Europe de l’Est, 1989 : Des mouvements révolutionnaires aux conséquences contre-révolutionnaires

Le 13 septembre 1989, un gouvernement dirigé par le syndicat Solidarnosc est arrivé au pouvoir en Pologne : le premier gouvernement ‘‘non-communiste’’ de l’ancien bloc soviétique depuis 1948. Deux mois plus tard, le mur de Berlin s’effondrait. Même si l’année 1989 s’est terminée par l’exécution télévisée et en direct du dictateur roumain Nicolae Ceauşescu et de son épouse Elena, les événements spectaculaires de cette année 1989 ont inspiré la classe ouvrière du monde entier, du moins à cette époque.

En deux ans à peine, l’ex-Allemagne de l’Est (RDA) a été rattachée à la République fédérale d’Allemagne (RFA), la Yougoslavie s’est retrouvée divisée et, après l’échec du coup d’Etat d’août 1991, l’Union soviétique s’est écroulée. Le capitalisme fut restauré dans toute la région. La guerre froide prit fin avec l’effondrement du Pacte de Varsovie, le bloc militaire mis en place contre l’impérialisme américain. Pour le philosophe bourgeois Francis Fukuyama, c’était la ‘‘fin de l’histoire’’.

La catastrophe après 1989

Ces mouvements de masse espéraient que la vie s’améliorerait en étant débarrassés des horribles bureaucraties staliniennes. Mais la décennie suivante a une connu dépression économique plus terrible encore que celle des années 1930. L’économie auparavant bureaucratiquement planifiée fut remplacée par le chaos du marché libre. Selon la Banque mondiale – l’un des principaux architectes de la transition – le PIB d’Europe centrale et orientale a chuté de 15% entre 1989 et 2000 et de 40% dans l’ancienne URSS. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue est passé de 4% à 20%.

Des guerres ont éclaté en Europe et en Asie centrale pour la première fois depuis 1945. En ex-Yougoslavie, en raison de la lutte pour la partition du pays entre les nouvelles élites et les puissances impérialistes, les conflits ethniques ont coûté la vie à 140.000 personnes et en ont déplacé 4 millions. Au moins 150.000 personnes sont mortes dans les deux guerres russo-tchétchènes et 60.000 autres dans la guerre civile tadjike. Les conflits en Moldavie, en Géorgie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et à l’est de l’Ukraine attendent toujours leur résolution à l’heure actuelle.

Les racines du stalinisme

Les dirigeants soviétiques autour de Staline et puis de ses successeurs, dont le prétendu réformateur Khrouchtchev, étaient très éloignés des idéaux de Lénine, Trotsky et des bolcheviks en 1917. La Révolution russe visait à construire une véritable société démocratique et socialiste où les ressources du pays seraient collectives, la production et la distribution étant planifiées par des comités ouvriers démocratiquement élus. Les bolcheviks étaient internationalistes et avaient garanti le droit à l’autodétermination des nations de l’ancien empire russe, tout en préconisant une fédération volontaire d’États socialistes. Les bolcheviks étaient convaincus que la nouvelle république ouvrière ne pourrait survivre et se développer vers le socialisme que si des révolutions émergeaient dans des pays plus développés.

La vague révolutionnaire qui a mis fin à la première guerre mondiale et à la monarchie allemande, qui a donné naissance aux républiques soviétiques de Hongrie et de Bavière ainsi qu’à des soviets en Autriche et en Tchécoslovaquie a malheureusement échoué. La nouvelle république russe fut attaquée par 15 armées impérialistes venues au secours des armées blanches russes réactionnaires. Nombre des meilleurs ouvriers révolutionnaires impliqués dans les combats y ont trouvé la mort. D’autres ont dû quitter les usines pour gérer le nouvel État. A la fin de la guerre civile, la Russie révolutionnaire était épuisée, détruite et isolée.

Une couche de bureaucrates, dont beaucoup s’étaient initialement opposés à la révolution, a vu sa position renforcée par l’absence de révolution internationale et s’est trouvé un dirigeant en la personne de Joseph Staline. Cette couche a usurpé le pouvoir politique à la classe ouvrière. Elle a consolidé son pouvoir au travers d’une véritable nouvelle guerre civile avec arrestations massives, terreur de masse et exécution d’anciens bolcheviks. L’internationalisme a été remplacé par l’idéologie du ‘‘socialisme dans un seul pays’’. Cette contre-révolution politique a établi un appareil d’État bureaucratique par lequel de nombreux éléments de la société tsariste et même capitaliste supervisaient l’économie planifiée nationalisée. Comme Trotsky l’a déclaré, la restauration d’une véritable démocratie soviétique ne nécessitait pas une révolution sociale pour changer la base économique de la société, mais une révolution politique pour renverser la bureaucratie.

