Le 15 septembre dernier, une rencontre particulière a eu lieu dans un lieu tenu secret à Londres. Des banquier·ère·s de premier plan qui faisaient partie de Lehman Brothers – autrefois la quatrième banque d’investissement au monde – y ont célébré le dixième anniversaire de son effondrement en 2008 avec « cocktails et canapés’’. La disparition de cette banque d’investissement a marqué un tournant majeur dans la crise financière déjà en cours depuis 2007, mais qui s’est ensuite transformée en un krach économique mondial.
L’économie mondiale ne s’est toujours pas totalement remise de cette crise qui a fondamentalement changé la politique à travers le monde. Les milliards de personnes qui ont subi les conséquences de ces événements avec une dégradation de leurs conditions de vie n’avaient vraiment aucune raison de se réjouir !
Jusqu’à l’effondrement de Lehman Brothers, les gouvernements, banquier·ère·s et économistes répétaient encore à l’envi que le capitalisme basé sur un marché libre non réglementé, avec une intervention limitée de l’État, était systématiquement la meilleure option. Ils se sont alors rendu compte que, s’ils n’intervenaient pas, ils risquaient non seulement un accident, mais un accident de l’ampleur de celui de 1929. Cet événement a entraîné la grande dépression des années 1930, avec toutes ses conséquences, y compris la révolution et la contre-révolution. Ils ont été forcés d’agir.
L’intervention des autorités
Les gouvernements capitalistes néolibéraux ont totalement changé d’approche. Ils ont nationalisé et subventionné les banques. Ils ont injecté des milliards de dollars dans les économies du monde entier. Cela n’était pas à destination de la classe des travailleurs et travailleuses. Tous les efforts visaient les banques et les institutions financières. Cette énorme intervention des autorités a empêché une répétition du crash de 1929, mais cela n’a pas permis de stopper l’important ralentissement économique mondial.
Il ne s’agissait bien sûr pas de nationalisations socialistes mais plutôt de ‘‘socialisme pour les riches’’ dans le but de soutenir le capitalisme. Les faiblesses du capitalisme ont été mises en évidence. Parallèlement, des millions de personnes perdaient leur emploi et leur maison. Mais aucune subvention n’est venue soutenir leurs conditions de vie ! De leur côté, les banquier·ère·s qui ont précipité l’économie dans la crise n’ont pas été sanctionné pour leur rôle. Ils ont même pu continuer à récolter des bonus de plusieurs millions de dollars.
Une fois de plus, les événements ont prouvé la justesse du marxisme. Parfois, ce furent même les principaux porte-parole du capitalisme qui s’accordaient à contrecœur à dire que l’analyse de Marx sur le capitalisme était rigoureusement exacte. L’an dernier, on a pu lire dans les pages de The Economist que ‘‘beaucoup de ce que Marx a dit semble devenir plus pertinent de jour en jour’’. Bien sûr, leur conclusion n’est pas de se débarrasser du capitalisme, mais de le consolider.
La crise économique fait partie de l’ADN du capitalisme. Les périodes de croissance et d’effondrement périodiques n’ont jamais été éliminées, avec leur destruction de valeur, de capacités productives et compétences à grande échelle. Les effondrements affectent radicalement les conditions de vie de la classe ouvrière et, en même temps, démontrent le gaspillage et l’absurdité du capitalisme en tant que système. Depuis des centaines d’années, les économistes capitalistes ont été incapables de résoudre ce problème fondamental.
Expansion et récession
Dans chaque boom économique, les représentants des capitalistes prétendent avoir trouvé la réponse ! Gordon Brown, ancien Premier ministre britannique travailliste en place au moment de l’effondrement, avait prétendu à plusieurs reprises avoir résolu les maux du capitalisme. Il l’a encore affirmé dans son discours sur le budget de 2007, quelques mois seulement avant le début de la crise.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait depuis longtemps analysé les processus qui conduiraient à l’inévitable crash. Toute la question était de savoir quand cela surviendrait. Cette conviction n’a pas été formulée à la manière grossière de ceux qui prétendent qu’une crise catastrophique se profile à l’horizon chaque année, mais sur base d’une analyse sobre des facteurs économiques.
