accumulée contre les élites dirigeantes, leur néolibéralisme et le manque de démocratie. Ces protestations mettent en évidence les éléments fondamentaux de la lutte socialiste, en particulier la force de la classe ouvrière et le besoin de sa solidarité à l’échelle internationale.

En parallèle, les gouvernements, les dictateurs et les généraux ont prouvé que la classe dirigeante ne se retirera pas volontairement du pouvoir. Dans plusieurs pays, les manifestations pacifiques et la jeunesse militante ont été confrontées à une contre-révolution armée et à une répression brutale.

La plupart des gouvernements sont restés silencieux face à la violence de la contre-révolution. D’autres appellent au « calme ». Les médias parlent d’« affrontements violents » entre les forces d’État et les manifestant·es. En fait, cette « violence » découle partout d’attaques lancées par des forces étatiques contre-révolutionnaires lourdement armées, alors que les manifestant·es ne cherchent qu’à se défendre. En Bolivie, plus de 30 personnes ont été tuées par les forces de l’État au cours des dernières semaines, dont huit lors d’un massacre à El Alto le 19 novembre.

Pour l’impérialisme et les gouvernements, ces événements constituent une mise en garde face aux faiblesses de leur système mondial, le capitalisme. Cette vague de protestations de masse prend place dans un contexte de forte croissance des conflits interimpérialistes, de ralentissement probable de l’économie mondiale et d’aggravation de la crise climatique.

Les mobilisations de masse continuent de se répandre. L’Iran et la Colombie sont les lieux les plus récents où elles ont éclaté. En Iran, à la suite d’une nouvelle hausse drastique des prix du carburant, des manifestations ont eu lieu dans plus d’une centaine de villes. Les pauvres et les personnes qui travaillent ont immédiatement lié leur fardeau économique à la dictature théocratique. Le chef suprême, Ali Khamenei, est apparu à la télévision pour condamner les manifestations et défendre le fait que les revenus supplémentaires provenant du carburant seront destinés aux plus pauvres. La manœuvre n’a fait qu’augmenter la colère. Des portraits de Khamenei ont été brûlés. En Colombie, la grève générale du 21 novembre, forte de 250 000 personnes, a été suivie par d’autres manifestations contre les privatisations et les coupes budgétaires dans les pensions. L’État a répondu par un couvre-feu à Bogota et une forte présence policière.

Comparaisons avec 2011

Divers commentateurs ont fait des comparaisons avec les années 1848 et 1968, des années de luttes révolutionnaires et prérévolutionnaires qui se sont étendues à de nombreux pays. Des comparaisons ont également été faites avec l’année 2011, lorsque le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a renversé Moubarak en Égypte et Ben Ali en Tunisie. Aujourd’hui, près de neuf ans plus tard, la vague de protestations de masse a un caractère beaucoup plus mondial et comporte des revendications sociales plus explicites concernant l’emploi, l’eau, l’électricité, etc.

Sur le plan politique, les masses ont également tiré la conclusion qu’un changement de régime ne suffit pas à lui seul. Au Soudan, les leçons de l’Égypte – où une nouvelle dictature a été instaurée avec le militaire Al-Sissi à sa tête – ont conduit les masses à poursuivre leurs mobilisations après la chute d’Omar el-Bechir.

Les luttes de 2019 ont duré beaucoup plus longtemps que celles de 2011 et des dernières années. Les manifestations en Haïti ont commencé en février et celles de Hong Kong, en juin. La « révolution d’octobre » au Liban a forcé le premier ministre Saad Hariri à démissionner après deux semaines, mais se poursuit toujours. À la mi-novembre, les employé·es des banques ont été en grève illimitée, des routes ont été bloquées dans tout le pays et des bâtiments de l’État ont été bloqués par des manifestations. L’Algérie a connu des manifestations de masse tous les vendredis même après la démission de Bouteflika. Le slogan « Nouvelle Révolution » a été très utilisé.