Le stalinisme se répand en Europe de l’Est

En dépit de l’incompétence de la bureaucratie stalinienne, l’Union soviétique est sortie victorieuse de la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’économie planifiée ainsi qu’à la détermination du peuple soviétique. L’Europe de l’Est, dont une partie de l’Allemagne, était contrôlée par l’armée soviétique. Au fur et à mesure de la progression de cette dernière, les anciens États bourgeois s’effondraient et un mouvement révolutionnaire émergeait, surtout en Tchécoslovaquie. Staline entendait toutefois maintenir le capitalisme dans la région en y plaçant des régimes fantoches en guise de tampons entre l’Est et l’Ouest. Ce projet était intenable. Craignant le développement de républiques socialistes indépendantes et leur impact sur l’idée du ‘‘socialisme dans un seul pays’’, l’armée soviétique a dissous les mouvements révolutionnaires. L’économie bureaucratiquement planifiée a été étendue à toute la région. Alors que la révolution russe avait connu une dégénérescence bureaucratique, les nouveaux régimes en Europe de l’Est étaient bureaucratiquement déformés dès l’origine.

L’économie planifiée a souffert d’une terrible gestion bureaucratique et de gaspillage mais, pendant un certain temps, elle s’est avérée être plus efficace que celle du marché occidentale. L’économie soviétique s’est développée pour quasiment atteindre les conditions de vie occidentales dans les années 1970. Dans les économies dévastées d’Europe de l’Est, la croissance par habitant au cours des 20 années qui ont suivi la guerre a été environ 2,4 fois plus élevée que dans l’ensemble de l’Europe capitaliste.

Cela explique en grande partie pourquoi les soulèvements de RDA (1953) et de Hongrie (1956), n’avaient pas de caractère antisocialiste mais se concentraient sur le retrait de l’armée soviétique et le remplacement du totalitarisme bureaucratique par la démocratie ouvrière.
Quand Staline est arrivé au pouvoir, la bureaucratie comptait quelques centaines de milliers de personnes. Dans les années 80, elle était devenue un monstre de 20 millions de personnes. Les richesses de la société étaient gaspillées non seulement par le vol et la corruption, mais aussi par l’incompétence bureaucratique qui a entraîné la perte de près de 30% de la production industrielle et agricole. Il fallait graisser la patte de quelqu’un même pour être enterré. Au sommet régnait une petite élite au style de vie particulièrement luxueux, illustrée par la passion de Leonid Brejnev pour les voitures de luxe.

Le Printemps de Prague

La situation était plus difficile en Europe de l’Est. Les staliniens exigeaient d’énormes réparations de guerre. D’autre part, le régime soviétique priorisait le développement de l’industrie lourde, en particulier dans le secteur de la défense, au détriment des biens de consommation.

Des déséquilibres sont apparus et ont surtout touché la Tchécoslovaquie, dont l’économie industrielle était relativement développée avant-guerre. En 1953, Moscou a ordonné la dévaluation de la monnaie, ce qui a réduit le niveau de vie de 11%. L’économie a eu du mal à croître se développer la décennie suivante. Lorsqu’Alexander Dubcek est devenu premier secrétaire du Parti communiste tchèque, il a lancé un programme visant à libéraliser l’économie et à introduire des droits démocratiques limités : le ‘‘socialisme à visage humain’’, dont l’écho a été illustré par le Printemps de Prague en 1968.

Dans un premier temps, le Kremlin, la résidence des dirigeants d’Union soviétique, a tenté de persuader Dubcek d’abandonner ces réformes. Sous la pression des Etats staliniens voisins, en août : le Printemps de Prague fut écrasé par les chars soviétiques.
Solidarnosc

Dans la Pologne voisine, la flambée des prix rendait la vie difficile. Le mécontentement a été violemment réprimé en 1976. Mais des cercles d’opposition clandestins ont constitué un nouveau syndicat indépendant. Les grèves du chantier naval ‘‘Lénine’’ de Gdansk, en 1980, ont donné naissance au syndicat Solidarnosc. L’année suivante, il a organisé avec succès une grève générale de quatre heures avec 14 millions de grévistes, dont de nombreux communistes ordinaires. En décembre 1981, l’état de siège était déclaré.