Le déclencheur immédiat de la crise a été la perte de confiance dans les grandes banques d’investissement qui avaient investi dans des prêts qui, en réalité, ne seraient jamais remboursés. Sur fond de bulle immobilière, le marché américain des ‘‘subprimes’’ accordait des prêts à des personnes qui n’avaient pas les moyens de les rembourser. Ces dettes extrêmement risquées ont ensuite été vendues sous forme de produits financiers, mélangées à d’autres prêts de manière complexe. Les banques ont réalisé d’énormes profits sur leurs spéculations, mais celles-ci reposaient sur une construction financière fragile de dettes et de risques.
Une série de formes de spéculation initialement destinées à répartir le risque s’est transformée en ‘‘instruments financiers de destruction massive’’. Les problèmes sont apparus lorsque certains de ces risques ont commencé à faire faillite et que les banques ont commencé à admettre qu’elles n’avaient aucune idée de la valeur réelle de leurs fonds de placement. Lehman Brothers avait emprunté 35 fois plus que la valeur de ses actifs.
Les banques dans leur ensemble étaient ‘‘sous-capitalisées’’, en accordant des prêts beaucoup plus importants qu’elles n’avaient d’actifs. Le château de cartes du monde de la finance a commencé à s’effondrer et son impact s’est répandu dans le monde entier. La crise financière s’est inévitablement étendue à l’économie réelle, à la production de biens matériels. À ce moment-là, le gouvernement américain est intervenu pour renflouer de grandes banques d’investissement comme Bear Stearns et les courtiers en hypothèques soutenus par le gouvernement Freddie Mae et Fannie Mac.
Au Royaume-Uni, le gouvernement a dû intervenir pour sauver la banque Northern Rock, la Royal Bank of Scotland (RBS) et Lloyds. Le chancelier Alastair Darling a rappelé qu’il avait eu une conversation avec le président de la RBS, alors la plus grande banque du monde, qui a déclaré qu’elle manquait de liquidités. Quand Darling lui a demandé ‘‘combien de temps avons-nous ?’’, on lui a répondu ‘‘quelques heures’’.
La cause sous-jacente de cette crise était bien plus qu’une simple spéculation financière qui a mal tourné. Partout dans le monde, la dette avait atteint des niveaux sans précédent. Nous avons commenté ces causes à l’avance.
En décembre 2006, Lynn Walsh a écrit dans le magazine Socialism Today un article intitulé : ‘‘L’économie américaine se dirige-t-elle vers la récession ?’’ Il a expliqué que le boom avait, jusqu’alors, été soutenu par l’endettement des consommateurs. Mais l’inégalité croissante et l’appauvrissement constant des travailleurs et travailleuses au cours d’un certain nombre d’années ont contribué à l’instabilité de l’économie. Il disait alors du capitalisme américain : ‘‘Son orgie de profits à courts termes a sapé ses propres fondements, et le système fait face à un avenir de crise économique et de bouleversements politiques.’’
Dans un autre article, publié en mai 2007, nous avons expliqué : ‘‘Derrière la marée de liquidités, il y a une source plus profonde, la suraccumulation de capital. Les capitalistes n’investissent leur argent que s’ils peuvent trouver des domaines d’investissement rentables. Depuis la dernière phase de la reprise d’après-guerre (1945-73), les capitalistes ont eu de plus en plus de mal à trouver des domaines d’investissement rentables dans la production. Malgré la croissance de nouveaux produits et de nouveaux secteurs de l’économie, il existe dans de nombreux secteurs une surcapacité par rapport à la demande de crédits garantis. Des milliards de personnes manquent de produits de première nécessité. Mais ils n’ont pas les revenus nécessaires, le pouvoir d’achat, pour acheter les biens et services disponibles dans le cadre de l’économie capitaliste.’’
Les contradictions du capitalisme
L’inégalité et l’exploitation sont ancrées dans les fondements du capitalisme. Marx a expliqué que le capitalisme repose sur la création de profit. Cela provient du travail non rémunéré des véritables créateurs de richesse, la classe ouvrière. Les travailleurs et travailleuses créent de la valeur, mais les patron·ne·s font des profits en les payant moins que la valeur qu’ils et elles produisent. Avec le temps, les travailleur·euse·s ont tendance à être incapables à racheter la pleine valeur de ce qu’ils et elles produisent, ce qui entraîne une surcapacité de production.
Cette contradiction peut être surmontée par le capitalisme pendant un certain temps si les capitalistes réinvestissent ce surplus dans la production. Mais aujourd’hui, ils n’y parviennent pas, ils ne remplissent même pas leur mission historique de développer les forces productives. C’est ce qui sous-tend le cycle d’extension et de récession du capitalisme.
