La colère monte au Québec contre la multinationale Bombardier

L’annonce est venue le 11 mai de la part du manufacturier aéronautique et de transport Bombardier que son président exécutif Pierre Beaudoin démissionnerait de son poste, la plus récente manœuvre de relations publiques que le management de Bombardier a dû entreprendre sous la pression d’une vague de colère manifestée par les citoyen-ne-s québécois-es suite à son plus récent vol de fonds publics.

La misère de Bombardier a débuté le 29 mars lorsque la presse a annoncé que ses dirigeants avaient prévu de s’offrir des augmentations salariales d’une moyenne de 50%, pour un total de $40M en dollars canadiens. Si ces augmentations représentaient le résultat d’une année fructueuse pour Bombardier, ses dirigeants auraient pu empocher les montants en passant inaperçus. Mais la situation est tout autre, l’entreprise étant sur le point de la faillite suite à de nombreux projets d’affaires échoués.

Grâce à son statut de corporation, loin au-delà de celui de simple citoyen, Bombardier a pu se plaindre auprès du gouvernemaman – le Parti libéral – afin d’obtenir une subvention, qui leur a été accordée sous la forme de paiements inconditionnels de $1,3 milliards et $372 millions de la part des gouvernements provincial et fédéral, respectivement. En guise de remerciement envers les contribuables canadiens, Bombardier a ensuite annoncé qu’il procéderait à la mise à pieds de 2000 travailleur-euse-s canadien-ne-s, ainsi que 5500 travailleur-euse-s à l’étranger, avant d’accorder de généreuses augmentations aux dirigeants.

Au Canada, un grand pays avec deux langues officielles, le consensus est difficilement atteint. Mais le pillage évident des fonds publics par Bombardier a su rallier l’opinion publique contre la cupidité corporative à travers le pays, incitant la colère autant chez les francophones que chez les anglophones. Les dénonciations contre Bombardier ont surgi partout dans les médias de masse de façon si virulente que, en date du 31 mars, le Parti libéral et Bombardier ont ressenti l’obligation de livrer une performance conciliatoire face à l’opinion publique : une réprimande pro forma de Bombardier de la part du ministre des Finances du Québec Carlos Leitão, suivi de l’annonce du président exécutif Pierre Beaudoin qu’il renoncerait à son augmentation salariale en 2016.

Ces concessions n’ont pas été en mesure de neutraliser la colère populaire, qui s’est déployée lors d’une petite manifestation devant les bureaux de Bombardier en date du 2 avril. La même journée, le journal télévisé TVA Nouvelles a annoncé qu’un récent sondage montrait qu’un atterrant 93% des Québécois-es désapprouvait des actions de Bombardier. Une deuxième manifestation de plusieurs centaines de personnes a eu lieu une semaine plus tard devant les bureaux du premier ministre une journée après que les partis d’opposition ont perdu un vote à l’Assemblée nationale qui aurait forcé les gestionnaires de Bombardier d’annuler leurs augmentations salariales.

Le 10 avril, Bombardier a fait sa deuxième concession aux citoyen-ne-s du Canada et du Québec : reporter d’une année jusqu’à la moitié de la compensation de 2016 du PDG Alain Bellemare.

En plus des manifestations, 34000 Québécois-es ont signé une pétition demandant au gouvernement québécois de reconsidérer sa subvention de $1,3 milliard de dollars dans le projet chancelant CSeries de Bombardier. La pétition a été présentée devant l’Assemblée nationale par le député de Québec solidaire Amir Khadir. Cependant, le ministre de l’Économie, Dominique Anglade, a mis fin au débat, répondant sèchement que : « ceci n’est pas du tout ce qui était prévu. »

Mais encore, la colère a persisté. Le 8 mai, deux journées avant l’assemblée générale annuelle des actionnaires de Bombardier, les investisseurs institutionnels incluant les Enseignants et enseignantes de l’Ontario, la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs du Québec ont annoncé qu’ils ne voteraient pas pour le président exécutif Pierre Beaudoin à l’assemblée générale.

Une troisième manifestation a été organisée par les partis indépendantistes Québec solidaire et le Parti québécois afin d’envoyer des manifestant-e-s par autobus devant l’assemblée générale annuelle de Bombardier tenue à leurs bureaux à Dorval. Malgré le fait que les investisseurs institutionnels en opposition à la réélection de Pierre Beaudoin n’ont pas eu gain de cause, une indication du niveau de déconnexion entre les investisseurs et l’opinion publique, la critique persistante provenant de la presse a réussi à soutirer une concession finale et symbolique de la part de Beaudoin : sa rétrogradation volontaire de président exécutif vers le poste de président du conseil d’administration.

En avril, le copinage entre Bombardier et les Libéraux a également déclenché un conflit commercial entre les États-Unis et le Canada lorsque le manufacturier aéronautique Boeing a été se plaindre à son propre grand frère – le parti Républicain américain – que les subventions gouvernementales envers Bombardier étaient une forme de concurrence déloyale. Conséquemment, le département du Commerce et la International Trade Commission ont pris la décision d’enquêter sur Bombardier. Le 31 mai, le ministre de la Défense Harjit Sajjlan a riposté en affirmant que Boeing n’était plus un « partenaire de confiance », en demeurant silencieux au sujet de la décision du gouvernement Libéral d’acheter 18 Super Hornet de Boeing.

