Maraudage dans le secteur public : Les 5 grandes forces syndicales signent un « protocole de solidarité »

Les instances des cinq principales forces syndicales (APTS, CSN, CSQ, FIQ et FTQ) ont ratifié à la fin du mois d’avril un « protocole de solidarité » effectif jusqu’à l’issue des négociations 2020 dans le secteur public. Ces organisations s’engagent dès maintenant à ne pas solliciter, initier, provoquer ou soutenir une campagne de changement d’allégeance au détriment d’une organisation syndicale rivale.

L’entente ne contient toutefois aucune disposition concernant la formation d’un éventuel front commun entre, d’une part, l’alliance de la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et, d’autre part, les trois centrales syndicales (CSN, FTQ, CSQ). En ce sens, il s’agit d’un « pacte de non-maraudage ». Et non d’un engagement formel en vue de construire une réelle alliance intersyndicale par le sommet.

Une première

C’est la première fois qu’un pacte de solidarité n’est pas attaché à une entente de négociation en front commun. Les centrales n’ont pas jugé nécessaire d’utiliser la menace d’un maraudage comme levier pour forcer la FIQ et l’APTS à joindre les rangs de l’éventuel front commun. La raison est simple : les centrales n’ont plus le rapport de force pour briser la croissance des organisations syndicales qui se définissent par rapport à l’identité professionnelle de leurs membres, comme la FIQ, l’APTS et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).

Un gain important

Le « protocole de solidarité » constitue un gain important. L’enthousiasme avec lequel les militants et militantes de la base ont accueilli l’entente de principe témoigne de l’état d’esprit de la base concernant les campagnes de maraudage. Plutôt que d’engouffrer des milliers d’heures militantes et des millions de dollars dans des campagnes de signatures de cartes et de dénigrement, les militants et militantes pourront utiliser leurs ressources pour mener des luttes locales et pour préparer les prochaines négociations.

Condition à une solidarité intersyndicale

Malgré sa portée limitée, ce protocole est une condition nécessaire pour le développement de perspectives combatives basées sur une solidarité intersyndicale. Le protocole ne concerne que les campagnes de changement d’allégeance syndicale, pas la question des alliances intersyndicales sur le plan de la négociation. Une campagne de maraudage à l’été 2019 aurait certainement eu des effets dévastateurs sur le développement de la solidarité intersyndicale dans le cadre des négociations de 2020. Comment développer un sentiment de solidarité sur le plancher d’un hôpital lorsque six mois plus tôt, une lutte cannibale se déroulait entre les murs de l’établissement? Tous les militants et militantes qui ont connu une période de maraudage savent que les arguments et les méthodes employées lors des campagnes de recrutement ne sont pas toujours à la hauteur des idéaux de justice sociale et de solidarité à la source du mouvement ouvrier.

Bâtir la solidarité sur le plancher

Même si les directions syndicales signent un « protocole de solidarité » sans s’avancer, précisément, sur la manière de déployer cette solidarité, il appartiendra aux militants et militantes de la base d’utiliser l’opportunité de ce pacte de non-agression pour bâtir la solidarité intersyndicale sur le plancher. Que les infirmières ne veuillent pas négocier avec les centrales n’empêche en rien que, par la base, des actions de mobilisation concertées puissent se dérouler par leur initiative.

La mise sur place de comités d’actions intersyndicaux dans chacune des installations devrait être une des priorités des militants et militantes combatives, et ce, peu importe la pudeur des directions syndicales. Même s’il y a plusieurs organisations syndicales ayant des priorités particulières, il n’y a qu’un « boss »: l’État-patron dirigé par un parti raciste de droite austéritaire, la CAQ. La solidarité intersyndicale doit se construire même s’il y a plusieurs tables de négociations économiques. Ce pacte de non-maraudage rend cette avenue possible.

La solidarité de la classe travailleuse

Dans le contexte des tensions intersyndicales aiguës de 1972, Jean-Marc Piotte relate les paroles d’un permanent de la CSN lors d’une assemblée intersyndicale avec la FTQ pendant la lutte des syndiqués de Sept-Îles: « Mon frère peut me donner une claque, mais si c’est un étranger qui le touche, nous serons deux pour le planter ». Quelques semaines plus tôt, les syndiqué·e·s du secteur de la construction des deux organisations se battaient à coup de bâtons, de chaînes de fer et de cocktails Molotov sur les chantiers. Cette solidarité de classe est plus forte que le corporatisme des directions syndicales, front commun ou pas. Le chauvinisme organisationnel ne peut y résister si nous déployons les efforts à la base pour construire cette solidarité.

