La lutte pour le salaire minimum à 15 dollars au Québec

La lutte pour le salaire minimum à 15 dollars au Québec : les travailleurs du Vieux-Port de Montréal rejettent l’offre de l’employeur et souhaitent poursuivre leur grève

« Après 100 jours de grève, les 300 employés fédéraux du Vieux-Port de Montréal n’ont pas réussi à obtenir une augmentation de salaire et le paiement de jours de congé de maladie » précise Konrad Lamour, président du Syndicat des employé.es du Vieux Port de Montréal – local 10333 – de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Konrad Lamour décrit la mauvaise proposition faite par l’employeur, la Société du Vieux-Port de Montréal à lui-même et à ses collègues :

« Ces deux principales demandes auraient fait de nous des travailleurs de la classe moyenne. Lorsque l’on considère les promesses électorales faites par le gouvernement Trudeau, promesses qui lui ont permis de remporter les dernières élections fédérales, on ne peut être que profondément déçus. »

Le rejet de l’offre par les travailleurs du Vieux-Port, qui a fait suite à plusieurs échanges acrimonieux entre le mouvement et le gouvernement libéral du Québec, représente la plus récente escalade dans la lutte pour le salaire minimum à 15 dollars de l’heure au Québec et au Canada.

Le 13 août, à la suite d’une manifestation organisée à Montréal pour l’obtention du salaire minimum à 15$, manifestation à laquelle ont pris part des centaines de personnes, Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec, déclarait publiquement que 10,75 $ de l’heure était un salaire minimum suffisant. La manifestation avait pour objectif de rassembler les participants du Forum social mondial et les travailleurs du Vieux-Port de Montréal, dont 40 % gagnent moins de 15 $ de l’heure. Françoise David, porte-parole de Québec solidaire, s’est adressée à la foule en ces termes : « le salaire minimum à 15 $ de l’heure s’impose maintenant »

Une semaine plus tard, le syndicat a répondu à la déclaration du ministre Leitão lorsque plus de 50 travailleurs du Vieux-Port ont investi ses bureaux. « Le ministre Leitao a poussé le bouchon un peu loin la semaine dernière en affirmant que le salaire minimum actuel était approprié. Cette déclaration a soulevé l’ire de nos membres en grève », souligne Magali Picard, vice-présidente exécutive régionale de l’AFPC-Québec.

La même journée, le premier ministre Philippe Couillard, adoptant la position du « gentil flic » pour faire contrepoids au mauvais rôle joué par son ministre, a appelé à un débat sur le salaire minimum à 15 $ de l’heure pour « examiner les expériences qui ont été menées ailleurs », sans aucunement prendre clairement parti sur la question. Parallèlement, des articles au sujet de la campagne pour l’obtention du salaire minimum à 15 $ de l’heure sont parus presque quotidiennement dans les principaux journaux québécois lapresse.ca et ledevoir.com.

La grève des travailleurs du Vieux-Port de Montréal, un site historique célèbre et un des lieux parmi les plus touristiques au Canada, a fourni un appui supplémentaire au mouvement pour l’obtention d’un salaire minimum à 15 $ de l’heure. Les travailleurs du Vieux-Port sont en grève depuis le 27 mai et, s’ils sont parvenus à faire fermer certaines exploitations phares du Vieux-Port comme le Centre des sciences, le Port d’escale et la plage, des dizaines de concessions privées continuent de fonctionner depuis le début du conflit grâce au recours à des briseurs de grève.

La lutte des travailleurs du Vieux-Port incarne désormais la bataille pour l’obtention du salaire minimum à 15 $ de l’heure et contre le travail précaire au Québec et au Canada.

Interdits par une injonction d’entrer sur les lieux du Vieux-Port, les travailleurs manifestent depuis le début du conflit de six à sept jours par semaine aux abords de leur lieu de travail en scandant « Un rattrapage urgent, pour un salaire décent!» Depuis le départ, ces travailleurs ont associé leur grève à la lutte plus générale pour l’obtention du salaire minimum à 15 $ de l’heure, notamment en organisant des actions de plus grande envergure, le 15 ou aux alentours du 15 de chaque mois parallèlement et en solidarité avec la campagne globale de lutte pour l’obtention du 15 $ minimum en Amérique du Nord.

Bien qu’ils soient employés par le gouvernement fédéral, les travailleurs du Vieux-Port sont considérés comme étant des « employés fédéraux » et non pas des « fonctionnaires », ce qui permet au gouvernement de faire appel à des agences privées pour sous-traiter leurs emplois. Dans ce contexte, l’employeur, la Société du Vieux-Port de Montréal est une filiale de la Société immobilière du Canada, une « société d’État ». Les travailleurs du Vieux-Port sont syndiqués auprès de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui compte 180 000 membres au Canada.