Les jeunes et les femmes ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux cas, sans aucun doute sous l’inspiration des grèves pour le climat de la jeunesse et du mouvement mondial pour l’émancipation des femmes. 7,6 millions de personnes ont participé aux grèves pour le climat en septembre dernier. La prise de conscience sur ce thème est croissante, de même qu’au sujet de la nécessité de construire un mouvement pour obtenir un changement radical de société. Les grèves et les mouvements féministes ont également un caractère international et recourent à l’arme de la grève.

Le rapport de force a été très clair là où la classe ouvrière est entrée en action de manière décisive avec des vagues de grèves et des grèves générales. La petite élite s’est retrouvée isolée face à la majorité des travailleurs, des travailleuses et des pauvres. Cette situation souligne le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la seule force capable de réaliser une transformation socialiste de la société.

De nombreuses questions s’entrecroisent dans ces mouvements: les difficultés économiques et le manque de démocratie, l’oppression sexiste ou encore l’environnement. Le mouvement en Indonésie l’a très bien illustré à la fin du mois de septembre. Des protestations étudiantes dans plus de 300 lieux d’études supérieures ont été déclenchées par une loi interdisant les rapports sexuels hors mariage, une loi dirigée contre les personnes LGBTQ+. Immédiatement, les thèmes de la corruption et de la destruction des forêts tropicales ont été intégrés dans les mobilisations.

« Amusantes et excitantes »

Les « experts » bourgeois ont de grandes difficultés à expliquer ces mouvements. L’agence de presse Bloomberg souligne qu’il ne s’agit pas de protestations de la classe ouvrière, mais plutôt de « consommateurs » réagissant contre une hausse du coût du carburant, des taxes ou des frais de déplacement. Ils sous-estiment totalement les revendications politiques fortes de ces mouvements. Toutefois, un mouvement fort du monde du travail, organisé et unifié, reste encore à construire dans la plupart des pays.

La revue The Economist rejette l’idée selon laquelle ces mobilisations puissent être liées au néolibéralisme et aux politiques appliquées par les gouvernements. Elle défend qu’il est « inutile de rechercher un thème commun ». Elle affirme que ces mobilisations sociales peuvent être « plus excitantes et encore plus amusantes que la vie quotidienne épuisante » et avertit que « la solidarité devient une mode ». Cela n’explique rien, bien entendu. Pourquoi donc ces protestations de masse prennent-elles place précisément aujourd’hui? Pourquoi ce genre de « plaisir » n’a-t-il pas toujours été si apprécié?

En tant que marxistes, nous devons considérer et analyser à la fois les dénominateurs communs, les forces et les faiblesses de ces mouvements ainsi que les différentes forces de la contre-révolution. Des particularités nationales sont bien entendu à l’oeuvre, mais il existe également de nombreuses caractéristiques communes.

Qui a-t-il derrière cette explosion de colère ?

Il s’agit d’un tournant mondial majeur. Il a été engendré par les profondes crises politiques et économiques que subit le capitalisme, par les impasses et le déclin auquel ce système est confronté. La classe dirigeante s’appuie politiquement sur le populisme et le nationalisme de droite, dans un système économique de plus en plus parasitaire. La classe capitaliste ne dispose d’aucune issue.

Contre qui ces manifestations de masse sont-elles dirigées? Qu’est-ce qui se cache derrière cette colère explosive?

1) On constate une haine extrême des gouvernements et des partis. Au Liban, le slogan dominant est « Tout doit partir ». Contrairement au grand mouvement de 2005, cette revendication s’adresse désormais aussi au Hezbollah et à son leader, Nasrallah. En Irak, le mouvement veut interdire à tous les partis existants de se présenter aux prochaines élections, y compris le mouvement de Moqtada al-Sadr, qui a su instrumentaliser les précédentes mobilisations sociales. Les étudiant·es de Bagdad ont arboré une banderole intitulée « Pas de politique, pas de partis, ceci est un réveil étudiant ». Au Chili, les gens crient dans la rue « Que tous les voleurs s’en aillent ». L’opposition aux gouvernements s’est également manifestée en République tchèque où 300 000 personnes ont manifesté contre le président milliardaire.

