QS/ON : Réussir la fusion, oui, mais à quel prix…?

Le 5 octobre 2017, les porte-paroles de Québec solidaire (QS), le chef d’Option nationale (ON) et la présidente d’Option nationale nous présentaient une entente de principes visant à fusionner les deux partis souverainistes. Depuis ce temps, si plusieurs personnes ont souligné le caractère porteur de l’entente, plusieurs autres mentionnent qu’un trop grand nombre de concessions sont faits au profit des membres et du programme de ON. En réponse, certain-e-s militant-e-s de QS affirment toutefois qu’il est exagéré de parler de « concessions », les membres de ON acceptant de se joindre à nous sans remettre en question toute la structure du parti. Ayant à cœur les principes fondamentaux de QS, je me suis alors demandé si de telles « concessions » sont effectivement présentes dans l’entente.

Tout d’abord, lorsque nous parlons de « concessions », il faut effectivement faire attention et prendre le temps de bien définir le terme. Nous faisons une concession lorsque nous acceptons de « faire passer » une ou plusieurs chose-s qui n’aurai-en-t pas passé en circonstances dites « normales » et qui, corollairement, entrent en potentielle contradiction avec d’autres aspects fondamentaux d’une organisation.

Or, la circonstance « anormale » évoquée est justement l’entente de fusion. Dans l’entente de principes, quelques modifications de programme ou modifications structurelles non-temporaires sont demandées afin de justement favoriser cette fusion : constituante fermée, priorisation de la question nationale au niveau organisationnel et communicationnel (notamment avec les efforts entourant la réédition et la promotion au sujet du Livre qui fait dire oui) et modification de la signature du parti.

D’autres modifications programmatiques, statutaires ou organisationnelles sont aussi demandées, mais sont soit de nature temporaires, soit à déterminer/entériner lors des prochaines instances nationales du parti : ajout de 5 points de plate-forme provenant de ON, appui de candidatures de la part des porte-paroles dans 3 comtés, ajout de postes au CCN, ressources financières supplémentaires en cas d’insuffisance des seuls fonds de ON, organisation d’une Université de l’indépendance et quelques autres points plus mineurs.

Que ces dernières modifications soient temporaires ou à entériner dans un futur proche importe peu considérant le fait que certaines d’entre elles outrepassent certains statuts historiquement adoptés par le parti (notamment l’ajout de deux postes au CCN), ce qui devrait alors être adoptés au deux tiers (comme toute levée de statuts, permanente ou temporaire), séparément du reste de l’entente. Cela ne semble toutefois pas être possible considérant le caractère non-amendable de l’entente. Il s’agit là, d’un point de vue factuel, d’une première concession. Nous pourrions aussi avancer que l’appui des porte-paroles à 3 candidatures électorales de ON, dont une candidature dans un comté « prenable », crée une forme d’ingérence/pression malsaine au sein des membres et des associations locales visées, ce qui n’aurait pas eu lieu sans l’entente. Il s’agirait alors d’une deuxième concession.

Il est vrai que ON, si la fusion est acceptée, accepte le reste du programme et la structure existante du parti. Nous pourrions alors dire que chacun fait « son bout de chemin ». Mais s’agit-il là d’une concession réelle de la part de ON? Ultimement, les deux partis se ressemblent beaucoup au niveau programmatique et les « pierres d’achoppement » principales semblent avoir été traitées dans l’entente, ce qui modifie plusieurs aspects du parti justement en fonction des demandes de ON. Certaines personnes avancent même que l’ensemble des demandes historiques de ON vis-à-vis de QS sont répondues dans cette entente, ce qui fait demander à ces mêmes personnes (dont le militant indépendantiste Patrick Bourgeois [1]) quels sont les gains concrets que QS va aller effectivement chercher avec une telle entente. De plus, compte tenu des ressources, de la place et de la visibilité que QS donne à ON dans cette entente (surtout considérant la récente évolution électorale malheureuse de ce dernier ), il apparaît tout à fait inadéquat de dire que le nouveau « collectif » de ON ne sort pas clairement avantagé de cette entente, malgré le fait que nous « ingérions » leur parti (ce qui n’est pas un gain clair et net sur le plan électoral, le transfert de militant-e-s et de vote étant très incertains).