Solidarnosc a été créé pour défendre le droit des travailleurs à s’organiser contre la hausse des prix, pour des salaires décents et, dans une large mesure, contre la bureaucratie polonaise. Stimulé par la longue histoire d’oppression tsariste de la Pologne, Solidarnosc a également fait campagne contre la présence soviétique. Mais l’influence des intellectuels autour du groupe ‘‘KOR’’ et de l’Eglise catholique, dont le dirigeant syndical, Lech Walesa, a poussé le syndicat non seulement dans une direction antistalinienne, mais aussi de plus en plus antisocialiste en général.

Ce n’était pas inévitable. Lors du premier congrès de Solidarnosc, avant la déclaration de l’état de siège, le syndicat se considérait comme un instrument de négociation pour obtenir des concessions du gouvernement. Il y a même été suggéré que les affiliés travaillent volontairement le samedi pour aider le pays à sortir de la crise économique. Une minorité radicale, autour de 40% des délégués, affirmait que ‘‘l’autonomie des travailleurs sera la base d’une république autonome’’, chose reprise dans le programme de Solidarnosc.

L’autogestion proposée par ce groupe, qui se voulait radicale, a ouvert la voie à des entreprises économiquement indépendantes et ouvertes au marché. En fin de compte, cela aurait conduit à la restauration du capitalisme, comme ce fut le cas en Yougoslavie. La minorité radicale n’a pas proposé de programme pour faire face à la bureaucratie stalinienne.

Le général Jaruzelski, qui a déclaré la loi martiale, a ensuite affirmé que le Kremlin ne voulait pas l’aider et que les Etats-Unis soutenaient sa prise de pouvoir. Son problème était que le vent du changement soufflait sur l’Union soviétique. A la mort de Brejnev, en 1982, le président du KGB Youri Andropov lui succéda. Selon lui, un changement était nécessaire pour maintenir le pouvoir de la bureaucratie soviétique. Son règne de courte durée, suivi de celui encore plus court de Viktor Tchernenko, a ouvert la voie à Mikhaïl Gorbatchev en 1985.
En Pologne, Jaruzelski a entamé un dialogue avec Solidarnosc. Au fil du temps, les radicaux avait été isolés et remplacés par des partisans déclarés du capitalisme. En 1988, Margaret Thatcher s’est rendue à Gdansk pour discuter d’abord avec la direction communiste et ensuite avec Solidarnosc. À peine dix mois plus tard, des élections libres eurent lieu, remportées de manière éclatante par Solidarnosc.

Les origines des conflits ethniques

En Yougoslavie, après avoir affronté Staline en 1948, Tito avait maintenu la bureaucratie au pouvoir tout en entretenant une certaine indépendance vis-à-vis de Moscou. Tito a utilisé son autorité de dirigeant de la résistance durant la Seconde Guerre mondiale et est parvenu à instaurer un équilibre entre les sept nations de Yougoslavie, notamment grâce à la forte croissance de l’économie. A sa mort en 1980, le modèle du ‘‘socialisme de marché’’ reposant sur ‘‘l’autogestion’’ faisait face à une dette extérieure croissante et à un taux de chômage de 20%. L’aide du FMI était conditionnée à l’instauration de ‘‘réformes’’ destinées à ouvrir l’économie à l’Occident.

Le mécontentement grondait. Le nouveau dirigeant serbe, Slobodan Milosevic, a alors tenté de renforcer la domination serbe et s’est heurté à une résistance farouche de la part des dirigeants des autres républiques, qui voulaient récupérer leur part du gâteau alors que le pays s’effondrait. Lorsque Milosevic a tenté d’abolir l’autonomie kosovare en Serbie, les mineurs kosovars se sont mis en grève. C’était la base des conflits ethniques des années ‘90.

La ‘‘Perestrojka’’ et la ‘‘Glasnost’’ sèment le chaos

Face à la crise de l’Union soviétique, Gorbatchev représentait les bureaucrates qui voulaient donner un nouveau souffle à l’économie. Il a commencé par interdire l’alcool, mesure qui a entraîne une pénurie de sucre due à la distillation illégale. Ensuite, son programme de réforme de glasnost (ouverture) et de perestroïka (reconstruction) a conduit au chaos économique. Constatant la crise de l’élite dirigeante, les masses soviétiques ont gagné la confiance de s’exprimer. Elles avaient été tenues à l’écart de la politique pendant soixante ans, leur retour sur la scène fut d’abord prudent, mais ensuite explosif.

