Victoire électorale de la gauche réformiste en Équateur

Le 2 avril dernier, le candidat de gauche Lenin Moreno, successeur de l’ancien président Rafael Correa, a été élu au 2e tour des élections présidentielles équatoriennes avec un peu plus de 51% des voix après avoir obtenu près de 39% lors du 1er tour de février. Ancien vice-président et figure reconnue au niveau mondial pour sa défense des gens ayant un handicap, lui-même étant paraplégique depuis un tir lors d’un vol en 1998, Moreno proposait la poursuite de la « Révolution citoyenne ». Son adversaire, le banquier millionnaire Guillermo Lasso, a reçu près de 49% des voix lors du 2e tour qui a connu un taux de participation de 83%. Lasso a eu 28% au 1er tour et le camp réactionnaire s’est renforcé avec le soutien de la troisième candidate démocrate-chrétienne Cynthia Viteri ayant fait 16% au 1er tour.

Selon le journal argentin 12 Pagina se basant sur les fuites des Panama Papers, Lasso possède des actifs dans une quarantaine d’entreprises offshores. Il ne pourrait pas se représenter de nouveau à moins de se départir de ces actifs dans les paradis fiscaux. La raison ? Le peuple équatorien a également voter à 55% lors d’une consultation tenu en même temps que le 1er tour que tout candidat à des élections et tous les fonctionnaires publics devront d’ici un an retirer leur argent et leurs biens des paradis fiscaux sans quoi ils seront interdits de candidature ou bien mis à la porte. Une idée à reproduire ailleurs ? Soulignons également que les élections législatives de ce pays plurinational ont porté de nouveau une majorité de gauche avec 74 sièges contre 49 pour les deux partis de droite combinés. Correa avait gagné les présidentielles de 2009 et de 2013 au 1er tour avec 52% et 57% respectivement tandis que l’Assemblée accueillait de fortes majorités de gauche de 59 et de 100 sièges.

Lasso représentait pour la deuxième fois de suite aux élections l’oligarchie historique qui veut revenir au pouvoir dans ce pays de 16 millions de personnes dont l’économie est encore dépendante de l’exportation du pétrole et des produits alimentaires notamment les bananes. La baisse des prix de ces ressources ces dernières années, des divisions au sein des communautés indigènes face à l’exploitation des ressources en Amazonie et des cas de corruption ont minés le dernier mandat de Correa. Lasso s’est servi de cela dans un contexte latino-américain où la gauche se retrouve sur la défensive après avoir connu des victoires retentissantes depuis une dizaine d’années. Le banquier candidat promettait du changement et des opportunités, le nom de son parti CREO, avec des vieilles recettes de privatisation, de productivité à la hausse supposée créer des centaines de milliers d’emplois et des baisses d’impôt favorisant les compagnies, les banquiers et les secteurs liées à l’exportation au détriment de la grande majorité. Il promettait un retour au travail payé à la tâche ou de façon temporaire en s’attaquant à cet acquis sous Correa qui avait éliminé le contrat de travail à l’heure. Tandis que les emplois du secteur public ont connu une croissance de 90 000 postes dont 57 000 en santé et en éducation entre 2006 et 2015 [1], Lasso voulait bien sûr mettre à pied et couper les budgets. Moreno proposait de poursuivre en augmentant le financement de l’éducation post-secondaire qui est le plus élevé d’Amérique latine en proportion du PIB.

Les mesures de Lasso sont celles qui ont été appliquées sous la pression du FMI ayant mené à la crise de 1999-2000 où des millions de personnes ont vu leurs épargnes être réduites puis dévaluées dans un pays sur le bord de la faillite. 2 millions de personnes ont quitté le pays dans une des plus grande vague migratoire jamais vue en Amérique latine et des millions d’autres ont plongées dans la misère. Pour sauver le secteur financier de la faillite, de terribles plans d’austérité exigés par les rapaces du FMI ont été appliqués dans une ampleur rappelant la crise grecque plus récente. Le dollar US a été adopté comme monnaie et est toujours en vigueur malgré les intentions de le remplacer par une monnaie régionale. C’est aussi dans ce contexte que des luttes intenses se sont déroulées et ont ouvert la voie vers les victoires électorales de la gauche depuis 2006.