Certain-e-s membres ont dès lors peur que la question nationale prenne le dessus sur les autres aspects du programme de QS, notamment sur ses caractères anticapitaliste et féministe. Considérant que ON est un parti qui s’est construit en faisant de l’indépendance son principal cheval de bataille, cette crainte n’est pas sans fondement. Sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de voir des membres de ON qui soient justement prêt-e-s à refuser l’entente parce qu’elle ne crée pas un parti unifié qui aurait l’indépendance comme priorité « suprême ». De plus, l’ajout de 5 points provenant directement des membres de ON pour la plateforme de la prochaine élection peut effectivement faire tendre son orientation générale vers une plateforme prioritairement indépendantiste. Toutefois, il est bien écrit dans l’entente que ces ajouts doivent passer le test du congrès de 2017. Néanmoins, on voit bien qu’une telle chose est insidieuse, car le congrès de ON qui traitera de l’entente survient chronologiquement après le congrès de QS. L’entente crée donc une pression externe sur les membres de QS afin que ces derniers acceptent sans broncher les points de plateforme proposés par ON, sous prétexte qu’il faut favoriser la concrétisation de la fusion.

La crainte de la priorisation indépendantiste est aussi valide à plus long terme. En effet, les aspects permanents présents dans l’entente (voir au début du texte) créent de facto une hiérarchisation des différentes valeurs du parti, notamment en conférant à l’indépendance du Québec un statut particulier au sein d’une future Assemblée Constituante solidaire. Nous pouvons aussi penser que les budgets compensatoires octroyés pour la réédition et la promotion du Livre qui fait dire oui puissent être reconduits dans les futures instances nationales du parti unifié. Cependant, comme ON n’a qu’au plus 2000 membres et que QS en a plus de 15 000, il se peut fort bien que les aspects permanents présents dans l’entente ne puissent pas être conservés à plus long terme. Or, on constate ici la contradiction majeure qui traverse l’ensemble de l’entente : si les membres de ON qui décideront de rejoindre le parti unifié après la fusion sont relativement peu nombreux par rapport à ceux et celles présents dans QS, leur poids dans le nouveau parti unifié leur permet difficilement de pouvoir conserver à long terme les aspects permanents présentés dans l’entente, à moins de considérer ces aspects comme inaliénables dans le futur. Une telle avenue ferait en sorte de créer un précédent démocratique très grave dans le parti, soit que les aspects présents dans une entente négociée par un groupe fermé et nommé par le CCN ne sont jamais modifiables par les instances nationales du parti, que ce soit avant, pendant ou après la ratification de ladite entente. En termes de concession démocratique, il serait difficile de faire pire.

Ultimement, le fait de présenter l’entente comme un ultimatum (rien n’est amendable et nous ne pourrons pas y revenir plus tard si ça ne passe pas) nous met dans une situation très fâcheuse. Il est alors valide et pertinent de parler de concessions si une autre entente que celle que nous avons sous les yeux avait pu être rédigée et que cette autre entente n’avait pas incorporé la totalité des éléments mentionnés plus haut. Cependant, il est vrai que nous partions de très loin dans cette négociation, simplement parce que l’échec des pactes électoraux avec le PQ nous « forçait », selon certaines personnes, à réussir la fusion avec ON. Mais tout-e bon-ne négociateur-trice sait qu’il n’est pas du tout optimal d’aller à une table de négociations en se présentant comme étant la partie qui est prête à tout pour arriver à une entente.

Ceci étant dit, réussir la fusion, oui, mais à quel prix…?

Raphael L.

[1] Option nationale, c’est la fin?


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