PERSPECTIVES 2019 : V. Montée de la droite identitaire et de la xénophobie

Durant les dernières années, la polarisation politique de la société québécoise s’est notamment manifestée par l’affirmation ouverte et décomplexée de discours nationalistes identitaires, xénophobes et racistes.

La Charte des « valeurs québécoises »

Durant son court mandat de 18 mois, le PQ de Pauline Marois passe d’un discours de gauche à celui d‘un nationalisme identitaire. Après avoir récolté l’appui populaire du Printemps Érable en 2012, le PQ tente de récupérer l’électorat séduit par les positions culturelles conservatrices de la CAQ. À l’automne 2013, le PQ présente son projet de Charte des « valeurs québécoises » et en fait l’enjeu d’une élection précipitée en avril 2014. Cette Charte propose notamment de prohiber le port de signes religieux ostentatoires par tout le personnel de l’État.

Cette campagne de division vise particulièrement les femmes musulmanes qui portent le voile. Or, à peine 3.5% de la population du Québec est de confession musulmane, dont à peine 40% vont à la mosquée. Pour l’infime partie des femmes qui subissent une pression pour porter le voile, l’interdire ne va qu’augmenter leur isolement.

Le chef de la CAQ, François Legault, appuie le projet de charte, mais émet des réserves. Le chef des libéraux, Philippe Couillard, le dénonce et l’interprète comme une tentative de relancer le projet de séparation du Québec. En septembre, plusieurs milliers de personnes se rassemblent à Montréal et à Québec pour dénoncer la Charte. La semaine suivante, c’est au tour de plusieurs centaines de manifestant·e·s pro-charte à se mobiliser.

Durcissement de l‘État

Même si le PQ perd les élections de 2014, le discours identitaire continue d’alimenter le racisme et la xénophobie, en particulier contre les personnes supposées musulmanes ou arabes. L’attentat de Saint-Jean-sur-Richelieu le 20 octobre 2014, considéré comme la 1ère attaque terroriste inspirée par l’islamisme radical au Canada, puis l’attentat d’Ottawa deux jours plus tard, nourrissent le discours de peur et servent d’excuse à l’État pour durcir ses institutions répressives.

Au printemps 2015, une nouvelle loi antiterroriste (C-51) est adoptée à la Chambre des communes. Elle étend et facilite le mandat des services secrets et s’applique à toutes entraves au fonctionnement d’infrastructures essentielles – grèves comprises – au nom de la sécurité nationale. En mars, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence est inauguré à Montréal. Ce centre s’intéresse notamment aux groupes anticapitalistes. Le mois suivant, deux jeunes cégépien·ne·s sont accusés d’une série d’infractions terroristes. Le couple passe deux ans et demi en détention avant d’être déclaré non coupable.

L’arrivée des réfugié·e·s de Syrie

Plus de 7 500 personnes réfugiées syriennes arrivent au Québec entre 2015 et 2016. Les discours racistes prennent alors de l’importance, opposant la situation des plus pauvres aux supposés privilèges octroyés aux réfugié·e·s. Les stations de radio-poubelles de droite de la ville de Québec, qui diffusent des messages réactionnaires et haineux depuis 20 ans, surfent sur cette vague de la xénophobie. Une station embauche même l’auteur de la Charte, le péquiste Bernard Drainville, comme animateur.

Le discours identitaire des élites politiques doublé de la diffamation haineuse des radios-poubelles participent à décomplexer les éléments racistes partout au Québec. Des centaines d’actes haineux sont commis. Selon le porte-parole d’AMAL-Québec, Haroun Bouazzi, la totalité des mosquées du Québec ont été vandalisées au cours des dernières années.

L’attentat à la grande mosquée de Québec

Plusieurs actes haineux sont commis en 2016 dans la région de Québec. Ils visent la communauté musulmane en général et la grande mosquée de Québec en particulier. Le 29 janvier 2017, un jeune homme fait irruption dans la grande mosquée, tue six personnes et en blesse 19 autres. L’enquête montre que le terroriste d’extrême droite, Alexandre Bissonnette, base ses positions politiques sur celles de suprémacistes blancs américains publiées sur Twitter.

À Montréal et à Québec, des milliers de personnes se mobilisent lors de vigiles pour dénoncer cette attaque. QS propose la tenue d’une commission parlementaire sur le racisme systémique afin d’ouvrir un débat sur les inégalités créées par le système et de considérer l’intégration sur le milieu de travail comme un remède au racisme. Le gouvernement libéral, qui appuie l’idée au début, recule et fini par rejeter le projet, comme le PQ et la CAQ. Le dépôt d’une pétition de 20 000 noms obligera toutefois la ville de Montréal à tenir une consultation publique non décisionnelle sur le racisme systémique.

La Loi sur la neutralité religieuse

La semaine suivant l’attentat de Québec, le gouvernement libéral dépose le projet de loi 62, précurseur de la Loi sur la neutralité religieuse adoptée en octobre 2017. Cette loi applique certaines dispositions de la Charte péquiste, dont l’interdiction de recevoir des services publics à visage couvert. Les critiques fusent de toute part. Plusieurs actions sont organisées, notamment par QS, pour dénoncer la loi. Une manifestation rassemble des milliers de personnes contre la haine et le racisme à Montréal à la mi-novembre. La Cour supérieure suspend la loi le 1er décembre.