2) Cette haine repose sur des décennies de néolibéralisme, de baisse des conditions de vie et d’absence de perspectives d’avenir. Le Fonds monétaire international (FMI) conseille de continuer à appliquer les recettes néolibérales en réduisant les subventions publiques, situation à l’origine des révoltes au Soudan et en Équateur. Au Liban, 50% des dépenses de l’État sont consacrées au remboursement de la dette. De nouvelles mesures d’austérité ont aussi constitué l’élément déclencheur en Haïti, au Chili, en Iran, en Ouganda et dans d’autres pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’atteigne d’autres pays tel le Nigeria. Tout cela est lié à l’augmentation extrême des inégalités, Hong Kong et le Chili étant les exemples phares.

Les grèves et les manifestations

Les luttes présentent de nombreuses caractéristiques communes et importantes.

1) Dans de nombreux pays, tout a commencé avec d’énormes manifestations pacifiques. Deux millions de personnes ont manifesté à Hong Kong en juin (sur une population totale de 7,3 millions), de même que plus d’un million au Chili et au Liban ou encore plusieurs centaines de milliers sur la place Tahrir à Bagdad. Dans la plupart des cas, ces protestations ne se sont pas limitées aux capitales ou aux grandes villes. Elles se sont étendues à des pays entiers.

2) Les grèves générales ont été décisives pour renverser des régimes ou les faire vaciller. L’année 2019 a débuté avec une grande grève générale en Inde (150 millions de personnes) et s’est poursuivie en Tunisie, au Brésil et en Argentine. Cet automne, des grèves générales ont eu lieu en Équateur, au Chili (deux fois), au Liban, en Catalogne et en Colombie. Des grèves à l’échelle de la ville ont également eu lieu à Rome et à Milan. L’Irak a connu de grandes grèves du corps enseignant, des dockers, des médecins, etc. Des bâtiments du gouvernement ont été occupés (à l’instar de la banque centrale du Liban à Beyrouth) ou incendiés dans de nombreuses villes irakiennes. Des routes ont été bloquées en Irak et au Liban, comme au Pérou, où les populations autochtones luttent pour stopper les projets miniers qui menacent l’environnement. La méthode des barrages routiers a également été utilisée par les Gilets jaunes en France.

3) De nouvelles méthodes naissent de la lutte tandis que des traits d’une nouvelle société sont esquissés. À Bagdad, la place Tahrir a repris la tradition née de l’occupation de 2011 à la place du même nom au Caire, en Égypte. Une grande tente y sert d’hôpital, des transports gratuits sont organisés autour de l’occupation et un journal est même édité quotidiennement. Des assemblées populaires ont vu le jour en Équateur et des assemblées locales ont également émergé au Chili. Au Liban, des étudiant·es ont quitté les universités pour aller enseigner dans les villes. À Hong Kong, les jeunes ont inventé un certain nombre de méthodes à utiliser dans les affrontements de rue pour faire face aux gaz lacrymogènes et à la répression.

4) La division sectaire a été surmontée par la lutte menée en commun, une caractéristique typique des luttes révolutionnaires. Au Liban, les musulman·es chiites et sunnites luttent aux côtés des chrétiens et chrétiennes. En Irak, les chiites et les sunnites se battent également ensemble, même si les mobilisations concernent encore surtout les régions chiites du pays. En Amérique latine, les organisations indigènes jouent un rôle de premier plan en Équateur, au Pérou et au Chili de même que dans la résistance au coup d’État en Bolivie.

5) L’internationalisme est présent de manière évidente dans ces mouvements. Des déclarations de solidarité ont été envoyées d’Irak vers les manifestations en Iran. En Argentine, une grande manifestation a eu lieu à Buenos Aires contre le coup d’État en Bolivie.