La contestation concernait souvent l’environnement. L’air de nombreuses villes était tellement pollué que l’espérance de vie y avait chuté. Le lac Baïkal et la mer Caspienne étaient pollués par les déchets industriels. La mer d’Aral en Asie centrale, autrefois le quatrième plus grand lac du monde, était pratiquement asséché en raison de la culture intensive de coton en Ouzbékistan.

La question nationale était une autre source de mécontentement. Lorsque les bolcheviks sont arrivés au pouvoir en 1917, leur approche à l’égard des minorités nationales était très sophistiquée et sensible. Le gouvernement capitaliste provisoire au pouvoir en Russie de février à octobre 1917 avait promis la liberté aux minorités nationales, sans tenir ses promesses. Les bolcheviks, par contre, ont mis moins d’une semaine pour reconnaître le droit de la Finlande à l’indépendance. Cela a rapidement été suivi du soutien à l’indépendance de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Lituanie, de l’Estonie, de la Transcaucasie, du Bélarus, de la Pologne et de la Lettonie. Mais sous Staline et ses successeurs, tout était décidé dans l’intérêt de la bureaucratie d’Etat centralisée.

Les frustrations refoulées ont été libérées lorsque les minorités nationales se sont débattues pour échapper à la répression et au centralisme. Alors que les masses luttaient pour la libération nationale, une grande partie de l’élite dirigeante, sentant approcher la fin de l’Union soviétique, a joué la carte nationaliste pour instrumentaliser cette aspiration à l’émancipation nationale.

Un sanglant avertissement concernant les événements ultérieurs a vu le jour en 1988. Pour mettre fin à un mouvement de masse en faveur du transfert du Haut-Karabakh de l’Azerbaïdjan à l’Arménie, le parti communiste a organisé un pogrom sanglant : des centaines d’Arméniens ont été tués. Le conflit ethnique qui en a résulté a duré des années et n’est toujours pas résolue.

La chute du Mur de Berlin

Les événements d’Europe de l’Est ont accéléré l’évolution de la situation en Union soviétique, ce qui a à son tour accéléré les processus ailleurs. Quand les Allemands de l’Est ont constaté l’essor du débat public à Moscou, auquel s’opposaient les dirigeants de la RDA, et que les gouvernements hongrois et tchécoslovaque ont décidé d’autoriser les voyages en Europe occidentale, des manifestations ont eu lieu chaque semaine, culminant en novembre avec un défilé d’un million de personnes à Berlin-Est.

Il n’y avait au début aucun désir de réunification avec l’Allemagne de l’Ouest capitaliste. Les revendications des manifestants étaient : ‘‘élections libres, médias libres, liberté de circulation et socialisme démocratique’’. Aucune force organisée n’a cependant réellement répondu à ces exigences. La bourgeoisie ouest-allemande a saisi l’occasion de réunifier le pays sous son contrôle. Après la chute du mur de Berlin, une ‘‘thérapie de choc’’ a été appliquée avec la réintroduction rapide et brutale du capitalisme.

Les grèves des mineurs en Union soviétique

Le glas du régime soviétique a sonné en juillet 1989, lorsqu’une grève massive a éclaté dans les mines de charbon de Kouzbass en Sibérie, dans le Donbass en Ukraine, à Vorkouta dans le cercle polaire et à Karaganda dans la steppe du Kazakhstan.

L’élite dirigeante prétendait que l’Union soviétique était une ‘‘société socialiste développée’’ dirigée dans l’intérêt de la classe ouvrière. La réalité était bien différente. Beaucoup de travailleurs connaissaient de terribles conditions de vie et de travail. Les mineurs de Sibérie et du cercle polaire arctique avaient des salaires relativement élevés, mais il n’y avait rien à quoi dépenser son argent. Il n’était pas rare que plusieurs familles vivent ensemble dans des baraquements de bois datant d’avant la révolution !

