Retour sur la manif de 4 mars du CCCC

Contre-manifestation en opposition à l’extrême droite canadienne et québécoise

Samedi, le 4 mars, à Montréal, le groupe nouvellement créé Canadian Council of Concerned Citizens s’est réuni sous un froid mordant pour manifester contre la motion M103 condamnant l’islamophobie. Ils ont eu droit à une contre-manifestation organisée par des groupes de gauche radicale incluant Alternative Socialiste, le réseau Resist Trump et le Parti communiste révolutionnaire. Quoique la presse a estimé un total d’environ 400 personnes divisées également entre les deux camps, j’estime plutôt que la contre-manifestation paraissait plus large par environ 50 à 100 personnes.

Quoiqu’il n’y eût aucune présence visible du CCCC en tant que tel, il y avait plutôt une grande quantité de drapeaux arborant les enseignes des groupes d’extrême droite La Meute et Pégida-Québec, la branche locale du groupe anti-immigrant d’origine allemande.

Les manifestants et contre-manifestants ont rapidement été séparés par les forces policières présentes en grand nombre. Les contre-manifestants ont scandé des slogans tels que « bienvenue aux immigrants », « tout le monde déteste les fascistes » et le slogan de la guerre civile espagnole « no pasarán ».

Après deux heures d’affrontement, les forces de la droite ont débuté leur marche, avec une partie des forces de la gauche marchant à distance.

Cette manifestation, une parmi tant d’autres organisées à travers le Québec et le Canada la même journée, marque le retour de l’extrême droite, qui a été largement discréditée après le meurtre de six hommes musulmans dans une mosquée de la ville de Québec il n’y a que six semaines. Suite à l’incident, un porte-parole de La Meute a dénoncé la fusillade, une déclaration en ligne avec leur positionnement officiel contre les discours racistes. Mais la rhétorique présente sur leur site web – un mélange toxique d’islamophobie, de nostalgie et de populisme de droite – relève du genre de propos avancé par le Front National en France, que la Meute admire ouvertement. Comme la chef du FN, Marine Le Pen, La Meute cherche à se montrer raisonnable et conciliante afin de rejoindre un plus grand auditoire. Mais leur dissociation du massacre de Québec doit être remise dans le contexte de leur rhétorique globale, ainsi que dans celui de l’islamophobie montante que l’on ressent à travers le Québec et le Canada et dont peut témoigner Iqra Khalid, membre du parlement provenant de Mississauga en Ontario, qui a reçu des milliers de messages haineux et menaces de mort après avoir initié la motion 103.

Malheureusement, l’article ayant couvert la manifestation dans le La Presse semble prêt à reconnaître les prétentions pacifistes de La Meute, décrivant leur comportement comme « calme » et saluant le fait de n’avoir « tenu aucun discours raciste pendant la durée du rassemblement ». De l’autre côté, l’article critique les forces antifascistes pour avoir « scandé de nombreux slogans accusant l’autre camp d’être ‘fasciste’ et ‘raciste’ ». Mais un groupe qui fait l’amalgame entre musulmans et islamistes, tout en voyant la présence des musulmans au Québec comme une menace à sa démocratie, est raciste, et les manifestants de la gauche ont raison de le dire.

Dans ce climat, le Québec a gravement besoin d’une mesure comme M103 à l’échelle provinciale, car cela enverrait un message clair condamnant l’islamophobie et accueillant les musulmans tout en isolant l’extrême droite. Hélas, seulement quelques semaines après les horreurs de Québec, le gouvernement libéral a décidé de remettre le projet de loi 62 de l’avant, une mesure ayant comme but de renforcer la laïcité de l’État et d’interdire le port de vêtements pouvant couvrir le visage pour les juges, policier-ère-s et gardien-ne-s de prisons. Les premières versions du projet de loi avaient été fortement influencées par le rapport de la Commission Bouchard-Taylor, qui appelait pour l’interdiction du port de « symboles religieux » par des « personnes en position d’autorité ». Mais après la tuerie de Québec, un des auteurs du rapport, Charles Taylor, un important philosophe canadien, a révélé dans une entrevue avec Radio Canada qu’il ne supportait plus sa position originale contre le port de symboles religieux, car cela « stigmatisait » les musulmans.

Malgré l’ouverture politique claire offerte par Taylor, les trois partis de l’opposition, soit le Parti Québécois, la Coalition Avenir Québec et Québec Solidaire, ont collectivement proposé un amendement au projet de loi 62 qui retient les propositions initiales de Bouchard Taylor, incluant l’interdiction sur les vêtements, une décision qui a été vigoureusement dénoncée par le premier ministre libéral Philippe Couillard.

Pourtant, l’engagement de Couillard envers la laïcisation a rapidement été exposé lorsqu’un crucifix a été retiré d’un hôpital de la ville de Québec suite à une plainte. Face aux revendications de la droite et de l’Église catholique, Couillard a capitulé, affirmant que nous ne pouvons pas « tourner le dos à notre patrimoine » et permettant au crucifix d’être réinstallé dans l’institution publique.

En plus d’envoyer des messages incertains et confus, les grands partis politiques ainsi que les syndicats ont effectivement délégué la responsabilité de combattre l’extrême droite aux forces de la gauche radicale, à un moment où les récents sondages démontrent que 55% des Québécois voudraient que le Canada mette fin à l’immigration. En même temps, le fait que l’extrême droite canadienne et québécoise se réunit sous le voile du CCCC met en évidence leur force grandissante. Afin de faire face à ces défis, la gauche radicale devra mettre de l’avant des revendications unificatrices que pourront partager tous les autres groupes. Cela nécessitera l’abandon de la « diversité des tactiques » prônée par certains groupes de la gauche. Il sera également nécessaire d’élargir les forces combattant l’extrême droite. Cette unité demeure une question cruciale pour le Québec et le reste du Canada en ce moment.

Pour lire la version originale anglaise de cet article :Counter protest against far-right


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