Grèves des camionneurs en Chine : solidarité interrégionale

Les grèves des camionneurs dans plus de 12 régions confirment la tendance croissante vers les actions syndicales «interrégionales»

Les chauffeurs de camions de toute la Chine ont pris part à des grèves et à des actions de protestation contre l’augmentation des coûts du carburant, les péages routiers et une nouvelle application en ligne qui les monte les uns contre les autres dans la recherche d’emplois.

Ces grèves sans précédent ont commencé dans la province de Jiangxi et du Chongqing, les 8 et 9 juin respectivement. Elles se sont ensuite étendues à d’autres régions. Un appel anonyme en ligne a appelé les « 30 millions de camionneurs à travers la Chine » à se joindre à la grève. Les manifestations ont pris diverses formes, des conducteurs bloquant les routes dans certaines zones. Les vidéos présentes sur les médias sociaux montrent des convois de camions conduisant lentement, certains couverts de banderoles, les conducteurs klaxonnant et scandant des slogans.

Bien qu’elles ne soient pas directement inspirées par des événements internationaux, ces grèves coïncident avec celles des camionneurs en Iran et au Brésil ces dernières semaines. Ces protestations ont surgi pour des raisons similaires : la hausse des prix du carburant jouant un rôle majeur.

“Nous nous battons simplement pour survivre”

Plus de 80 % des marchandises chinoises sont transportées par camions. Les grèves de juin pourraient donc représenter les premiers mouvements d’un géant. Plusieurs commentateurs avertissent que les grèves pourraient éclater à nouveau, surtout si les prix du carburant continuent d’augmenter.

« Nous nous battons simplement pour survivre », a déclaré un camionneur basé à Shandong au South China Morning Post, indiquant que de nouvelles manifestations pourraient être organisées plus tard dans l’année. En plus des coûts du carburant, la colère des grévistes est dirigée contre les péages élevés, le harcèlement de la police (qui a fait de l’imposition d’amendes aux camions surchargés un commerce rentable), ainsi que la mafia qui exige d’être payée pour laisser les camionneurs tranquilles.

« Vous devez payer des frais et des péages partout où vous allez, pour utiliser l’autoroute ou les autoroutes nationales. Même les petits endroits demandent de l’argent maintenant », a déclaré à Radio Free Asia un chauffeur appelé Shen.

Un gros titre du Wall Street Journal a décrit les grèves comme étant « inégales » – mais cela n’est guère surprenant dans les conditions ultra-répressives de l’État policier chinois. L’ampleur de la protestation était toutefois impressionnante, les camionneurs étant rentrés en lutte dans plus d’une douzaine de régions et de villes, de Chongqing à l’ouest à Shanghai à l’est (l’équivalent de la distance entre Londres et Varsovie). Tout cela, bien sûr, avec un silence médiatique total en Chine, les censeurs du régime assurant qu’il ne soit pas possible de disposer d’une image plus claire des événements et du nombre de personnes impliquées.

Pour cette seule raison, la grève est politiquement très importante, même si les chauffeurs eux-mêmes, comme la plupart des autres travailleurs impliqués dans la lutte, ont évité les revendications politiques directes. Malgré cela, le gouvernement aura été ébranlé par ce dernier épisode en date d’une vague de grèves interrégionales qui a balayé la Chine en 2018.

Précédemment, c’étaient les grutiers et les livreurs d’aliments qui sont simultanément entrés en lutte dans des dizaines de villes. Bien que ces grèves aient été soudaines et de courte durée – inévitablement – elles indiquent clairement une nouvelle tendance à la lutte des travailleurs. Cela reflète des changements importants survenus dans la conscience des travailleurs de même que la sophistication dans l’organisation de manifestations à travers différentes régions sous les yeux attentifs d’un Etat policier.

L’ordonnance de censure suivante, émise le 11 juin et diffusée sur le site Internet China Digital Times, souligne l’inquiétude du gouvernement face à cette dernière grève « interrégionale » : « Tous les sites Web de toutes les régions doivent immédiatement effacer toutes les nouvelles concernant les conducteurs de camions de marchandises et ne laisser aucune pierre non-retournée. Il faut renforcer la surveillance et se prémunir strictement contre les reportages et les commentaires provocateurs des médias étrangers. »

Les reportages de certains médias étrangers ont déclaré à tort que certains chauffeurs en grève ont appelé sur des vidéos au renversement de la dictature du Parti « communiste » (打到共产党). En y regardant de plus près, on entend les conducteurs chanter « A bas Huochebang » (打到货车帮), le nom d’une application en ligne de type Uber utilisée pour connecter les chauffeurs avec les clients du fret.

La « gig economy »

Cette application appartient au groupe Manbang, une société récemment fusionnée qui détient un monopole virtuel dans le secteur du transport par camion. Les conducteurs de camions, dont 90 % sont des indépendants, se plaignent que la nouvelle version de l’application les oblige à se soumettre à une course vers le bas les uns contre les autres. Le paiement du transport diminue alors que les coûts augmentent.

Il s’agit d’un nouvel exemple de la « gig economy » (expression issue des Etats-Unis pour désigner l’économie des petits boulots, à la manière des musiciens qui courent après les cachets sans emploi fixe, gig signifiant « concert », NDT) que connaissent les économies occidentales et qui prend racine en Chine. Les emplois temporaires et précaires augmentent, les entreprises préférant embaucher de soi-disant indépendants plutôt que des employés à plein temps.

Les mêmes facteurs expliquent des éruptions similaires de protestations de la part de travailleurs tels que les chauffeurs de taxi et les livreurs d’alimentation. Cela illustre à quel point, dans une économie capitaliste axée sur le profit, les nouvelles technologies augmentent énormément l’exploitation et la pression sur les travailleurs au lieu d’alléger leur charge de travail.

Alors que la plupart des camionneurs chinois sont nominalement des entrepreneurs « indépendants », ce sont en réalité des esclaves salariés sous un autre nom. Une enquête publiée en avril par la Social Services Academic Press a révélé qu’en 2016, les camionneurs chinois travaillaient plus de 12 heures par jour pour un revenu mensuel moyen d’environ 8.000 yuans (1000 euros). Selon le South China Morning Post, les chauffeurs « sont constamment sur la route, dorment dans leurs camions et ne peuvent pas voir leur famille des mois durant ».

Cette charge de travail excessive est imposée aux chauffeurs par la nécessité de rembourser les dettes que bon nombre d’entre eux ont contractées pour acheter leurs camions.

Par des correspondants de chinaworker.info


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