Si les travailleurs du Vieux-Port n’ont pas obtenu un contrat satisfaisant, ce n’est pas par manque d’ingéniosité tactique. Jacques Fontaine, un des membres de l’équipe de négociation cite certain des actions entreprises par les grévistes à ce jour:

En tant que petit groupe confronté à d’importants défis, nous avons décidé très vite de nous joindre au mouvement pour l’obtention du salaire minimum à 15 $ de l’heure afin d’avoir du soutien. Cette relation a en fait représenté un des points forts dans une lutte qui s’est avérée très difficile. Durant les négociations nous avons mené sans relâche des actions afin de mettre de la pression sur notre employeur : piquetages devant les bureaux de la Société immobilière du Canada à Toronto et à Ottawa, rencontres avec les députés locaux du parti libéral et manifestations lors des événements médiatisés comme la fête du Canada, le triathlon international de Montréal et diverses autres activités organisées au Vieux-Port.

Les employé.es du Vieux-Port ne sont pas seuls travailleurs syndiqués au Québec à être en grève pour l’obtention du salaire minimum à 15 $ de l’heure: 3 000 travailleurs du Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES), employés par 38 maisons de retraite privées ont entamé une grève à durée indéterminée le 21 juin, après avoir fait trois jours de grève tournante d’une journée. À l’instar des travailleurs du Vieux-Port, le SQEES est membre de la Fédération des Travailleurs du Québec, qui a lancé sa propre campagne, Minimum 15, le 1er mai. Le SQEES a désormais obtenu un contrat de travail. Leur victoire a encouragé ceux qui espèrent obtenir gain de cause, au moins d’ici 2022, comme cela est indiqué dans les demandes faites par la coalition Minimum 15. Toutefois, malgré une mobilisation importante, les travailleurs du SQEES accusent du retard par rapport à leurs homologues du secteur public qui gagnent un peu plus de 20 $ de l’heure après quatre ans de service.

Il est intéressant de comparer les tactiques et les défis inhérents aux deux luttes. Contrairement aux travailleurs du Vieux-Port, les travailleurs des maisons de retraite de la SQEES n’ont pas fait face aux briseurs de grève. Toutefois, étant donné que ces travailleurs fournisseurs des services essentiels, ils sont assujettis à la loi du Québec qui leur interdit de faire plus de 42 minutes de grève par jour. Par ailleurs, les travailleurs du Vieux- Port, qui ne représentent en nombre qu’un dixième des travailleurs du SQEES, ont tenté de remédier à leur infériorité numérique en s’adressant aux forces de gauche indépendantes, ce que n’a pas fait le SQEES. Tous ces travailleurs se sont toutefois soutenus mutuellement en prenant part aux actions organisées par les deux groupes. Québec solidaire, le parti indépendantiste de gauche a appuyé ouvertement les grévistes en participant à leurs actions et, plus récemment, en unifiant les différentes coalitions de gauche – 15plus.org, l’Industrial Workers of the World (IWW) et le centre des travailleurs immigrants – sous l’égide de « 15maintenant ».

S’il reste encore à voir où les choses mèneront, la centralisation des forces de gauche au sein de la coalition 15 maintenant, avec l’appui de Québec solidaire, constitue une avancée majeure pour l’unification des anarchistes, des socialistes et des divers autres militants. Il y a un an, l’arène politique était totalement différente. À ce moment-là, QS soutenait officiellement l’instauration d’un revenu minimum garanti et ne s’était pas prononcée en faveur du salaire minimum à 15$ de l’heure. Les forces indépendantes de gauche ne s’entendaient pas pour décider s’il fallait ou non travailler avec QS et de quelle manière, les anarchistes – les plus nombreux – évitant de s’associer avec tout parti politique, y compris Québec solidaire. Incapables de rallier à leurs vues les militants de l’IWW, les membres d’Alternative socialiste, de la Ligue communiste et de divers autres groupes communautaires ont créé 15plus.org pour lancer une pétition demandant l’instauration du salaire minimum à 15 $ de l’heure maintenant, montant devant être indexé sur le coût de la vie.

15plus.org a également contribué à la campagne et aux élections partielles (en milieu d’année) de la candidate de Québec solidaire à la députation provinciale Marie-Eve Rancourt, qui s’est prononcée en faveur du salaire minimum à 15 $ de l’heure avant même que cette revendication ne soit appuyée officiellement par son parti. Si Marie-Eve Rancourt a perdu l’élection, QS a vu son vote passer de 10 % à 20% par rapport à la dernière élection. Lorsque, au printemps, la Californie, l’Oregon et New York ont adopté des plans relatifs au salaire minimum à 15 $ de l’heure, la pression s’est accentuée sur Québec solidaire pour que le parti prenne position en faveur de cette revendication.

Cette campagne a également été déterminante pour montrer quel parti pour l’indépendance au Québec défend les intérêts du 99 %. Lorsque Karl Philippe Péladeau, magnat de la presse et milliardaire, a quitté la tête du Parti québécois (centre droit), en avril, il a semblé pour un bref instant que le PQ pourrait adopter une orientation politique plus progressiste, notamment en collaborant avec Québec solidaire. Ces espoirs ont bien vite été déçus lorsqu’à la fin du mois d’avril, la députée de QS Manon Massé a déposé à l’Assemblée nationale du Québec une motion en faveur de l’instauration d’un salaire minimum à 15 $ de l’heure, motion qu’aucun parti politique n’a appuyée.

