PERSPECTIVES 2019 : VI. Le rôle des socialistes dans Québec solidaire

Au terme de la campagne électorale de 2018, la colère populaire contre le statu quo ne bénéficiant qu’à l’élite s’est exprimée par un vote enthousiaste aux deux formations politiques principales les plus critiques de ce système: la Coalition Avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS). Face au discours de gauche de QS, les chiens de garde du capitalisme ont bien compris qu’on remettait publiquement en question leur système de privilèges. Les Bombardier et Lisée sont même allés jusqu’à brandir, sans succès, l’étendard décrépit de l’anticommunisme pour décrédibiliser QS.

Les travailleurs et les travailleuses ont voté massivement pour la CAQ, partout au Québec. Le discours de « changement » du parti de François Legault a été perçu comme le plus crédible et le plus près des considérations de centaines de milliers de personnes. Quant à eux, les enjeux soulevés par QS ont suscité un intérêt principalement dans la couche de personnes visée par le parti, c’est-à-dire les jeunes des villes.

La nouvelle période politique participe à la conscientisation de larges couches de la population, notamment parmi la jeunesse. La prochaine période présente un potentiel énorme pour le développement des idées et des pratiques socialistes au Québec. Et QS peut être un important vecteur de ce développement. L’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois comme co-porte-parole et député de QS en 2017 a fait bondir le membership du parti de près de 20%, le fixant à 17 000. Au lendemain des élections à l’automne 2018, le membership a grimpé à 24 000 personnes. Ces personnes, en particulier celles provenant de la classe travailleuse, peuvent présenter une forte ouverture aux idées socialistes.

Des revendications qui font tomber les masques

Les revendications utilisées par QS durant la campagne ont permis d’identifier des problèmes concrets vécus par une grande partie de la population. La défense d’un salaire minimum à 15$/h, d’une assurance dentaire gratuite ou du transport en commun gratuit a forcé les autres partis à se prononcer sur ces enjeux. Dans l’esprit de milliers de personnes, cette situation a permis de démasquer le désintérêt des élites pour ces problèmes ainsi que l’hypocrisie de leur système à fournir des conditions de vie décentes pour la majorité.

Construire des mouvements de lutte

Si QS n’a pas le rapport de force parlementaire pour faire adopter ses réformes, il possède toutefois la capacité d’organiser, de soutenir et d’outiller les mouvements de lutte extraparlementaires pour arracher ces réformes au gouvernement caquiste. Pour y arriver, les associations de circonscription de QS doivent demeurer actives en permanence, pas seulement en période électorale. Les socialistes ont un rôle à jouer dans l’orientation que prendront leurs luttes afin qu’elles répondent aux besoins des travailleurs et des travailleuses.

Si les nouveaux et les nouvelles députées de QS veulent réellement se mettre au service des travailleurs et des travailleuses qui les ont élus, il leur incombe de défendre leurs intérêts. Il s’agit pour les député·e·s QS d’être la courroie de transmission des mouvements de luttes émanant de la classe travailleuse. Compte tenu de la vague d’attaques néolibérales promise par François Legault, ces mouvements arriveront les uns après les autres durant la prochaine période. La manifestation contre le racisme et la CAQ du 7 octobre a déjà donné le ton, 6 jours après les élections, avec une participation d’environ 5 000 personnes issues en grande partie des communautés visibles. QS doit devenir un acteur politique structurant dans ces luttes.

Un programme inapplicable sous le capitalisme

Contrairement à ce qu’a déclaré la nouvelle députée solidaire de Mercier, Ruba Ghazal, il n’y a rien a attendre d’une « refondation du capitalisme ». Tout ce que les travailleurs et les travailleuses arrachent aux patron·ne·s et au gouvernement peut leur être repris. Tout dépend du rapport de force établi entre les classes sociales. En ce moment, l’hégémonie de la CAQ met en évidence la nature de la classe qui domine les rapports sociaux. Or, la crise de son système capitaliste est si profonde, si polluante, que seule une lutte pour des mesures socialistes est en mesure de répondre durablement aux besoins de la majorité de la population.

