France : Après le succès du 5 décembre, construire partout la grève générale reconductible

Ce jeudi 5 décembre, la première journée de grève et de manifestation contre le projet de réforme des retraites a rencontré un succès éclatant et historique. Selon les syndicats, pas moins de 1,5 million de personnes ont participé aux près de 250 cortèges dans tout le pays. A titre de comparaison, la première journée de grève et de manifestation contre le projet de loi travail en 2016 avait réuni 500.000 personnes selon les estimations des mêmes syndicats ! Une nouvelle journée de lutte a été annoncée pour ce 10 décembre tandis que la grève a été reconduite dès ce vendredi dans plusieurs secteurs et que le 12 devrait également être une nouvelle date de mobilisation générale.

Avant même que la journée du 5 ne commence, il était évident que ce mouvement allait connaître une affluence de masse. La veille, un sondage Harris Interactive pour RTL et AEF Info indiquait encore que 69% des Français soutenaient le mouvement de grève contre la réforme des retraites. L’affluence aux manifestations n’a pas démenti ces chiffres, même si de nombreux manifestants se sont rendus aux points de rendez-vous la peur au ventre après une année marquée par la violence policière et les milliers de blessés du mouvement des Gilets jaunes.

Les manifestations ont réuni des cheminots, des agents de la RATP (le service de transports en commun parisien), des travailleurs du secteur de la santé, des enseignants, des retraités, des travailleurs d’entreprises privées, des Gilets jaunes,… Les syndicats affirment que 70 % des enseignants étaient en grève, une partie d’entre eux l’ont à nouveau été le vendredi. La CGT estime à 45 % le taux de grévistes dans la seule fonction publique d’Etat. A EDF (Électricité de France), la CGT fait état de 50 % à 60 % des salariés en grève. A la SNCF, 61,4 % des cheminots étaient en grève selon la CGT, qui y a appelé à une grève illimitée aux côtés de l’UNSA-Ferroviaire et de SUD-Rail. A la RATP, dix lignes de métro sont restées fermées, plus que lors de la précédente grève, qui avait quasiment paralysé la capitale le 13 septembre. Même dans des entreprises aux traditions syndicales moins fortes, comme à Orange, les syndicats ont estimé la proportion de grévistes à 15 %, soit l’un des taux les plus élevés depuis les années 2000.

Les ports et les docks étaient également à l’arrêt tandis que des chauffeurs routiers ont organisé des opérations de blocage. Sept des huit raffineries françaises étaient en grève, du «jamais vu » selon le syndicaliste CGT Emmanuel Lépine, en comparaison des précédents mouvements dans les raffineries (2018 sur les salaires, 2016 contre la loi El Khomri, 2010 contre la réforme Sarkozy des retraites). Quatre d’entre elles étaient encore en grève le vendredi. Même la police a été touchée par la grève, alors que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait tenté de rassurer les policiers en affirmant que leur régime particulier de retraite sera « maintenu ».

Elargir la lutte

Personne ne pensait qu’une seule mobilisation, aussi impressionnante soit-elle, parviendrait à faire reculer le gouvernement. Dans plusieurs endroits, les grèves ont été reconduites (SNCF, RATP, certains enseignants,…) avant même d’attendre la réunion de l’intersyndicale CGT-FO-Solidaires-FSU et des quatre organisations de jeunesse qui se sont réunies le vendredi 6 au matin. De cette rencontre est sortie une nouvelle journée de grèves et de manifestations : ce mardi 10 décembre.

Des assemblées générales ont déjà eu lieu à différents lieux de travail, le tout est maintenant de les développer et d’ancrer le mouvement le plus fortement possible auprès des collègues, en les impliquant démocratiquement dans l’organisation de la lutte, notamment dans la reconduction de la grève.

Sur la chaîne LCI, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez expliquait : « Il faut généraliser les grèves dans toutes les entreprises (…) Il faut reconduire (la grève) jusqu’à avoir satisfaction sur le principe que cette réforme va générer de la misère et qu’il faut donc s’appuyer sur notre socle social qui est un des meilleurs au monde et l’améliorer pour les jeunes, les femmes, les précaires ».

Le spectre qui plane sur l’administration Macron est celui du mouvement de grève contre la réforme des retraites en 1995, qui avait paralysé les transports publics pendant trois semaines et qui avait bénéficié d’un soutien populaire massif, forçant le gouvernement à revenir en arrière. Il s’agissait des plus importantes grèves depuis celles de Mai 68. C’est de ce type de potentiel dont nous parlons aujourd’hui.

La puissance du mouvement actuel est telle que le parti le plus anti-grève qui soit, le Rassemblement national de Marine Lepen (ex-Front National), s’est senti obligé de soutenir le mouvement du bout des lèvres. Selon le sondage Harris Interactive dont il est question plus haut, pas moins de 75% des électeurs de Marine Le Pen soutiennent le mouvement. Cette lutte peut donc également jouer un grand rôle pour combattre l’extrême droite en soulignant ce qui unit les travailleurs quelle que soit leur religion ou la couleur de leur peau. La rhétorique de division de l’extrême droite ne tient pas face à une mobilisation sociale conséquente. Mais si le mouvement abouti à un échec ou s’il est trahis par les directions syndicales, le cynisme et la désillusion ouvriront un boulevard à l’extrême droite.