De premières victoires

Les mouvements ont remporté des victoires conséquentes et obtenu des concessions sérieuses. Des dictateurs de longue date ont été renversés au Soudan et en Algérie. Le gouvernement équatorien a fui la capitale. Des ministres ont démissionné au Liban, au Chili et en Irak. Au Chili, le président Piñera a d’abord affirmé que le pays était « en guerre » contre les protestations, puis a dû « s’excuser » et retirer toutes les mesures qui ont déclenché le mouvement. De même, en France, le président Macron a été contraint de revenir sur le prix du carburant et d’augmenter le salaire minimum en réponse aux protestations des Gilets jaunes. Dans la plupart des cas, ces reculs de la part des autorités n’ont pas empêché les protestations de se poursuivre.

Lutte à Hong Kong

La lutte à Hong Kong se distingue des autres à bien des égards. Nous disposons de camarades sur le terrain qui peuvent nous livrer des analyses et des informations de première main. Cette lutte a été marquée par l’incroyable détermination et le courage de la jeunesse. Or, les reculs et les concessions des gouvernements à travers le monde ne sont pas à l’ordre du jour à Hong Kong, territoire gouverné dans les faits par Beijing.

En août, nos camarades de Socialist Action ont averti de l’instauration d’un « état d’urgence rampant ». À la mi-novembre, la situation a changé lorsque le président chinois Xi Jinping a donné de nouvelles directives. Les protestations devaient cesser. Le régime espérait épuiser le mouvement et recourir ensuite à la répression (comme cela avait été le cas avec le mouvement des Parapluies en 2014). Au lieu de cela, le mouvement de protestation a plongé le pouvoir de Xi dans une nouvelle crise majeure.

La répression s’est exacerbée, avec des scènes de guerre les lundi 18 et mardi 19 novembre, lorsque la police a menacé de tirer à balle réelle. Les étudiant·es retranché·es dans les campus universitaires ont tenté de se défendre avec des cocktails Molotov et des arcs à flèches. Le mardi matin, une offensive de la police a utilisé plus de 1 500 bombes lacrymogènes. Les étudiant·es de l’université PolyTech ont été contraint·es de se rendre à la police. Plus d’un millier de jeunes ont été arrêtés. Ils risquent dix ans de prison.

Le soutien populaire impressionnant qui existe pour la lutte de la jeunesse a pris la forme de manifestations de solidarité. Il a également été illustré par la cuisante défaite subie par les partis progouvernementaux lors des élections locales des districts de Hong Kong le dimanche 24 novembre.

La lutte impressionnante menée à Hong Kong doit se poursuivre. Les tâches auxquelles le mouvement fait face sont l’organisation démocratique du mouvement, l’organisation d’une véritable grève générale et, chose décisive, l’extension du combat à la Chine continentale. La tactique des étudiant·es « Sois comme l’eau » – sans forme et sans dirigeant·es – a donné quelques avantages dans les luttes de rue. Elle a aussi permis aux jeunes de contrecarrer le blocage des libéraux pandémocrates. Or, cette approche s’est révélée incapable de porter la lutte au stade aujourd’hui nécessaire. La faiblesse des syndicats et l’absence de grève sur une longue période compliquent la situation. Politiquement, cela peut donner lieu à des illusions envers la « communauté internationale », en particulier sur le rôle de l’impérialisme américain et de Trump. Cette situation offre aussi à croire qu’une « solution propre à Hong Kong » distincte du reste de la Chine est envisageable.

Les complications de la période

La discussion sur la conscience des masses a joué un rôle important au cours des débats et de la scission qui ont eu lieu au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) cette année. La direction de notre ancienne section espagnole, qui a quitté notre internationale en avril, a sous-estimé les problèmes du faible niveau de conscience socialiste, tandis que le groupe qui est parti en juillet a surestimé ce problème. Ce dernier groupe a donc préféré se réfugier dans l’attente d’un mouvement « authentique » au lieu de vouloir intervenir dans les mouvements actuels. Comprendre le rôle décisif que joue la classe ouvrière organisée ne signifie pas ignorer les autres mouvements sociaux importants.