Le cul-de-sac du réformisme

Il est impossible de transformer la société durablement en se limitant à des réformes du cadre capitaliste. L’idée sous-entendue dans le programme de QS que l’amélioration continue des conditions de vie peut être assurée par des réformes est tout simplement erronée. De par son développement non planifié, le capitalisme porte en lui des crises irréductibles. Par exemple, l’émergence du néolibéralisme se fait précisément sur la base matérielle de la crise de la stagflation des années 70. À cette époque, le keynésianisme s’est montré incapable d’assurer la croissance dans un contexte de compétition internationale accrue. En ce sens, la nostalgie associée aux beaux jours de l’État social est vaine. La courte période historique qui a permis de conjuguer croissance et réforme sociale s’est essoufflée.

Plus encore, dans le nouveau contexte de mondialisation et de financiarisation, l’échec des gouvernements réformistes à appliquer leur programme n’est pas principalement dû à l’absence de combativité de ses dirigeants. Le meilleur exemple de l’échec du réformisme comme chemin de transformation progressiste de la société se trouve dans les politiques d’austérité mises en application par les gouvernements réformistes. Du PS espagnol et français au NPD en passant par le parti travailliste, tous ont appliqué des programmes d’austérité. La raison de ce virement à droite ne se limite pas à une simple trahison des dirigeants de ces partis. L’explication se trouve derrière le principe général des programmes réformistes voulant qu’il soit possible, en régulant la lutte de classe, de concilier croissance économique et amélioration constante des conditions de vie.

Le système capitaliste ainsi domestiqué deviendrait un moteur de progrès social continu. Mais, dans la réalité capitaliste, la croissance décline avec les crises cycliques. Or, quoi qu’en disent les décroissant·e·s, la croissance est nécessaire pour mettre en application les réformes qui améliorent la qualité de vie de la classe ouvrière. Ces réformes doivent se financer à même la richesse créée par la classe ouvrière et qui est détenue par les capitalistes. L’une des caractéristiques de la crise de surproduction de 2007-08 est justement la crise de l’investissement. Sans perspective immédiate de rentabilité, les capitalistes dorment sur les milliards $ nécessaires à la relance de la croissance.

En cas de baisse de la croissance, les réformistes sont eux-mêmes obligés d’appliquer des mesures qui favoriseront l’investissement. Mais les capitalistes n’investissent pas s’ils n’obtiennent pas un retour sur investissement qu’ils jugent adéquat. Dans ce contexte, les gouvernements sociaux-démocrates sont obligés, tôt ou tard, de mettre en place des mesures qui favorisent l’investissement au détriment de la qualité de vie de la classe ouvrière. Cela se traduit par des attaques contre les salaires, les services publics, les droits syndicaux et démocratiques, la baisse d’impôt sur les entreprises et autres. QS n’échappera pas à cette réalité.

Adopter une approche de classe

Autrement dit, si QS et les mouvements sociaux veulent lutter efficacement et faire des gains, ils n’ont pas d’autre choix que d’opter pour un discours et une pratique de classe qui rompt avec le capitalisme. L’échec d’une approche réformiste, illustré de manière tragique par la trahison de SYRIZA en Grèce, ne laisse que l’option de la lutte socialiste pour rompre définitivement avec l’austérité et éviter la catastrophe environnementale.

La volonté de la direction de QS à faire des alliances électorales avec le PQ est l’un des principaux obstacles à la construction d’une conscience de classe. Les membres réunis en congrès ont rejeté trois fois l’idée d’une alliance avec le PQ.

Le mouvement syndical occupe une place fondamentale dans l’organisation d’un rapport de force en faveur de la classe travailleuse. Avec la déconfiture du PQ et le positionnement de QS comme seule véritable opposition aux projets de la CAQ, les directions syndicales n’ont plus d’excuses pour appuyer le PQ ou demeurer dans la non-partisanerie. Les syndiqué·e·s de la base peuvent désormais utiliser les élu·e·s solidaires pour pousser leur combat encore plus loin. Les socialistes ont ainsi un rôle important à jouer, spécialement dans le comité intersyndical de QS, pour faire adopter un discours et une pratique de classe dans QS.

Construire un parti de classe

Avec le développement de QS, les socialistes se voient offrir un cadre d’intervention très utile pour construire des mouvements de lutte enracinés dans les communautés et les syndicats. La construction de telles forces extraparlementaires vigoureuses est essentielle pour lutter contre la tendance à l’institutionnalisation des luttes dans le cadre étroit du parlement ou de la loi.

Bien que QS ne soit pas un parti de classe proprement dit, son développement constitue une étape dans la construction d’un tel parti. En luttant pour un programme, des méthodes et des stratégies socialistes dans QS, les socialistes mettent ainsi les bases de ce futur parti de masses des travailleurs et des travailleuses.


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