Restriction de l’immigration : Encore plus difficile de travailler au Québec

À la fin juillet, le regroupement citoyen TRès Inclusif de Trois-Rivières a organisé une manifestation dans le but de faire barrage à une marche ultranationaliste organisée dans les rues de la ville par la Vague bleue. Sous le thème Sauvons le Québec! Le Québec en premier!, les personnes ayant marché avec la Vague bleue ont voulu soutenir publiquement le gouvernement de la CAQ dans son projet de « laïcité » et son désir de restreindre l’immigration au Québec. L’agenda nationaliste et conservateur est à la fois inquiétant pour les travailleuses et travailleurs du Québec ainsi que pour les personnes issues de l’immigration.

Peu avant le début de la marche, ALTERNATIVE SOCIALISTE a rencontré un travailleur d’origine française, Pierre, qui vit désormais au Québec. Son parcours mérite l’attention. Il nous raconte comment les nouvelles démarches d’études et de travail imposées par le gouvernement aux personnes immigrées mettent en jeu son avenir au Québec.

ALTERNATIVE SOCIALISTE : Bonjour Pierre, depuis combien de temps es-tu au Québec et quels étaient tes objectifs et tes motivations en venant ici?

Pierre : Ça fait un an et demi que je suis au Québec. J’étais déjà venu au Québec en vacances pour étudier les solutions dans le but de venir m’y installer. Il existe le PTT (Permis de Travail Temporaire), mais ce que je souhaitais c’était le PVT (Permis Vacances-Travail), plus avantageux. Le problème avec le PVT, c’est qu’il faut être candidat, car c’est un bassin de candidatures qui ensuite est tiré au sort. Il y a d’ailleurs un nombre précis de personnes qui peuvent être sélectionnées. L’État applique des quotas par exemple sur les Français, les Belges et les Espagnols dans le cadre de la demande du PVT.

AS : Quelles sont les démarches que tu as faites précisément?

P : Alors dans un premier temps, tout est fait avec le gouvernement fédéral. Tu vas sur le site et tu fais ta demande. Ensuite, tu t’inscris lors des périodes prévues à cet effet dans un bassin de candidatures pour le PVT. C’est un champ de bataille. J’espérais être tiré au sort, mais ce ne fut pas le cas.

AS : Qu’as-tu fait?

P : Je me suis rabattu sur le Permis Jeune Pro (Permis Jeune Professionnel) et ensuite je suis parti à la recherche d’un employeur qui allait vouloir m’engager pour moins de 30 heures. Les employeurs déboursent des frais pour les travailleurs étrangers. C’est pour ça aussi que beaucoup ne veulent pas nous engager. C’est ça le problème du PJP. On est extrêmement restreint! Le PVT, c’est 3 ans avec beaucoup plus de liberté de circulation et d’actions.

AS : Mis à part l’aspect bureaucratique d’une demande de PVT, quelles sont les conséquences directes dans ces circonstances?

P : Ça nous place dans une condition précaire et de stress constant. Je me suis fait une vie ici, une copine, des amis, etc. Si je n’ai pas de réponses qui vont dans mon sens d’ici juillet 2020, je dois quitter le Québec. J’ai visé alors le CSQ (Certificat de Sélection du Québec) qui exige 30 heures de travail pendant plusieurs semaines. Mais, si tu as compris, je travaille en dessous de 30 heures à cause du PJP. En temps normal, il y a aussi le Programme de l’Expérience Québécoise (PEQ), mais le gouvernement vient de le suspendre jusqu’en novembre dans la foulée de sa réforme de l’immigration.

Il y en a d’autres comme le visa d’étude. Ça me permettrait de rester au Québec le temps des études et de faire avancer mes demandes pour rester. Le problème, c’est que je vais devoir reprendre des cours et travailler 20 heures maximum. J’ai déjà un diplôme. L’argent rentrera moins. Je vis dans l’insécurité, j’ai toujours peur qu’ils suppriment le visa post-étude. C’est beaucoup de sacrifices et d’énergie tout ça. J’ai un pied dans le vide constamment!

AS : Avais-tu une formation universitaire en arrivant au Québec ou cherchais-tu à faire des études ici?

P : Oui, j’ai un diplôme universitaire en France. Je venais vraiment au Québec pour me trouver un emploi et m’installer tranquillement!

AS : Quel est ton statut officiel?

P : Je suis travailleur temporaire et j’insiste sur le mot temporaire. Je suis temporairement de passage au Québec selon la loi et les conditions.

AS : En dernier recours, as-tu pensé au mariage civil?

P : En fait, le mariage ne te donne pas automatiquement la citoyenneté. Il t’aide à avoir accès à des permis et au CSQ, mais la personne que tu épouses va devoir subvenir à tes besoins; une forme de tutorat temporaire jusqu’à obtention du CSQ. Ma compagne n’a pas nécessairement les moyens de faire ça et le temps. Toutes ces mesures ont aussi des conséquences chez nos proches.

AS : Tout cela semble contradictoire avec ce qu’a dit François Legault au président français, Emmanuel Macron, à savoir qu’il veut plus de main d’œuvre française, francophone.

P : Oui, mais il ne faut pas oublier qu’il a dit « on va en prendre moins, mais en prendre soin ». C’est vrai que je ne m’attendais pas à ce que ce message s’adresse aussi aux francophones. Entre les lignes, on pensait qu’il visait uniquement les non-francophones. Tout ce que l’on veut en définitive, c’est de participer à la société québécoise. On veut travailler pour s’intégrer, devenir québécois. Mais rendu à ce point, on se bat pour rester ici!
J’ai l’impression qu’il y en a qui voudraient revenir à la conception du droit du sang plutôt que le droit du sol. On retrouve aussi cette idée à droite un peu partout en Europe. Certains nationalistes ne veulent pas de nous, les immigrants. Ajouter à cela les mesures bureaucratiques et les frais monétaires liés à tous ces changements… On part désavantagé lorsqu’on n’a pas les moyens.

AS : Selon toi, quelle est l’intention de la CAQ avec ces restrictions sur l’immigration?

P : L’intention de la CAQ est de faire de l’immigration au Québec une immigration toujours plus choisie. Le gouvernement souhaite privilégier les travailleurs qualifiés. Malheureusement, cela se fera au détriment d’autres travailleurs immigrés.

Nous sommes plusieurs à avoir quitté la France parce qu’il n’y a plus d’opportunités pour la jeunesse française. Le climat social se détériore chez nous. Quand on arrive ici, on a une naïveté et un enthousiasme pour le Québec, on pense que tout est possible, mais nous sommes plusieurs à se faire fermer la porte au nez par le même gouvernement qui parle de la pénurie de main-d’œuvre. Je n’imagine pas ce que les personnes ont ressenti après la suppression des 18 000 dossiers d’immigration.

AS : Merci Pierre pour ce témoignage et bon courage!

P : Merci à vous de partager mon histoire.

Le programme politique de la CAQ s’inscrit dans la montée d’un populisme identitaire qui stigmatise les personnes racisées et celles issues de l’immigration. Les politiques du gouvernement Legault légitiment les discours des groupes d’extrême droite comme Storm Alliance, La Meute et d’autres. Luttons contre le durcissent des lois sur l’immigration! Défendons le droit au travail et aux études de tout le monde, incluant des personnes venues de l’extérieur du Québec!

Charles D.


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