Karl Marx a 200 ans

La théorie de la lutte des classes de Karl Marx: la classe ouvrière et la révolution

Deux cents ans après la naissance de Karl Marx et 170 ans après la publication de son plus célèbre ouvrage, Le manifeste du Parti communiste, Eddie McCabe examine la théorie de la lutte des classes de Marx et en évalue la pertinence pour le monde d’aujourd’hui. 

Sans la force de travail de la classe ouvrière, les capitalistes ne peuvent pas générer des profits. Le système est paralysé.

De toutes les choses qu’un capitaliste peut acheter pour construire son entreprise, seule la force de travail ajoute de la valeur. C’est-à-dire que l’entreprise peut produire quelque chose qui vaut plus que le coût initial des composants qui sont entrés dans sa production. Le temps, la pensée et l’énergie appliqués par les travailleurs et travailleuses dans le processus de production – dont les efforts ne sont que partiellement compensés par l’employeur qui garde les fruits de la production – sont la source ultime de profit (ou plus-value) dans une économie capitaliste. En termes simples, tous les profits proviennent du travail non rémunéré des travailleurs. Et bien sûr, la recherche du profit est la raison d’être du capitalisme1.

Cette découverte révolutionnaire de Karl Marx a ouvert la voie à une explication complète du fonctionnement du système capitaliste en identifiant l’exploitation, et donc l’injustice, en son centre. Elle sous-tend la compréhension socialiste des économies et des sociétés du monde d’aujourd’hui. Elle identifie les contradictions et les antagonismes dans les relations sociales, l’instabilité inhérente et le conflit qui découlent de cette division fondamentale du monde. Il y a les gens qui possèdent le capital et exploitent les autres et les gens qui possèdent peu ou rien. En résumé, il y a les capitalistes d’un côté, et les travailleuses et les travailleurs de l’autre.

 

Les travailleuses, les travailleurs et les capitalistes

Les travailleuses et les travailleurs sont les personnes qui n’ont pas les locaux, l’équipement, le matériel ou l’argent nécessaire pour acquérir ces choses qui sont requises pour s’engager dans la production ou l’échange (c’est-à-dire pour gagner sa vie grâce au marché).Tout ce que la classe ouvrière a à vendre est sa capacité de travailler (force de travail). Les capitalistes ont toutes les choses nécessaires, mais ont besoin d’autres personnes qui travaillent pour eux afin de les utiliser de manière suffisamment efficace pour en tirer profit. Les capitalistes offrent donc des salaires qui:

  • permettent aux travailleuses et travailleurs de survivre et;
  • permettent aux capitalistes de maximiser le profit de leur production une fois avoir payé les frais de subsistance.

Plus le salaire est bas et plus le nombre d’heures travaillées est élevé, plus le capitaliste exploite la personne qui travaille. C’est-à-dire plus il fait d’argent aux dépens de cette personne.

Il est vrai que cet arrangement est librement consenti entre un employeur et une personne employée. Des siècles d’éducation idéologique ont créé l’impression que cette entente est équitable pour les deux parties. D’un certain point de vue, avec un accent mis sur l’individu, cela peut sembler raisonnable. La personne qui travaille et le capitaliste sont tous deux rémunérés en fin de compte. Mais le problème, c’est qu’elles sont toutes les deux payées à même le travail accompli par une seule de ces deux personnes. Cette réalité devient plus claire quand on la regarde du point de vue non pas des individus, mais des classes sociales. Lorsque le scénario ci-dessus est généralisé à l’ensemble de l’économie, nous trouvons deux classes principales:

  • une classe majoritaire de travailleuses et de travailleurs. Ces personnes font pratiquement tout le travail et créent toute la richesse, mais possèdent très peu.
  • une classe minoritaire qui fait très peu de travail et qui ne crée aucune richesse, mais qui la possède pratiquement toute.

La concurrence sur le marché et le besoin insatiable de faire toujours plus de profits obligent les capitalistes à développer leurs entreprises en intensifiant l’exploitation et en accumulant un plus grand nombre de personnes salariées toujours plus occupées. Ces dernières, pour défendre et étendre leurs droits et leurs conditions de travail, sont contraintes de s’organiser ensemble. Ce désir instinctif du capitaliste et du prolétaire de pousser le taux d’exploitation dans des directions opposées crée une tension constante dans la société capitaliste: la lutte des classes. Elle se manifeste à travers les contradictions qui traversent les idées, les organisations ou les institutions contradictoires. L’existence même de la lutte des classes est niée par les idéologues de droite. Mais la lutte des classes – avec ses hauts, ses bas, ses revirements et ses retours en arrière – influence de manière décisive tous les changements sociaux et historiques en dernière analyse.