Dans la période qui a précédé 2007, la bulle de la dette a soutenu la croissance économique pendant longtemps. Il a fallu qu’elle finisse par éclater. L’élément déclencheur, ce fut les prêts hypothécaires à risque. Mais cela aurait pu être une conséquence des nombreux problèmes qui existent dans ce système.
Nous nous opposons à l’anarchie du capitalisme, un système fondamentalement non planifié, motivé par la nécessité de profits pour les propriétaires individuel·le·s et les grandes entreprises, au détriment de la satisfaction des besoins de la société et d’une planification socialiste démocratique. Pour pouvoir planifier l’économie, il faut la retirer des mains des ultra-riches et en faire une propriété publique. L’éclatement de la bulle a eu un impact immédiat sur l’économie réelle. Dix millions d’emplois ont été perdus aux États-Unis et en Europe.
Cette situation a été exacerbée par les mesures d’austérité imposées par les gouvernements. La récession réduit les recettes du gouvernement, car les gens gagnent moins et payent moins d’impôts. Plus les autorités réduisent les dépenses publiques, moins les gens ont à dépenser, ce qui crée un cercle vicieux. Nous avons maintenant le plus haut niveau de dette publique depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les mesures d’austérité ont dévasté les services publics. Le niveau de vie réel, pour la grande majorité, ne s’est pas rétabli par rapport à son niveau d’avant 2007. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a déclaré l’an dernier qu’il n’y a pas eu de période de si faible croissance des revenus en Grande-Bretagne depuis le XIXe siècle.
Les inégalités ont continué de grimper en flèche : la valeur nette des 500 premiers milliardaires du monde a augmenté de 24 % pour atteindre 5,38 milles milliards de dollars en 2017. Oxfam affirme que 82 % de la richesse générée l’an dernier est allée au 1 % le plus riche de la population mondiale. La moitié la plus pauvre du monde – 3,7 milliards de personnes – n’a pas connu d’augmentation.
La reprise
La « reprise » économique depuis 2008 a été extrêmement faible et de nombreux facteurs laissent présager qu’un nouvel effondrement économique se profile. La dette a de nouveau augmenté, atteignant aujourd’hui 240 % de la production mondiale annuelle totale, soit 30.000 $ par personne ! Le rédacteur en chef américain du Financial Times parle ainsi des banques : ‘‘Ce qui s’est passé, c’est que la dépendance à l’égard de la dette privée – l’héroïne, si vous voulez – a été remplacée par une dépendance à l’égard de la dette publique – la morphine. Le système dans son ensemble est toujours déséquilibré.’’
Toute une série de menaces pèsent sur l’économie mondiale, notamment le protectionnisme commercial croissant, ainsi que les troubles politiques et le changement climatique.
Le marxisme n’est pas déterministe. Il n’y a pas de ‘‘crise finale’’ du capitalisme. Ce système ne s’effondrera pas de lui-même. C’est le rôle de la classe ouvrière au niveau international, avec le soutien de la grande majorité de la population mondiale, de mettre fin au capitalisme et de le remplacer par un système plus sain et plus humain. Le rôle des socialistes est de fournir une analyse, une alternative et une stratégie.
Les banques et les institutions financières, ainsi que le nombre relativement restreint de grandes entreprises qui dominent l’économie doivent être nationalisées et placées sous contrôle démocratique. Cela permettrait de mettre en place un plan de production économique visant à produire ce qui est nécessaire, en utilisant les ressources du monde de manière durable et au profit de la société tout entière. Cela permettrait de mettre fin à la pauvreté, à l’inégalité et à toutes les horreurs causées par le capitalisme.
Mais pour y parvenir, nous devons construire un mouvement de masse et une force socialiste qui puisse intervenir dans les événements. Le résultat de l’austérité imposée au monde depuis 2008 a été l’instabilité politique. D’énormes mouvements ont eu lieu à gauche dans de nombreux pays, mais on a également connu une croissance du populisme de droite et de l’extrême droite. Les gens sont de plus en plus désabusés par les partis politiques établis.
Au cours des prochaines années, nous serons confrontés à une série de crises économiques et à la recherche de réponses par des millions de travailleur·euse·s et de jeunes. Nous devons construire des partis de masse armés de réponses socialistes face à la crise du capitalisme.
Par Steve Score, Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles, traduit par le Parti Socialiste de Lutte.