Lorsqu’est survenue une pénurie de savon et de rasoirs, la colère a éclaté. Des centaines de milliers de mineurs se sont mis en grève et ont exigé de meilleures conditions de vie et moins de bureaucratie. Les grévistes étaient confrontés à un choix. S’ils avaient disposé de leur propre parti politique, ils auraient pu renverser la bureaucratie pour construire une société véritablement socialiste, c’est-à-dire contrôlée et administrée par les travailleurs eux-mêmes, à tous les niveaux. Cela aurait pu conduire à la liberté syndicale et politique, à la liberté de circulation et à la liberté de manifester. Le droit à l’autodétermination aurait pu conduire à une véritable union d’États socialistes libres et égaux. Les ressources libérées par la fin du gaspillage et de la surconsommation bureaucratiques auraient considérablement amélioré les conditions de vie des travailleurs.

Mais les travailleurs n’étaient pas politiquement préparés. De plus, une couche croissante de la bureaucratie ourdissait ses propres plans. Les dirigeants du parti enviaient le style de vie occidental, très certainement la jeunesse privilégiée et les membres du KGB qui importaient chez eux la mode occidentale et écoutaient de la musique importée. Beaucoup de ces bureaucrates parasitaires, en voyant le système étouffer, espéraient que le capitalisme leur sauverait la peau.

Ils préconisaient de plus en plus de réformes orientées vers le marché capitaliste. Pour restaurer ‘‘une société civilisée’’, selon eux, l’industrie devait passer aux mains du privé… les leurs de préférence ! La classe ouvrière s’est retrouvée sans alternative, ces idées ont donc pu gagner du terrain dans toute la société.

La ‘‘perestroïka’’ de Gorbatchev visait à réduire le gaspillage et la mauvaise gestion de la bureaucratie sans pour autant qu’elle ne perde le pouvoir : les réformes d’en haut visaient à empêcher la révolution d’en bas. Cela a toutefois ouvert une brèche pour la restauration capitaliste en Union soviétique et en Europe de l’Est.

Inspiration et déception

Tous ceux qui ont participé à ces événements ont dû être impressionnés par la détermination et l’initiative de ceux qui se sont battus pour une société meilleure. Les travailleurs de Budapest qui n’ont eu besoin que de quelques jours pour organiser un système politique national basé sur des conseils ouvriers élus et un parlement ouvrier. Ceux qui ont changé les panneaux de signalisation pour confondre les chars soviétiques qui ont envahi la Tchécoslovaquie. Ces femmes polonaises qui ont organisé la résistance clandestine pendant l’état de siège. Ces ingénieux ouvriers berlinois qui n’avaient pas d’imprimante et ont transformé une vieille machine à laver. Ces Azerbaïdjanais du Haut-Karabakh qui ont caché leurs voisins arméniens des pogroms inspirés par les staliniens. Ces mineurs sibériens qui se sont mis en grève et ont pris le contrôle de leurs villes. La liste est sans fin.

Il est également frappant de constater la rapidité avec laquelle les événements se sont déroulés, souvent causés par des questions apparemment innocentes, que ce soit la construction d’une nouvelle mine de phosphate ou la manipulation des élections locales, la dévastation causée par un séisme ou le manque de savon dans les douches. Boris Popovkin, un mineur de Vorkuta (et plus tard membre du Comité pour une Internationale Ouvrière), a démontré la nécessité d’une action décisive en juillet 1989 lorsqu’il a convaincu ses collègues ouvriers, lors d’une réunion de masse, de rejeter la proposition de compromis du comité de grève. Il a averti que ‘‘les tactiques de compromis ne mènent jamais au succès’’. Le mouvement s’est développé à partir de là et, en deux ans, il a fait tomber la toute-puissante bureaucratie stalinienne.

Au fur et à mesure que les événements se déroulent à un rythme rapide, la conscience fait de même. Mais comme le montrent les événements de 1989, il y a une lutte idéologique pour la direction politique du mouvement. Ce qui a commencé comme un mouvement potentiellement révolutionnaire contre le stalinisme en Europe de l’Est a finalement conduit au transfert du pouvoir aux contre-révolutionnaires. Si les travailleurs ne veulent pas que les forces de classe hostiles l’emportent, ils doivent créer leur propre alternative politique : un parti avec un programme socialiste. Le travail de construction d’une telle alternative ne peut être reporté jusqu’au début du mouvement. Nous devons nous y atteler dès maintenant.

Les événements de 1989 ont illustré la force de la classe ouvrière organisée. Il nous incombe maintenant de veiller à ce que la prochaine fois, nous soyons prêts à canaliser cette énergie pour créer une société socialiste véritablement démocratique et internationaliste.

Analyse de Rob Jones – Sotsialisticheskaya Alternativa (Russie)


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