Reconnaissant cette friction fondamentale (qui augmente considérablement en temps de crise) ainsi que le rôle central de la classe ouvrière dans la production (qui lui donne un énorme pouvoir potentiel), Marx a identifié la classe ouvrière comme la clé pour contester le pouvoir des exploiteurs. C’est elle qui peut établir une société où la richesse produite collectivement serait répartie collectivement.

 

Contrecoups et confusion

Pour les socialistes, cette analyse reste valable dans ses fondements. Elle a résisté à l’épreuve du temps et aux innombrables attaques des théoriciens économiques et politiques de tous horizons. Cette analyse a été réaffirmée encore et encore par l’histoire du mouvement ouvrier au cours du siècle et demi qui la sépare de son élaboration par Marx. Les idéologues conservateurs ont toujours contesté la validité du marxisme, craignant surtout ses conclusions révolutionnaires. Mais au fil du temps et de plus en plus – face à l’incapacité de réaliser les objectifs du mouvement socialiste – même ceux et celles qui critiquent le système et en reconnaissent les problèmes fondamentaux commencent à nier le potentiel de changement révolutionnaire, en particulier le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière.

L’effondrement du stalinisme et de la montée du néolibéralisme a affaibli les organisations ouvrières traditionnelles (syndicats et partis sociaux-démocrates), tant numériquement qu’idéologiquement. Cela a laissé un important vide politique. Dans les années qui ont suivi, et dans presque tous les pays, les directions de ces organisations se sont accordées totalement avec le système. Elles ont même abandonné leur soutien symbolique à une alternative au capitalisme. En conséquence, le mouvement ouvrier – qui était un point de référence clair pour des millions de travailleuses, de travailleurs et de jeunes dans le passé – est maintenant considéré comme un simple auxiliaire des luttes sociales, et non comme sa base et son leadership.

De plus, l’establishment capitaliste, sentant cette faiblesse, est passé à l’offensive contre les idées du socialisme. Leur but a été de masquer l’existence d’une division de classe. Mais surtout l’existence d’une classe potentiellement puissante qui peut agir de manière indépendante et dans l’intérêt de tous ceux et celles qui luttent contre le système. Les capitalistes ont eu un impact réel au cours des dernières décennies, conduisant à beaucoup de déception, de frustration et de confusion parmi les masses de travailleuses, de travailleurs et de jeunes. Cependant, la crise actuelle du système capitaliste, qui n’est pas prêt de finir, est elle-même en train de saper la guerre idéologique contre le marxisme. La lutte des classes – toujours présente – revient dans l’actualité.

Alors que nous célébrons les 200 ans de la naissance de Karl Marx, revoir ses idées sur la lutte des classes et la révolution nous aidera à nous engager dans la lutte.

 

«Oppresseur et opprimé»

Le manifeste du Parti communiste s’ouvre sur la déclaration suivante: «L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes.» Engels précisa plus tard qu’il s’agissait de toute «l’histoire écrite», puisque pour la grande majorité de l’histoire de l’humanité, les sociétés se sont fondées sur la coopération et l’égalité par nécessité. Des conditions primitives et un ethos égalitaire empêchaient l’accumulation de richesse, de propriétés privées et le développement d’une hiérarchie significative au sein des groupes sociaux.

La révolution de ce mode de vie «communiste primitif» a eu lieu avec la domestication des animaux et le début de l’agriculture, il y a environ 10 000 ans. Elle a permis la production d’un surplus permanent pour la première fois. À partir de ce moment, sur des centaines ou des milliers d’années, des divisions de classes sont apparues entre les personnes qui possédaient le surplus, qui devenaient riches, et celles qui ne le possédaient pas, qui devenaient pauvres. Parmi les nouvelles caractéristiques des sociétés de classes plus complexes, technologiquement et culturellement plus avancées, citons:

  • les guerres pour la terre et les ressources,
  • l’esclavage pour l’exploitation,
  • l’État avec ses forces armées pour protéger la propriété,
  • la famille patriarcale pour transmettre des privilèges aux générations suivantes et
  • les soulèvements populaires des classes inférieures, y compris parfois les mouvements révolutionnaires2.