Manifestations contre les réfugié·e·s d’Haïti

Pendant l’été et l’automne 2017, des milliers de personnes réfugiées haïtiennes en provenance des États-Unis traversent la frontière après le retrait de leur statut de protection par l’administration Trump. Les groupes d’extrême droite – comme La Meute, les Soldats d’Odin et Atalante Québec – s’affichent alors publiquement. Ils appellent à des manifestations « contre l’immigration illégale » dans des villes canadiennes ainsi qu’à la frontière canadienne. Cette nouvelle stratégie offre aux groupes d’extrême droite un visage public généralement accepté par les médias, du jamais vu depuis des décennies. Les manifestations anti-immigration sont systématiquement accompagnées de contre manifestations, dont la plupart réussissent à endiguer les éléments racistes par le nombre.

Les groupes d’extrême droite au Québec sont variés et divisés dans leur composition, leurs valeurs, leur radicalité et leur position sur l’indépendance du Québec. Certains groupes sont organisés en milices paramilitaires, comme la brigade des III%, bras armé des Storm Alliance. Lors de la manifestation identitaire du 25 novembre 2017 à Québec, la police fait dos à cette milice armée, préférant poivrer et arrêter une quarantaine de contre manifestant·e·s.

La migration économique, conséquence du capitalisme

Les capitalistes engendrent le chômage, les catastrophes environnementales, l’oppression sexiste et de genre, le racisme et les guerres en prétextant lutter contre la drogue, le terrorisme ou les « dictatures ». En conséquence, des millions de personnes se voient contraintes de quitter leur pays pour améliorer leur sort ou carrément sauver leur vie. Nous assistons depuis quelques années à un mouvement de réfugié·e·s jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. La vaste majorité (80 %) est déplacé·e·s dans un pays voisin du « Sud » — comme le Liban, la Jordanie, la Turquie, le Pakistan, l’Iran, l’Éthiopie et le Kenya — et une minorité se rend dans les pays du « Nord ».

Les politiques impérialistes canadiennes participent à engendrer ces guerres, ce pillage des ressources naturelles et cette exploitation de la main-d’œuvre. Il ne suffit pas de faire de beaux discours en parlant d’ouverture et de diversité. Il faut lutter pour une société solidaire au niveau international. Une société débarrassée de l’exploitation, des oppressions, des guerres, de la misère et qui construit un avenir pour tous et toutes en harmonie avec les écosystèmes.

Unir la classe sur des enjeux concrets

La xénophobie, l’oppression nationale et le racisme font partie intégrante du capitalisme. Pour en finir avec ces stratégies de division, il faut en finir avec le capitalisme. Le seul acteur social capable de le renverser, c’est la classe travailleuse unie dans toute sa diversité.

Combattre le racisme et la xénophobie implique de construire des luttes unifiées, qui s’adressent au plus grand nombre. En luttant pour des revendications concrètes – comme des emplois décents, de meilleurs salaires, des logements sociaux et abordables ainsi que des services publics gratuits et universels – nous pourrons surmonter la fragmentation des forces actuelles. Depuis l’élection de la CAQ en octobre 2018, les manifestations contre le racisme, notamment celle de Montréal forte de 5 000 personnes, montrent qu‘il est possible de tisser une solidarité de classe.

Les organisations syndicales ainsi que QS doivent faire plus qu’appuyer ces initiatives de la base. Avec leurs capacités et leurs moyens, elles peuvent être au cœur de luttes concrètes de la majorité de la population, luttes qui favoriseront d’abord et avant tout les couches les plus vulnérables de notre classe sociale.

Laïcité et port de signes religieux

Le dépôt prochain du projet de loi de la CAQ en matière de « laïcité » et de port de signes religieux oblige la direction de QS à prendre clairement position sur ces enjeux, conformément à son programme. La direction et l’aile parlementaire de QS ne peuvent plus se permettre les tergiversations de la période électorale. Elles doivent s’engager activement à défendre le droit des femmes à se vêtir comme elles le veulent, sans quoi QS demeurera le spectateur du grand cirque de la xénophobie capitaliste.

Des membres d’Alternative socialiste s’impliquent dans le comité Solidaires pour un Québec inclusif pour faire campagne dans QS en faveur du droit au travail pour tout le monde. Nos membres défendent le droit des femmes de se vêtir comme elles le souhaitent sans être discriminées au travail. Nous ne défendons toutefois pas le port du voile. Nous nous opposons autant à l’interdiction du voile qu’à son imposition. Il ne s’agit pas d’une question d’identité à célébrer, mais de droit à défendre. Une vraie laïcité de l’État implique de défendre la liberté de religion de tout le monde, incluant les opinions des personnes non religieuses. De plus, les privilèges fiscaux dont bénéficient les corporations doivent être retirés, notamment les exemptions d’impôts pour les lieux de culte et les subventions aux écoles privées, incluant celles à vocation religieuse.


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