Entre 2000 et 2005, trois présidents de suite ont été incapables de terminer leurs mandats devant les protestations menées par des groupes indigènes, des syndicats et certains secteurs de l’armée. Pour les élections de 2006 s’est formé Alianza Pais, signifiant Patrie fière et souveraine, regroupant une trentaine d’organisations et de partis politiques issus de la gauche réformiste et ayant plusieurs centaines de milliers de membres aujourd’hui. Défendant la souveraineté du pays et l’intégration régionale par rapport à l’impérialisme US (la base états-unienne situé à Manta sera fermée en 2009 et il sera inscrit dans la nouvelle Constitution l’interdiction de toutes bases militaires étrangères), Alianza Pais promet la renégociation du paiement de la dette et le refus des plans d’austérité du FMI afin de développer les infrastructures et les programmes sociaux pour éliminer la misère et favoriser l’éducation. Correa gagne au 2e tour avec près de 57% des voix.

À travers le processus d’une Assemblée constituante est adopté en 2008 à 64% une nouvelle Constitution démocratique et progressiste. Tirant ses bases à la fois de la révolution libérale de 1895 qui avait mené à la laïcité sous le leadership d’Eloy Alfaro et du « socialisme du 21e siècle » bolivarien, cette Constitution inscrit les droits des nations indigènes et des écosystèmes en favorisant le Buen Vivir, le Bien vivre, également adopté en Bolivie. La condition des déshérité-es s’améliore, notamment la condition des femmes avec par exemple l’accès aux normes du travail pour les 300 000 travailleuses domestiques. Le droit à l’avortement est toujours criminalisé par contre et Correa qui est catholique s’est opposé à des députés de son camp qui voulaient défendre ce droit en 2013 ce qui illustre le patriarcat tenace dans ce continent où seul Cuba, l’Uruguay, la ville de Mexico et Puerto Rico l’autorise. L’Équateur rejoint l’Alliance bolivarienne pour les Amériques en 2009 et une tentative de coup d’État en 2010 fomentée par certains secteurs de la police et de l’armée est contrecarré. Le pays joue un rôle clé en hébergeant Julian Assange de Wikileaks en 2012 dans son ambassade londonien et en faisant de la lutte aux paradis fiscaux une bataille internationale.

Par contre, au delà du papier fondamental et légal que représente la Constitution, le maintien de la dépendance au pétrole et aux autres ressources agricoles et minières à exporter illustre la fragilité économique hérité du néocolonialisme. La faible intégration régionale, le maintien du dollar US, le refus d’aller de l’avant pour nationaliser des secteurs clés comme les banques et les ressources naturelles font en sorte que la « Révolution citoyenne » arrive à un point tournant comme d’autres processus au Venezuela et en Bolivie qui sont allés plus loin dans leurs réformes. Rejetant auparavant le projet de libre échange avec l’Union européenne et les pays des Andes, voilà que l’Équateur l’a ratifié en décembre 2016 ce qui accentuera la dépendance aux exportations.

De plus, l’auto-organisation des masses laborieuses et la création d’un nouveau pouvoir n’est pas favorisé et est même vu comme une menace. Plusieurs organisations écologistes, indigènes, féministes, certains syndicats, notamment en enseignement, qui supportaient Alianza Pais ont contesté des décisions et des mesures qui ont creusées un clivage. Si certains leaders se sont ralliés à la droite, Correa a rejeté systématiquement toute critique de la base populaire ce qui contredit l’essence même de tout projet de transformation sociale. C’est pourquoi un autre candidat de plusieurs organisations de gauche critique du bilan de Correa s’est présenté et a récolté 6,7% des voix au 1er tour. Certaines de ces composantes ont ensuite appelé à l’abstention, mais d’autres ont appelé à voter pour la vieille élite. Le PCMLE stalinien a catégorisé le corréisme autoritaire et corrompu comme étant la principale menace pour les travailleurs et a donc appelé à voter Lasso au 2e tour[2]. C’est aussi le cas du Front uni des travailleurs réunissant la majorité des syndicats qui vont jusqu’à affirmer qu’il est préférable de voter Lasso que de s’abstenir car cela favorisera Moreno.[3] Ce n’est clairement pas une solution et il s’en est fallu de peu pour que cela arrive le 2 avril dernier. Garder son indépendance face au gouvernement Moreno s’avère néanmoins essentiel en étant au service des revendications populaires et ouvrières dans une perspective réellement de gauche, c’est-à-dire anticapitaliste pour construire un véritable projet socialiste démocratique au niveau continental et international.

Guillaume M.


Notes :

[1] Centro http://www.celag.org/moreno-viteri-y-lasso-un-analisis-de-los-planes-de-gobierno/
[2] http://www.pcmle.org/EM/spip.php?article8062
[3] http://www.pcmle.org/EM/spip.php?article8078


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