La société divisée en classes sociales a rendu l’inégalité et l’injustice systémiques, alors qu’avant ces situations étaient hors du commun. Des tranches de la société se sont vu refuser les fruits de leur travail collectif par d’autres sections. Les tranches supérieures ont développé des institutions et des justifications idéologiques ou religieuses pour maintenir leurs positions de puissance. Ces élites minoritaires se sont constituées en classes dominantes dans les sociétés précapitalistes: les pharaons, les empereurs, les rois, les sultans, les papes, les tsars et leurs relations et leurs partisans «nobles». Dans les sociétés et les économies qu’ils dominaient sous leurs ordres suprêmes, la lutte des classes était dans un mouvement constant. Une «guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée», comme l’ont dit Marx et Engels, entre l’«[h]omme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés».

Marx n’a pas été le premier à voir la division des classes et la lutte dans les sociétés humaines. Ce qu’il a découvert, c’est la relation entre la lutte des classes et «des phases historiques déterminées du développement de la production». Il s’agit de la clé pour comprendre comment et pourquoi les révolutions se produisent.

 

La lecture matérialiste de l’histoire

Pour Marx, l’étude de l’histoire humaine et de son développement, tout comme l’étude de l’histoire naturelle, devrait commencer par un questionnement sur la façon dont les êtres humains vivent et se reproduisent – comment ces êtres mangent, boivent, dorment et restent au chaud et au sec, peu importe leur environnement. Ces besoins fondamentaux doivent être comblés avant que toute autre activité créatrice, comme l’art, la science ou la philosophie, puisse être poursuivie. Ainsi, le point de départ de l’analyse de toute société est la façon dont elle organise la production de tout ce dont elle a besoin pour exister (le «mode de production»). Ensuite, si cette société peut produire plus que ce qui lui est nécessaire pour exister, comment utilise-t-elle ces ressources supplémentaires? Quels moyens prend-elle pour les produire (les «forces de production»)? Dans une société de classe, qui possède et contrôle les forces de production et de qui sont-elles appropriées (les «relations de production»)?

Passant en revue l’histoire de la société de classe, Marx a noté que si une tendance générale de progrès dans la civilisation était claire, il ne s’agissait pas d’un processus simple, continu et immuable. Ce processus peut régresser, stagner ou progresser (dans le sens de progrès vers une société qui, en théorie, pourrait produire suffisamment pour répondre aux besoins de chacun et chacune). Le développement de la capacité productive de la société est le moteur fondamental de ce progrès. Il a identifié trois principaux modes de production – avec différentes formes hybrides également courantes – à savoir:

  1. Le premier, le mode ancien (l’esclavagisme), est un mode dans lequel les «maîtres» possédaient littéralement des esclaves qu’ils exploitaient dans des économies essentiellement agricoles. Le commerce avait également lieu. C’est le type de sociétés qui existait dans la Grèce antique et à Rome, par exemple.
  2. Le deuxième, le mode féodal (féodalisme), est un système économique basé sur l’agriculture plus avancé et plus répandu. Les relations principales étaient entre les seigneurs propriétaires de terres qui étaient travaillées pour eux et par des serfs qui travaillaient aussi pour eux-mêmes. C’était le mode de production dans la majeure partie de l’Europe jusqu’au 18e siècle.
  3. Troisièmement, le mode bourgeois (capitalisme) où l’industrie et le commerce dominent et où les principales classes sociales sont les capitalistes et les salariés.

Chaque mode de production distinct a ses classes exploitées et ses classes dominantes. Chaque mode a contribué, à sa manière et pour une période déterminée, à l’évolution des forces productives. Les classes dirigeantes, en établissant la suprématie et l’expansion d’un système pour leurs propres intérêts égoïstes, ont également supervisé une rupture avec les anciennes méthodes de fonctionnement. En ce sens, elles ont joué un rôle historiquement progressiste. Mais à certains moments, lorsque les bonnes conditions se matérialisent, des percées technologiques et scientifiques ont lieu. Elles ouvrent la voie à de nouveaux modes d’organisation de la production plus efficaces. Mais ces derniers sont inévitablement contraints par les rapports de classe existants qui sont spécialement adaptés à une structure économique et sociale désormais obsolète. Dans de telles circonstances, le caractère progressiste de la classe dominante n’est plus. Marx l’a exprimé ainsi:

À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale.