La France Insoumise et les Gilets jaunes

En France, le potentiel d’une lutte réunissant les différents mouvements sociaux contre Macron et le monde de l’argent qu’il représente n’a pas manqué d’illustrations. Déjà durant la campagne électorale, la campagne de la France Insoumise (FI) et son programme, notamment autour de la « planification écologique », avait élevé le débat sur le type de riposte nécessaire contre l’austérité et la destruction de notre environnement.

Au début de la présidence de Macron, la FI a pris de très bonnes initiatives pour appuyer la lutte syndicale et tenter d’aider à surpasser l’indécision qui régnait aux sommets syndicaux. Les directions syndicales, avec des nuances, ont hélas bloqué toute tentative allant vers un mouvement de lutte national appuyé par la grève générale. La FI a poursuivi ses initiatives, mais peut-être avec davantage d’accent sur le combat parlementaire. Avec la fin des initiatives dans la rue, et confrontés aussi à une structuration du mouvement qui ne permettait pas la meilleure implication de la base, beaucoup de partisans ont pu se demander ce qu’il leur restait à faire au-delà d’applaudir le travail des élus. C’est certain, la campagne médiatique qui s’est déchaînée contre la FI n’a pas aidé. Ces mêmes médias n’ont d’ailleurs pas manqué par la suite de s’en prendre brutalement au mouvement des Gilets Jaunes, comme c’est également chaque fois le cas quand les travailleurs relèvent la tête.

Quand le mouvement des Gilets jaunes a surgi il y a un an, il fut le plus fort là où une convergence a pu être trouvée avec le mouvement des travailleurs, en dépit des réticences de certaines directions syndicales, comme à Toulouse où le blocage a été massif à plusieurs reprises, aussi grâce au renfort des syndicats de routiers.

Aujourd’hui, alors que le mouvement des travailleurs utilise son outil de travail comme outil de combat grâce à la grève, une puissante convergence des luttes est possible autour de lui. Comme à chaque mouvement social d’ampleur, les références à Mai 68 ne manquent pas dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Au plus fort de ce véritable mois de révolution, la combinaison de la jeunesse en lutte et d’une grève générale forte de 10 millions de travailleurs a failli renverser le système. La colère sociale atteint actuellement un point d’ébullition similaire à celui de l’époque. Avec un tel type de lutte, une véritable grève générale reconductible reposant sur des assemblées des travailleurs et de la jeunesse en lutte, nous pourrions arracher nos revendications.

C’est tout le système qui doit dégager !

La productivité au travail a grandement augmenté ces dernières décennies : nous produisons plus, avec moins de travailleurs. Il est faux de dire que les retraites sont impayables : il n’y a jamais eu autant de richesses qu’aujourd’hui. Il y a non seulement moyen de payer nos retraites, mais aussi de répondre aux nombreuses pénuries qui font craquer la société de partout.

Les assemblées locales de travailleurs et de jeunes (sur les lieux de travail, dans les quartiers,…) peuvent non seulement permettre de démocratiquement décider de la reconduction de la grève et des mesures qui s’imposent pour la renforcer, mais aussi débattre collectivement de l’élaboration d’un cahier de revendications plus large tel que celui-ci :

  • La baisse immédiate et le blocage des prix de l’essence et de l’énergie ;
  • Des revenus pour vivre, pas pour survivre : augmentation des salaires et des allocations sociales et leur indexation sur les prix, y compris du carburant ;
  • Une sécurité d’emploi avec de vrais contrats de travail à durée indéterminée ;
  • C’est au chômage qu’il faut s’en prendre, pas aux chômeurs : réduction du temps de travail à 32 heures par semaine sans perte de salaire et avec embauche compensatoire ;
  • Mettre les besoins au centre de la politique : transports publics gratuits et non polluants, services publics (notamment de proximité : crèches, écoles, maternités, bureaux de poste, logements publics sociaux, …) ;
  • La (re)mise en place de l’impôt sur la fortune, la lutte contre l’évasion fiscale par les ultra-riches et les multinationales, y compris par la réquisition sous contrôle démocratique des entreprises, la fin des taxes indirectes (TVA, etc.) remplacées par une imposition forte des riches et des grandes entreprises ;
  • Un grand service public environnemental pour créer des centaines de milliers d’emplois nécessaires à la transition énergétique et écologique (agriculture écologique, alimentation en circuits courts, énergies renouvelables,…) ;

Réaliser un tel programme nécessite des mesures réellement socialistes telles que la nationalisation et l’unification de tous le secteur financier dans un service national d’investissement et de financement sous contrôle démocratique de la collectivité, de même que la nationalisation des secteurs-clés de l’économie afin que les grandes entreprises ne puissent continuer à saboter la transition écologique et que la planification démocratique et écologique, basée sur les besoins y compris écologiques, devienne possible.

Si la France se soulève aujourd’hui, elle est loin d’être la seule. Depuis les premiers pas de la révolte des Gilets jaunes, le développement des luttes de masse et des grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires fut puissant à travers le monde. Et la liste des pays aux prises avec un soulèvement de masse n’est pas encore terminée. Engageons-nous avec confiance dans cette nouvelle ère de lutte avec l’ambition de conduire les travailleurs et les masses à renverser le système d’exploitation capitaliste pour que l’humanité toute entière puisse accéder à une véritable émancipation au travers de la construction d’une société socialiste démocratique.

Nicolas Croes, Parti Socialiste de Lutte (CIO en Belgique)


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