La conscience peut progresser par bond à partir de l’expérience acquise dans les luttes. C’est un processus qui a déjà commencé. Mais, dans l’ensemble, il manque aux luttes de masse d’aujourd’hui l’organisation et la direction nécessaires pour élaborer une stratégie de transformation socialiste de la société. Aucun parti des travailleurs et travailleuses ou de gauche capable de remplir cette tâche ne s’est développé jusqu’à présent. Les formations de gauche sont volatiles et politiquement faibles. L’exemple récent de Podemos l’illustre. Ce parti espagnol a rejoint le gouvernement dirigé par le PSOE (social-démocrate) dans l’État espagnol.

Comparer la situation actuelle avec celle de l’année 1968 montre à quel point le mouvement ouvrier – partis ouvriers et syndicats – a reculé en termes de base militante active. Toutefois, cela signifie aussi que les partis communistes staliniens et ceux de la social-démocratie disposent de moins de possibilités pour bloquer et faire dévier les luttes.

La contre-révolution

L’automne a montré que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la répression contre-révolutionnaire la plus brutale pour se maintenir au pouvoir. Bien qu’elle préfère opérer via des moyens plus pacifiques, elle est prête à recourir à la violence si nécessaire.

  • En Bolivie, un coup d’État militaire a eu lieu avec le soutien de l’impérialisme américain et du gouvernement brésilien dirigé par Bolsonaro. La nouvelle « présidente » Áñez a été « élue » par moins d’un tiers du Parlement. Les gouvernements européens ont exprimé leur « compréhension » vis-à-vis de ce coup d’État.
  • Plus de 300 personnes ont été tuées et 15 000 blessées en Irak au cours du mois dernier.
  • 285 personnes ont reçu une balle dans les yeux au Chili. En France, ce printemps, 40 personnes ont été éborgnées de la sorte.
  • En Guinée, en Afrique de l’Ouest, 5 personnes ont été tuées et 38 autres blessées lors de manifestations contre le président Alpha Condé qui se présente pour un troisième mandat. Les mobilisations se poursuivent.

Le risque d’une répression majeure par une intervention de l’armée chinoise à Hong Kong demeure, même si le danger d’un massacre similaire à celui de la place Tian’anmen en 1989 ne s’est pas encore concrétisé. Par ailleurs, le risque d’un retour du sectarisme communautaire au Liban ou en Irak constitue un réel danger.

La classe dirigeante veut aussi désarmer les mobilisations et les faire dérailler en abusant des élections ou des négociations. En Argentine, l’objectif principal des masses a été d’évincer le président Macri. La présidence de cet ancien grand espoir du capitalisme en Amérique latine a été marquée par l’arrivée d’une nouvelle grave crise financière. Les candidats péronistes, Fernandez et Fernandez-Kirchner, ont remporté les élections. Le nouveau gouvernement péroniste ne bénéficiera cependant pas d’un long répit. Comme il continuera à mettre en œuvre les politiques du FMI, la colère fera de nouveau surface.

Au Soudan, les dirigeants officiels des mobilisations ont signé un accord sur le partage du pouvoir avec l’armée en passant par dessus la tête des masses. Le pouvoir réel a été laissé au général Hemidti. Aujourd’hui, les mobilisations se développent contre cet accord et contre le pouvoir des généraux.

Au Chili, l’une des principales revendications du mouvement a été l’adoption d’une nouvelle constitution. L’actuelle date de 1980 et de la dictature de Pinochet. Or, la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire de représentant·es démocratiquement élu·es sur les lieux de travail et dans les quartiers ouvriers est tout le contraire de celle d’une assemblée comprenant le président Piñera et les partis de droite.

La classe dirigeante dispose de mille et une manières pour bloquer le développement d’une révolution. En 2011, le CIO mettait en garde contre les illusions selon lesquelles un simple « changement de régime » peut mettre fin aux luttes. En 2019, l’État, les capitalistes et l’impérialisme ont été sauvegardés. Ils ont ouvert la voie à la contre-révolution.