Il est intéressant de noter comment cela s’applique au monde capitaliste dans lequel nous vivons aujourd’hui. Prenez juste un exemple, l’agriculture, où les forces productives produisent en fait 50% de plus que ce qui serait nécessaire pour nourrir tout le monde sur la planète et pourtant 815 millions de personnes ont souffert de la faim et de la malnutrition en 2016. La faute revient aux relations de production sous le capitalisme. C’est-à-dire que les profits des capitalistes, et non les besoins de la majorité dans la société, sont tout ce qui importe. En ce sens, cette quête de profit est clairement un frein au potentiel des forces productives. Seule une économie socialiste, démocratiquement planifiée pourrait maîtriser la capacité de production et le potentiel qui existe pour réellement fournir un niveau de vie adéquat pour tout le monde.

Néanmoins, le début d’une «époque de révolution sociale» ne se conclut pas nécessairement par une transition révolutionnaire d’un mode de production à un autre. Une classe sociale montante doit exister, capable de faire bouger la situation et de défier la classe au pouvoir. Toutefois, «la destruction des deux classes en lutte» est toujours possible. Par conséquent, une interprétation mécanique de l’accent mis par Marx sur la production comme force motrice de l’histoire est unilatérale et erronée. Comme Marx et Engels l’ont écrit ailleurs, «L’histoire ne fait rien, elle “ne possède pas de richesse énorme”, elle “ne livre pas de combats”. C’est au contraire l’homme, l’homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats.» Le résultat d’une époque de révolution sociale dépend donc de la lutte des classes.

 

Le rôle de la bourgeoisie

La conception matérialiste de l’histoire de Marx a prouvé que rien n’est fixé, ordonné ou inévitable. Des empires, des dynasties et des systèmes sociaux entiers qui semblaient à un moment tout-puissants et éternels ont disparu. Pour citer Héraclite, l’un des philosophes préférés de Marx, le changement est la seule constante de l’histoire. Marx tenait à en transmettre les implications pour le système social qui prédomine à son époque: le capitalisme. Et à cette fin, il s’est orienté vers la classe émergente des salariés, qu’il considérait comme la seule «classe vraiment révolutionnaire […] de toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie».

Qu’est-ce qui l’a conduit à ce point de vue? Eh bien, Marx était, pour reprendre les mots de son ami Engels, «avant tout un révolutionnaire». Ce qui fait de lui un révolutionnaire, dès son plus jeune âge, est une répulsion instinctive à toute injustice dans le monde. Étant de type studieux (!), il a naturellement mis son esprit curieux au travail pour essayer de comprendre ce monde. Assez vite, il a trouvé la racine de l’inégalité dans la société de classe et dans son incarnation moderne, la société «bourgeoise». Cette dernière, au cours de son règne relativement court, s’était révélée incroyablement dynamique et tout aussi brutale. Cependant, Marx et Engels, dans leurs investigations collaboratives, se sont rendu compte que ce dynamisme est à la fois la principale force du capitalisme et, en même temps, sa principale faiblesse. Ils ont écrit:

Les conditions bourgeoises de production et d’échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. […] Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime […] elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein.

Les méthodes agressives et indisciplinées du capitalisme sont le produit de contradictions internes aiguës. Ces contradictions se traduisent également par des crises économiques périodiques. Mais à la différence des crises du passé qui résultaient de la rareté, les crises de concurrence résultent d’une production trop importante, trop rapide, à un point tel que le marché est débordé. Les profits diminuent et les investissements se tarissent. Ensuite, les effets familiers de la rareté se font sentir alors que les déchets humains et matériels s’accumulent, tandis que le marché tente de s’ajuster. Comme l’explique le manifeste du Parti communiste:

Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises? D’un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives; de l’autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. À quoi cela aboutit-il? A préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir.

Et puis vient le punch:

Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd’hui contre la bourgeoisie elle-même. Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires.

 

Est-ce que le prolétariat de Marx existe toujours?

Marx et Engels ont ensuite affirmé que «avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs».

Avant d’examiner quelles sont les caractéristiques particulières de la classe ouvrière, il vaut la peine de traiter brièvement d’une supposition trop commune faite à propos de Marx et de sa vision de la classe ouvrière et de la lutte. L’affirmation selon laquelle, par exemple, la classe ouvrière que Marx connaissait – celle des usines de Manchester et de Londres au milieu du 19e siècle – n’existe plus et ne ressemble plus du tout à la classe ouvrière de Manchester et de Londres d’aujourd’hui. Par conséquent, ses théories sur le rôle que la classe ouvrière pourrait jouer, admettons qu’elles aient été valables, sont dépassées et ne sont pas applicables dans notre monde moderne.

