Pour le droit à l’information : quitter le modèle d’affaire capitaliste

Le Groupe Capitales Médias (GCM) a déclaré être au bord de la faillite le 19 août dernier. GCM possède six journaux régionaux à travers le Québec, ce qui représente quelque 350 emplois. Dès le lendemain, le gouvernement caquiste s’est empressé de lui offrir un prêt de 5 millions. Pour la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, le public a le droit à « une information de qualité ». Ce type d’aide gouvernementale peut-il réellement assurer notre droit à l’information?

Les médias sont en crise. Tel est la formule consacrée durant la Commission parlementaire sur l’avenir des médias, dont les travaux ont débuté quelques jours seulement après l’annonce de l’aide gouvernementale à GCM. Cette crise, c’est d’abord celle des propriétaires de médias incapables de faire autant d’argent qu’avant. La situation s’est d’ailleurs aggravée avec la crise économique mondiale de 2007. Elle est d’autant plus difficile en région.

Un modèle d’affaires basé sur la publicité

Contrairement à ce que l’on tente de nous faire croire, le modèle d’affaire des journaux n’est pas basé sur l’offre de nouvelles ou la vente de publications papier. Ce qu’on vend, c’est d’abord et avant tout une audience à des publicitaires. Pour reprendre la formule du PDG du groupe TF1, ce qui est vendu, c’est du temps de cerveau humain disponible. Le cynisme de l’expression peut faire sourciller. Elle a toutefois le mérite d’être honnête.

Le modèle d’affaire des journaux est basé sur la publicité. Les hebdos régionaux privés y tirent 93 % de leurs revenus. Or, les publicitaires désertent les publications papier au profit du web. Entre 2012 et 2017, les hebdos ont vu leurs revenus publicitaires diminuer de 42 %. Ils ont été multipliés par 2,2 sur les plateformes numériques des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). En 2017, ces dernières accaparaient 44%  du marché publicitaire.

La migration de la publicité a forcé les journaux à développer des éditions numériques. Certains médias écrits, comme La Presse, ont même complètement supprimé leur édition papier.

Pertes d’emplois massives

Dans l’espoir de rétablir la profitabilité de leurs médias, de nombreuses directions ont aussi procédé à des restructurations internes. On n’a pas oublié les centaines d’emplois perdus suite au lock-out du Journal de Montréal ou les multiples mises à pied – parfois illégales – à La Presse. En ce qui concerne les médias régionaux, 16 % des emplois de journalistes ont été perdu entre 2005 et 2015. Selon la journaliste Marie-Ève Martel, plus de 34 hebdomadaires ont d’ailleurs fermé leurs portes depuis 2012.

Que le journal soit la propriété d’un multimilliardaire, d’un entrepreneur local ou habilement dissimulé derrière une fiducie d’utilité sociale, que la publicité soit numérique ou non, c’est d’elle que dépend la survie d’un journal sur le libre marché capitaliste.

Le capitalisme, incapable de régler la crise des médias

Durant la semaine de la Commission sur l’avenir des médias, le premier ministre François Legault et le député conservateur Gérard Deltell ont proposé de faire payer davantage les consommateurs. De leur côté, plusieurs syndicats regroupant des journalistes ont proposé de taxer les GAFA afin de subventionner les médias. La plupart des interventions à la Commission et dans les médias convergent sur la nécessité de trouver un moyen que le gouvernement subventionne les médias privés, en particulier régionaux.

Oui, les revenus publicitaires traditionnels des médias ont été détournés vers les GAFA. Oui, nous consommons de plus en plus nos informations à partir des médias sociaux. Oui, les géants du web – comme toutes les entreprises capitalistes d’ailleurs – doivent être taxés et payer leurs impôts. Mais, ce que la crise actuelle des médias montre, c’est que les solutions adoptées jusqu’ici n’ont jamais réglé ses causes fondamentales. Personne n’ose parler de l’éléphant dans la pièce : sortir les médias de la logique du marché capitaliste.

Tant que les médias seront sous le double contrôle de capitalistes et de vendeurs de publicité, le profit demeura leur ultime horizon. Quoiqu’en disent les journalistes sur leur « indépendance », les propriétaires et les cadres des médias exercent bel et bien un pouvoir, direct ou indirect, sur leurs pratiques et leurs discours. La députée de Québec solidaire, Catherine Dorion, a provoqué un tollé en témoignant des pressions d’autocensure qu’elle a subies lors de son passage à Québecor. Le livre Extinction de voix de Marie-Ève Martel regorge d’exemples de censure et d’autocensure dans les hebdos régionaux des quatre coins du Québec.

Défendre notre droit à l’information

C’est notre droit à l’information qui est mis à mal lorsque les plus riches contrôlent les cordons de la bourse. Comment peut-on parler d’indépendance journalistique quand les salaires des artisans et artisanes de l’information passent par le bon vouloir d’un Desmarais, d’un Péladeau ou d’un fabricant d’automobiles? Le chroniqueur vedette de La Presse, Patrick Lagacé, l’a aussi admis dans sa chronique, sans malheureusement apporter de solution. Et pourtant, ce n’est pas si compliqué…

Les travailleurs et travailleuses de GCM ont adopté une proposition pour élaborer un plan d’affaires en vue de mettre sur pied une coopérative de travail pour sauver l’entreprise. C’est un pas dans la bonne direction, celle d’un contrôle plus démocratique sur l’information. Les membres pourront ainsi avoir accès aux véritables états financiers de l’entreprise, ce qu’ont toujours caché leurs anciens propriétaires de Power Corporation. Mais, créer des coops d’information n’est pas une fin en soi pour garantir aux Québécois et aux Québécoises le droit à l’information. Le modèle d’affaires, basé sur la publicité, ne changera pas.

L’information, un service public

Si l’information est un bien public, comme le prétendent certaines chroniqueuses, il est plus que temps de la libérer des contraintes capitalistes, qu’elle devienne un service public dans l’intérêt de la classe ouvrière. Alternative socialiste supporte la création d’une coopérative de travailleuses et travailleurs pour sauver les emplois de GCM. Toutefois, il faudra tôt ou tard franchir le pas supplémentaire pour assurer le droit à l’information pour toute la population du Québec.

Il s’agit de redéployer un réseau national d’information financé uniquement par l’État, c’est-à-dire indépendant des pressions exercées par les compagnies et les annonceurs. Plutôt que d’offrir des millions de dollars à Québecor ou aux journaux des petits barons locaux, pourquoi ne pas taxer les GAFA et investir cet argent dans Télé-Québec, en particulier dans sa plateforme web, afin de déployer le réseau sur le terrain de l’information régionale? Ironiquement, la personne à avoir lancé cette idée est la ministre caquiste de la Culture. Quelques universitaires et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) sont d’accord. Pas les directions de quotidiens comme LE DEVOIR, qui tiennent plutôt à piger dans l’éventuelle cagnotte d’un « fonds des médias ».

Cette attitude à défendre sa chapelle, c’est-à-dire la compagnie de ses patrons, fait partie du problème. Pour réellement sauvegarder des emplois de qualité, développer un contrôle démocratique sur l’information et assurer le droit à l’information, les journalistes et leurs syndicats n’ont pas d’autres choix que d’affronter les multinationales avec les armes d’un service public. Le combat est politique. Les responsabilités d’organisation qui vont avec, aussi.


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