Le rôle du Parti libéral

Cela n’a rien d’étonnant, le Parti libéral est détesté autant que Bombardier au Québec. Un récent sondage démontre que 67% des anglophones du Québec – la base traditionnelle des Libéraux – considèrent que le parti est corrompu, et ce chiffre monte à 79% chez les francophones. En effet, à part la réprimande symbolique de Leitão, les Libéraux ont ardemment défendu Bombardier, et Trudeau comme Couillard ont tous les deux défendu leurs chums capitalistes dans des points de presse flagorneurs, malgré leur positionnement comme défenseurs de la classe moyenne lors de leurs campagnes électorales. Le rôle des Libéraux comme agents de l’austérité durant les grèves de la fonction publique en 2015 a également eu un grand impact dans la perpétuation de leur réputation d’intimidateur de la classe moyenne. Comme à leur habitude, les Libéraux se sont récemment félicités aux frais des contribuables en se payant une célébration en fin de congrès, avec des boissons et canapés apéritifs qui ont coûté deux fois plus cher que ceux de 2016.

Qu’un parti si détesté arrive à se faire élire est dû au fait que 1) les partis indépendantistes du Québec aliènent les libéraux fédéralistes; 2) il n’y a aucun parti indépendantiste qui arrive à gagner une majorité des appuis; 3) le système électoral emploie le scrutin uninominal majoritaire à un tour; 4) la culture de « sortir les corrompus » est sans choix viable à part l’élection d’un néolibéral provenant d’un autre parti.

L’appropriation ouverte des fonds publics par Bombardier, de connivence avec les Libéraux, vient après une série de coupures draconiennes dans les services publics, dont les Libéraux sont responsables des plus récentes coupures. Ces attaques sur les conditions de vie de la classe ouvrière ont frappé de façon disproportionnée la classe ouvrière et les plus pauvres, qui sont eux-elles-mêmes de façon disproportionnée des immigrant-e-s, des femmes et des enfants. Pour apprécier la totalité de l’hypocrisie libérale, il vaut bien de comparer la tape sur les doigts de Bombardier de la part de Leitão, avec sa réponse que le salaire minimum est « à l’intérieur de ce qui est souhaitable » face au mouvement pour son augmentation à $15/heure durant le Forum social mondial en août 2016, malgré le fait que les chercheur-euse-s indépendant-e-s de l’Institut de recherche et d’informations socio-économique considèrent le $15/heure comme étant un « salaire décent » pour une famille de quatre, alors que le taux est présentement à $11,20.

Avec l’arrivée des élections provinciales de 2018, ce n’est pas surprenant de voir les partis d’opposition indépendantistes, notamment le Parti québécois et Québec solidaire, tenter de saisir un avantage électoral face aux mauvais résultats des Libéraux lors des sondages, en envoyant leurs député-e-s pour se prononcer lors des manifestations contre Bombardier, voire de mobiliser leurs membres à ces manifestations. Mais considérant le clivage de classe qui existe entre les partis indépendantistes, les Libéraux risquent fort bien de remporter une autre élection.

Dans ce contexte, le Parti québécois a sollicité Québec solidaire afin de faire un pacte électoral pour battre les Libéraux. Or, Québec solidaire a rejeté cette proposition avec une majorité de deux tiers lors de son congrès annuel le 21 mai, une décision qui a été vertement critiquée par les médias de masse et par le Parti québécois. « Ce n’est pas la décision que nous souhaitions et nous sommes convaincus que ce n’est pas la décision que les Québécois, la population attendait » a dit Véronique Hivon, députée péquiste à l’Assemblée nationale.

Les socialistes devraient défendre autant l’aspect démocratique que stratégique du refus de Québec solidaire de faire un pacte avec les péquistes néolibéraux, dont la rhétorique devient graduellement plus anti-immigrante et islamophobe depuis sa tentative en 2014 d’établir une Charte des valeurs similaire à celle que le gouvernement français a tenté d’établir quelques années plus tôt. Si plusieurs péquistes s’insurgent contre l’accusation que leur parti est raciste, c’est partiellement parce qu’illes se voient eux-elles-mêmes comme des victimes historiques de préjudice en tant que minorité linguistique et peuple conquis. Mais parce que cette oppression a eu lieu entre deux peuples de descendance européenne, les Québécois-es décrivent leur oppression comme étant linguistique et économique, en non raciste, préférant associer le racisme nord-américain à la situation spécifique des États-Unis.

Cela a comme résultat que le racisme au Québec est peu théorisé et historicisé, ce qui permet à la droite de s’exprimer ouvertement. Les socialistes peuvent jouer un rôle dans le développement d’une conception du racisme au Québec qui est en ligne avec les intérêts de la classe ouvrière.

En dernier lieu, tout en encourageant Québec solidaire pour sa décision de rejet le pacte électoral avec le Parti québécois, les socialistes devraient tenter de pousser Québec solidaire à prendre position en faveur de la nationalisation de Bombardier, la seule manière d’empêcher ses gestionnaires de s’approprier les fonds publics des citoyen-ne-s québécois-es.


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