Bien sûr, il est indéniable que le capitalisme a subi de nombreux changements au cours des 150 ans qui se sont écoulés depuis que Marx a écrit Le Capital. Naturellement, la classe ouvrière a également changé, que ce soit par sa taille, son emplacement ou sa composition. Ces changements sont réels, tangibles et dans certains cas, significatifs. Ils doivent absolument être assimilés avec sérieux par les marxistes d’aujourd’hui. Mais il faut aussi dire que, si Marx avait connu les 150 dernières années, il est peu probable qu’il serait terriblement surpris que de tels changements se soient produits. En fait, incorporée dans sa théorie de la classe ouvrière est la prédiction que sa taille, sa localisation et sa composition évoluent continuellement.

Après tout, il a écrit: «Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité.» Et cela à une époque où la classe ouvrière ne représentait que 2 à 3% de la population mondiale. Du vivant de Marx, la plus grande partie du prolétariat en Angleterre n’était pas des ouvriers industriels robustes, mais du personnel domestique, principalement des femmes. Son point de vue sur la classe ouvrière était basé sur des considérations beaucoup plus générales que les conditions et les expériences spécifiques de n’importe quel secteur particulier de travailleurs et travailleuses.

C’est aussi un fait que les conditions de travail dignes de Dickens auxquelles sont confrontés les travailleuses et travailleurs de l’époque de Marx sont encore bien en place dans certaines régions du monde. Par exemple, l’exploitation du travail des enfants demeure endémique, touchant 168 millions d’enfants en 2012. Par exemple, c’est le cas dans les ateliers clandestins du Bangladesh, où des enfants travaillent 11 heures par jour pour une industrie du vêtement qui rapporte 22 milliards $. C’est aussi le cas dans les mines d’or du Pérou qui rapportent à cette industrie 3 milliards $. 12 Les conditions de travail victoriennes sont monnaie courante même dans les entreprises de haute technologie comme Amazon. Le personnel travaille 55 heures par semaine et est forcé de camper dans les entrepôts parce qu’il n’y a pas assez de temps entre les quarts de travail pour retourner chez soi3.

 

Le précariat: une nouvelle classe sociale?

La précarité est l’une des caractéristiques de la main-d’œuvre d’aujourd’hui. Elle a été soulignée par plusieurs comme une rupture avec la classe ouvrière «classique». L’économiste Guy Standing est probablement le principal représentant du nouveau «précarisme». Il va jusqu’à soutenir que l’individu moderne peu rémunéré, précaire et occasionnel fait partie d’une nouvelle classe ou «d’une nouvelle classe en devenir». Cette nouvelle classe aurait des «relations distinctes de production, de distribution et avec l’État». Par conséquent, il aurait des intérêts distincts de ceux qui occupent un emploi stable et bien rémunéré. Il dit:

Le précariat [ne fait] pas parti de la «classe ouvrière» ou du «prolétariat». Ces derniers termes suggèrent une société composée pour la plupart de travailleuses et travailleurs occupant des emplois de longue durée, stables, à horaire fixe, avec des voies d’avancement établies, soumis à la syndicalisation et aux conventions collectives, avec des titres d’emploi que leurs pères et leurs mères auraient compris, faisant face à des employeurs locaux dont les noms et les caractéristiques leur seraient familiers4.

Le point de vue de Standing sur le prolétariat est donc en contradiction avec le point de vue marxiste. Il a quelque peu arbitrairement rétréci la définition du prolétariat pour exclure une majorité de ceux et celles qui vendent leur force de travail pour gagner leur vie. Il semble que sa définition soit influencée par une vision traditionnelle et culturelle de la classe ouvrière telle qu’elle était dans les années 1950 et 1960 dans le monde industriel avancé, et non pas comme elle l’était avant ou comme elle l’est en réalité aujourd’hui. Dans la mesure où les lieux de travail sécurisés et syndiqués étaient répandus à l’époque, cela ne représentait encore qu’un court instant dans le temps et, même là, il existait de nombreux travailleurs et travailleuses précaires. En effet, les avantages et les droits dont bénéficiaient ces personnes, dont beaucoup jouissent encore, ont été gagnés par la lutte de l’équivalent du «précariat» des années 1920, 1930 et 1940. Depuis, ils ont été défendus par les travailleuses et travailleurs organisés.

La précarité a toujours existé pour la classe ouvrière sous le capitalisme. D’abord parce que les contradictions du système produisent des crises périodiques qui peuvent mettre en danger même des emplois «stables». Deuxièmement, parce qu’il existe une armée de réserve de main-d’œuvre sous la forme de chômeuses, de chômeurs et d’employé⋅es précaires. Les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes au chômage sont opposées au «privilège» des personnes qui ont un emploi. Pour Standing, il serait imprudent pour ces personnes de risquer leur sort puisqu’elles peuvent, au besoin, être remplacées.