Des absent·e·s

Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) ainsi que la FAE ne sont pas signataires du « protocole de solidarité ». De leur côté, le SFPQ et le SPGQ ne sont pas réellement à risque de perte d’effectifs. Le premier est accrédité en vertu de l’article 64 de la Loi sur la fonction publique. Il n’est par conséquent « pas maraudable », sauf si le gouvernement lui retirerait son accréditation par une loi. Le second détient une accréditation de 18 000 membres de la fonction publique répartis aux quatre coins du Québec. Une campagne de maraudage standard de cette ampleur est pratiquement impossible. De plus, le SPGQ exige la cotisation syndicale la plus basse au Québec, argument de poids malheureusement.

Quant à elle, la FAE est sur une pente ascendante, notamment depuis sa percée dans la région de Québec. En automne dernier, les membres du Syndicat de l’Enseignement de la région de Québec se sont désaffiliés de la CSQ pour joindre la FAE. Les plus petites unités d’accréditations sont par contre à risque de maraudage. C’est le cas des unités parapubliques du SPGQ comme les musées (quelques dizaines de membres) ou encore l’unité d’accréditation de Revenu Québec (quelques milliers de membres). Il n’est pas interdit de penser que la FAE pourrait prendre pour cible des CÉGEPS dont l’accréditation est détenue par la CSN ou la CSQ.

Angle mort

Le « protocole de solidarité » prendra fin lorsque chacune des organisations signataires aura ratifié sa convention collective. Toutefois, si le gouvernement décidait à nouveau de jouer à la fusion/défusion des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, la période de vote, si elle se tenait après la signature des conventions, ne serait pas couverte par le protocole de solidarité. Étant donné la grandeur des unités d’accréditation, la volatilité des membres lors des futures périodes de maraudage sera nécessairement plus basse qu’avant les fusions.

Les grandes accréditations d’aujourd’hui favorisent le statu quo sur l’allégeance syndicale. L’enjeu principal sur le long terme consiste à évaluer s’il est possible de trouver en intersyndicale une méthode pour faire face aux périodes de vote éventuelles.

Quelques pistes d’actions stratégiques

Bâtir la solidarité sur le plancher nécessite de rompre le particularisme des différentes luttes et organisations. Les socialistes veulent unifier les syndiqué·e·s sous leur dénominateur commun : leurs intérêts de classe. L’objectif est d’amener un nombre croissant de syndiqué·es à dépasser la lutte pour leurs intérêts économiques immédiats (conscience de classe économique) afin d’embrasser le projet de contrôle et de gestion politique de la société au grand complet selon leurs intérêts de classe (conscience de classe politique).

C’est un chemin ardu, mais le fait de gagner un nombre croissant de militants et militantes à ces perspectives est un passage obligé pour redonner à la classe des travailleuses et travailleurs sa capacité offensive. C’est un passage obligé pour mettre à l’ordre du jour la nécessité du renversement du capitalisme et l’établissement d’une société socialiste et démocratique.
Cette perspective peut sembler assez loin de la question des négociations de 2020. Mais, en regard de l’accroissement des antagonismes sociaux à l’échelle mondiale et locale, nous croyons que la lutte pour l’établissement d’une société sans oppression et exploitation est plus que jamais d’actualité. Un nombre croissant de travailleurs et de travailleuses tireront cette conclusion dans un avenir rapproché.

Quelques pistes d’actions tactiques

Créons des comités d’action intersyndicaux sur les différents lieux de travail, partout où c’est possible! Ces comités devront être gérés par les militants et militantes de la base des différentes organisations.

Développons un forum intersyndical large à l’échelle du Québec, orienté sur l’action concertée de la base pour orienter les instances démocratiques des syndicats vers la solidarité et la combativité!

Mettons sur pied des comités de solidarité, constitués par la base et sur une base intersyndicale, pour développer les liens sur la base de l’action entre les travailleuses et travailleurs ainsi qu’avec les militants et militantes des autres mouvements sociaux (mouvements des femmes, luttes environnementales, luttes antiracistes, rémunération des stages, etc.).

Martin T.


par
Mots clés , , .