Cependant, les défaites du mouvement ouvrier ne durent pas aussi longtemps que durant les années 1930 ou 1970. Les manifestations de masse en Iran ont été écrasées en 2009 et de nouveau en 2017. Mais, elles sont de retour. La même chose s’est produite en Irak, au Zimbabwe et au Soudan. Les récentes protestations sociales montrent que la situation n’est également pas stable en Égypte.

Défier le pouvoir

Les grèves générales illimitées et les mouvements de masse à caractère révolutionnaire soulèvent la question du pouvoir. Quelle classe sociale devrait diriger la société?

Pendant longtemps, dans de nombreux pays, nous avons appelé à une grève générale de 24 ou 48h au lieu d’une grève générale illimitée. L’idée était de préparer la classe ouvrière. Il fallait lui permettre de sentir sa force et sa supériorité, de commencer à s’organiser, de prendre conscience de ses ennemis et de choisir des dirigeant·es adéquat·es.

La plupart des luttes actuelles sont des luttes globales qui défient immédiatement le pouvoir de la classe capitaliste. La contre-révolution se prépare elle-même pour de telles luttes, mais elle a eu des problèmes avec ses méthodes habituelles cet automne.

Il est éclairant de comparer la situation actuelle avec celle de la première révolution russe de 1905. La classe ouvrière a alors démontré sa force et le pouvoir de l’État tsariste a été suspendu dans les airs. Une confrontation finale était inévitable.

Les Libéraux et les mencheviks ont accusé les conseils ouvriers (soviets), en particulier les bolcheviks, de trop parler d’insurrection armée. Lénine a répondu : « La guerre civile est imposée à la population par le gouvernement lui-même ». Quant à lui, Trotsky a déclaré lors de sa défense devant le tribunal qui l’a inculpé suite à la révolution de 1905 : « nous nous préparions à l’insurrection inévitable. […] cela signifiait d’abord, pour nous: éclairer la conscience populaire, expliquer au peuple que le conflit était inévitable, que tout ce qu’on nous accordait nous serait bientôt enlevé, que seule la force pouvait protéger le droit, que nous avions besoin d’une puissante organisation des forces révolutionnaires, qu’il fallait opposer nos poitrines à l’ennemi, qu’il fallait être prêts à s’engager dans la lutte jusqu’au bout, qu’il n’y avait pas d’autre chemin ».

En 1905, la contre-révolution a pu prendre le dessus en raison du manque d’organisation et d’expérience des masses et de la faible la lutte dans les campagnes. Et cela, malgré la constitution de conseils ouvriers, les soviets. En décembre, après une grève générale de 150 000 personnes à Moscou, la contre-révolution l’a emporté.

L’expérience acquise durant les événements de 1905 a toutefois posé les bases de la victoire de la révolution de 1917. La situation actuelle ne laisse pas de place à de longues périodes de réaction sans lutte. La Bolivie d’aujourd’hui ne connaîtra pas le genre de période de contre-révolution qui a suivi la défaite de 1905. L’avenir y est toujours en jeu. Dans le passé, la contre-révolution y a déjà été vaincue.

Nous verrons sans aucun doute d’autres pays et régions ajouter leurs mouvements de masse à la tendance actuelle. Son impact favorisera une meilleure compréhension du fait que la lutte de masse est la seule manière d’obtenir des changements. La recherche d’une alternative au capitalisme et à la répression sera le terreau où pourront se développer des idées anticapitalistes et socialistes. Les faiblesses de la gauche et des organisations ouvrières soulignent toutefois que ce processus sera long, avec ses avancés et ses reculs.

La leçon générale est toutefois la même qu’en 1905 ou en 1968. Il est toujours nécessaire pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir politique afin de préserver les concessions qu’un mouvement de masse peut arracher ainsi que pour parvenir à un changement fondamental de la société.


Version modifiée du texte de Per-Åke W., Rättvisepartiet Socialisterna (CIO Suède)


par