Les conditions négatives décrites par Standing, «la précarisation, l’informalisation, le travail en agence de placement, le travail à temps partiel, le faux travail indépendant et le nouveau phénomène de masse du travail participatif» sont très réelles pour de nombreux travailleuses et travailleurs, en particulier les jeunes et les personnes immigrées. La précarité croissante des travailleuses et travailleurs d’aujourd’hui est le résultat direct des politiques néolibérales avancées par les gouvernements de droite du monde entier ainsi que par les déficiences flagrantes des organisations syndicales.

Mettre en évidence ces problèmes et se concentrer sur le sort particulier du «précariat» n’est pas en soi un problème. On a beaucoup de travail à faire pour s’attaquer à la syndicalisation de ces travailleuses et travailleurs. Là où cela devient un problème, c’est lorsqu’une fausse division est créée entre des sections de travailleuses et de travailleurs qui ont, indépendamment des différences sectorielles, des intérêts communs qui se résument le mieux dans l’ancien slogan du mouvement syndical; «une attaque contre un est une attaque contre tous». L’affirmation de Standing selon laquelle le «vieux prolétariat» n’est plus capable d’être révolutionnaire parce qu’il a été acheté par les «pensions» et les «droits du travail» – qui sont en fait attaqués de façon soutenue par les mêmes forces néolibérales – est tout simplement fausse.

 

La classe ouvrière du monde d’aujourd’hui

La vérité est que la définition marxiste de la classe ouvrière, telle qu’elle a été définie au début, inclut tous ceux qui vendent leur force de travail pour vivre et qui produisent la plus-value. Elle englobe une majorité de la main-d’œuvre active de la planète. L’Organisation internationale du Travail place actuellement cette classe à 3,4 milliards de personnes. Dans les trois principaux secteurs de l’économie (services, industrie, agriculture), cette catégorie se répartit comme suit:

  • 75 millions sont des employeurs: grands et (pour la plupart) petits capitalistes qui représentent environ 1% de la population mondiale. Mais, évidemment, seule une fraction détient réellement la richesse et le pouvoir.
  • 1 500 millions de personnes sont considérées comme des travailleurs et travailleuses vulnérables, c’est-à-dire des «travailleurs autonomes» ou à leur compte qui n’emploient pas d’autres personnes. On compte également 400 millions de travailleuses et travailleurs familiaux non rémunérés qui sont apparentés à des personnes à leur compte. Ceci constitue la majeure partie des pauvres de la planète.
  • 1 800 millions de personnes salariées, dont 200 millions sont actuellement au chômage. Beaucoup plus sont sous-employées ou à temps partiel. Certaines reçoivent des salaires exorbitants et ne s’associent pas au reste. Mais cette immense masse de gens peut être considérée comme le noyau de la classe ouvrière mondiale.

Toutefois, la classe ouvrière dans son ensemble comprend également les personnes à la retraite, celles qui travaillent avec un handicap, celles qui exercent un travail indépendant fictif (et certaines autres formes de travail indépendant) et toutes celles qui dépendent de chèques de paie – les parents au foyer, les aidantes et aidants naturels, les jeunes, etc. En tant que classe qui existe en soi, simplement comme matière première pour l’exploitation (non consciente de sa place dans le système ou de sa puissance potentielle si elle est organisée), la classe ouvrière est en fait plus grande qu’elle ne l’a jamais été. Et elle continue de croître. L’urbanisation et l’industrialisation, en particulier dans les pays en développement depuis une trentaine d’années, ont vu la taille de la classe ouvrière augmenter de plus d’un tiers.

La croissance rapide de la population urbaine mondiale en est la preuve. Depuis 1950, elle a plus que quintuplé, passant de 746 millions à 3 900 millions de personnes, représentant aujourd’hui 53% de la population.

 

Le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière

La taille réelle ou relative de la classe ouvrière d’aujourd’hui est un élément important dont les socialistes doivent prendre conscience. Ce n’est pas le fait d’être majoritaire, ou même d’être très grande, qui donne à la classe ouvrière son caractère révolutionnaire. Encore une fois, Marx et Engels ont identifié le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière lorsqu’elle était encore éclipsée par une paysannerie beaucoup plus importante. Mais ce que la taille et la croissance continue de la classe ouvrière illustrent aujourd’hui, c’est la position de plus en plus puissante qu’elle occupe dans la dynamique du développement du système capitaliste. Quelque chose à laquelle aucune autre force sociale ne peut se comparer et qui est essentiel pour briser le système et construire quelque chose de nouveau.

Marx a expliqué que le capitalisme, de par sa nature même, produit d’abord la classe ouvrière et ensuite la rend révolutionnaire. Quelles sont donc les caractéristiques particulières qui confèrent à la classe ouvrière son potentiel révolutionnaire? Sans ordre particulier, elles peuvent se résumer comme suit:

  1. Le capitalisme concentre les travailleuses et les travailleurs dans les grandes villes basées autour des lieux de travail où a lieu l’exploitation visant à extirper la plus-value. La lutte organisée et collective contre cette exploitation est également concentrée d’une manière qui n’est pas possible pour les paysannes et paysans qui sont liés à des parcelles de terre disséminées dans les campagnes. De façon plus générale, les communautés ouvrières comprennent qu’elles ne peuvent résister qu’en établissant des liens avec leur voisinage qui est dans la même situation. Ces processus produisent une conscience de classe collective, bien au-delà de ce que la plupart des esclaves ou des serfs atomisé⋅es ont réussi à faire.
  2. Le modèle économique capitaliste insuffle aux travailleuses et travailleurs un sens de la discipline, de la coopération et de l’organisation de deux manières différentes. Tout d’abord, un certain degré de discipline et de travail d’équipe est exigé des travailleuses et travailleurs par une direction chargée d’extraire le plus de travail possible dans le cadre d’une journée de travail. Deuxièmement, afin d’atténuer les pires excès de ce même régime et l’impact négatif des crises économiques récurrentes, les travailleuses et travailleurs se sont toujours instinctivement coordonnés pour former leurs propres organisations – les syndicats et ensuite les partis politiques indépendants – afin de sauvegarder et de lutter pour leurs droits économiques et politiques.
  3. Les progrès réalisés par le système capitaliste en matière de science et de technologie font de la production et de l’échange des domaines plus complexes. Ils exigent de la masse des producteurs et des distributeurs qu’ils atteignent un niveau plus élevé de compétences de base (lecture, écriture et calcul) et de connaissances pour que la société puisse fonctionner. En outre, les travailleuses et travailleurs ont lutté pour le droit à une éducation encore meilleure, pour eux et elles-mêmes ainsi que pour leurs familles.
  4. Le marché mondial repose sur une division globale du travail qui relie tous les travailleurs et travailleuses. La plupart des marchandises que nous utilisons dans notre vie quotidienne sont le produit du travail non pas d’une seule personne, mais de nombreuses personnes qui utilisent des compétences variées et qui proviennent de régions du monde complètement différentes. La lutte de la classe ouvrière est mondiale.
  5. La libération de la classe ouvrière – qui est l’aboutissement réussi de sa lutte politique et économique – ne peut se réaliser qu’en mettant fin à l’exploitation de son travail sous le capitalisme. Comme le dit Engels: l’esclave «se libère en supprimant, seulement de tous les rapports de la propriété privée, le rapport de l’esclavage, grâce à quoi il devient seulement un prolétaire. Le prolétaire, lui, ne peut se libérer qu’en supprimant la propriété privée elle-même.»
  6. La classe ouvrière est la seule force sociale ayant le pouvoir de contester la domination de la classe capitaliste. Aucune autres classe, groupe ou couche démographique n’a le poids, la cohésion ou l’organisation nécessaire pour prendre la puissance des capitalistes, de leur appareil idéologique et physique (y compris les appareils de surveillance d’État avec leurs agences de renseignement, police et armées).

Ici, il convient de souligner que ce qui précède ne donne à la classe ouvrière qu’un potentiel révolutionnaire. Car il va sans dire que la classe ouvrière est loin d’être dans un état révolutionnaire en tout temps. Le capitalisme a aussi construit ses défenses pour éviter toute menace à sa domination. À la base se trouve l’appareil d’État lui-même (les corps armés). Mais sa défense la plus sophistiquée opère une emprise idéologique grâce à la morale dominante, la culture et les pratiques sociales qui maintiennent la légitimité de son règne (sans parler de son contrôle des médias, de l’éducation, etc.) Comme Léon Trotsky l’a dit, «Celui qui possède la plus-value est le maître de l’État, il a la clé de l’église, des tribunaux, des sciences et des arts». De plus, l’État attise et exploite consciemment les divisions parmi les travailleuses, les travailleurs et les peuples opprimés pour affaiblir ses adversaires naturels.

Tout cela produit des irrégularités dans la conscience – les humeurs, les attitudes et la perspicacité – de la classe ouvrière, qui contrecarre son unité, sa confiance et son pouvoir révolutionnaire.

Bien sûr, la classe ouvrière n’est pas non plus une masse homogène. Depuis son apparition, il y a toujours eu différentes couches dans la classe ouvrière. Une division évidente est celle entre classe ouvrière qualifiée ou non qualifiée. D’une part, son évolution implique l’absorption de certaines parties de la classe moyenne et, d’autre part, des pauvres urbains et ruraux. Son caractère de masse signifie qu’elle est animée par de multiples genres, nationalités, religions, ethnicités et orientations sexuelles. Cela conduit naturellement à de nombreuses nuances d’opinion politique, d’identité, etc. Mais cette classe ouvrière diversifiée, vivante et colorée est organiquement unie par l’exploitation commune d’un ennemi commun qu’elle ne peut combattre que par l’unité et la solidarité dans une lutte commune.

Si elle peut y parvenir, dans les bonnes conditions et avec l’organisation et le leadership nécessaires, alors elle peut faire une révolution. Il s’agit de l’expérience clé pour la transformation socialiste de la société. Marx et Engels ont écrit:

Une transformation massive des hommes s’avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener la chose elle-même à bien; or, une telle transformation ne peut s’opérer que par un mouvement pratique, par une révolution; cette révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles.

 

La lutte devant nous

En vérité, la validité de la théorie de la lutte des classes de Marx a été confirmée par l’histoire du mouvement ouvrier. Sous le capitalisme, la lutte des classes s’est intensifiée. Le 20e siècle a vu beaucoup plus de mouvements révolutionnaires que tout autre, y compris la première révolution socialiste réussie en Russie en 1917 (une révolution qui a été trahie plus tard, mais qui s’est néanmoins produite). Le 21e siècle a déjà connu une crise profonde du système capitaliste. Il a en effet vu sa juste part d’importantes mobilisations de masse de travailleuses, de travailleurs, de pauvres et de jeunes partout dans le monde. Ces mouvements ressemblent à ceux du passé à bien des égards. Mais d’autres sont complètement nouveaux, ce qui apporte de nouveaux défis pour les marxistes.

Aujourd’hui [en 2018], nous assistons à des grèves militantes de la part du corps enseignant aux États-Unis ainsi que des maîtres de conférence en Grande-Bretagne. Cela reflète un processus généralisé de «prolétarisation». Des professions autrefois considérées comme privilégiées ont été écrasées par les agressions néo-libérales sur leurs conditions de travail et leurs membres ont été forcées de s’organiser. Ces grèves dans l’enseignement auraient été inédites à l’époque de Marx.

Tout comme la «grève féministe» de cinq millions de personnes en Espagne à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes en 2018. Elle a suivi l’exemple des femmes en Pologne défendant le droit à l’avortement en 2016. Ces exemples, et beaucoup d’autres dans le monde, montrent que les méthodes et les traditions d’organisation ouvrières et de lutte se remettront en marche sous de nouvelles formes et à un niveau supérieur. Ces méthodes se redéploieront au fur et à mesure que la classe ouvrière affrontera les mêmes inégalités et le même système violent et oppressif qui les a poussés vers la lutte auparavant.

Ce qui est sûr, c’est que les événements les plus importants (et les plus éprouvants) de l’histoire de la lutte des classes se trouvent devant nous, pas derrière. Mais il convient de rappeler le but du mouvement socialiste pour Marx et Engels. Il s’agit de s’engager dans la lutte de classe du côté et en tant que partie prenante du prolétariat, que les socialistes cherchent à rendre conscient des «conditions de leur émancipation». Pour Marx et Engels, l’objectif final du prolétariat consiste à mettre fin à la lutte des classes en balayant «les conditions de l’antagonisme des classes […] et, par là même, sa propre domination de classe […et à] la place de l’ancienne société bourgeoise […], surgit une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous».

C’est ce monde socialiste que les travailleuses et travailleurs doivent gagner.


  1. Pour voir une exposition claire de cette théorie, voir Karl Marx, Salaire, prix et profit, (1865)
  2. Voir Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, (1884)
  3.  Monika Janas, Understanding Wealth Inequality, The Socialist, Issue 113, Janvier 2018
  4.  Guy Standing, The Precariat: The New Dangerous Class, Bloomsbury Academic, 2011, p.6

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