Ses espoirs d’alliance avec les grands partis politiques anéantis, QS a été contraint de collaborer avec les forces de gauche du mouvement 15+. QS a saisi l’occasion politique et appuyé la pétition 15plus.org, et ses exigences radicales portant sur le « 15 $ maintenant » montant indexé au coût de la vie. Si le mouvement 15+ était déjà parvenu à lui seul à rassembler 1 000 signatures pour la pétition, l’appui de QS a permis d’étendre de façon significative la portée politique de la pétition et les exigences radicales qu’elle contient, comme l’explique Julien Daigneault, porte-parole de 15+ :

En appuyant notre pétition, Québec solidaire contribue à légitimer davantage les demandes liées à la revendication du 15 $ de l’heure maintenant avec une indexation correspondant à l’augmentation du coût de la vie. De plus, en révélant le manque flagrant d’appui à cette revendication de la part des grands partis politiques, QS a mis en évidence le fait que ces derniers n’ont rien à offrir aux travailleurs. La pétition est également un outil politique pratique pour les groupes individuels qui souhaitent la présenter dans leurs institutions scolaires et en milieu de travail tout en contribuant à un projet politique commun.

Lorsque la FTQ a lancé sa propre campagne le 1er mai pour exiger un salaire minimum à 15 $ de l’heure en 2022, avec des minimums plus bas dans les régions rurales, comme l’a fait l’Oregon et New York, elle s’était déjà positionnée comme à la droite du mouvement. Peu après, les 400 000 membres de la Confédération des syndicats nationaux lui ont emboité le pas en évitant de préciser les dates et les échéances applicables au 15 $ de l’heure.

Pour les organisateurs qui favorisaient une approche plus centralisée, la mise sur pied de 15 maintenant a représenté une chance de se pencher sur des questions politiques plus profondes se posant à la gauche à la suite du mouvement Occupons, particulièrement dans le contexte de l’après-mouvement québécois du printemps érable: il est temps de repenser la stratégie de la « diversité des méthodes tactiques ». C’est un moyen pratique de dissimuler nos différences, sans travailler ensemble efficacement, de manière beaucoup moins démocratique », précise Bruno-Pierre Guillette, membre de 15plus.org et délégué syndical de la Fédération de la santé et des services sociaux, dont la fédération tutélaire, la Confédération des Syndicats Nationaux, a lancé sa propre campagne pour l’obtention du 15 $ de l’heure, assortie de l’exigence suivante : obtention « le plus rapidement possible » du salaire minimum à 15 $ de l’heure.

15maintenant a commencé à organiser une action pancanadienne pour l’obtention du salaire minimum à 15$ de l’heure, action qui aura lieu le 15 octobre. Les signatures recueillies alors que la pétition était en ligne du 28 avril au 28 juillet – période de temps permise par la loi, seront présentées à l’Assemblée nationale, l’Assemblée législative provinciale à Québec, le 19 septembre. Entre-temps, la pétition est entrée dans une seconde phase : une campagne éclair est prévue pour la rentrée des classes en vue de recueillir un total de 15 000 signatures sur les campus de McGill, de Guy Concordia et de l’Université du Québec à Montréal jusqu’à la journée d’action du 15 octobre.

L’élargissement de la lutte pour l’obtention du 15$ de l’heure à bon nombre de campus montréalais indique à quel point l’enjeu se propage comme un feu de brousse et sert de véhicule pour faire le lien d’une lutte à l’autre au Québec. Heather Holdsworth, étudiante à McGill et membre du Syndicat des employé(e)s occasionnels de l’université McGill et de McGill for 15 and Fairness, décrit la façon dont la pétition est utilisée pour organiser les travailleurs étudiants: « notre mouvement pour l’obtention d’un salaire minimum à 15 $ de l’heure à McGill est né à partir d’un réseau de différents syndicats et groupes unifiés au sein des milieux de travail sur les campus. Nous souhaitons avant tout faire bien comprendre à nos collègues travailleurs étudiants ce que cela signifierait pour nous de gagner un salaire minimum de 15 $ de l’heure comparativement au salaire actuel minimum de 10,75 $ et de mettre fin à la précarité dans nos milieux de travail. ».

En recourant de façon flagrante à des briseurs de grève et en refusant d’accorder à ses employés un salaire décent et des journées de maladie, la Société du Vieux-Port de Montréal et le Vieux-Port de Montréal ont révélé jusqu’où était prêt aller le 1 % pour maintenir les salaires au plus bas. Parallèlement, cela prouve le manque total de volonté des principaux partis québécois à lutter contre l’austérité néolibérale qui a été imposée aux personnes qui ont voté pour ces partis et le rôle essentiel que les forces populaires de gauche peuvent jouer pour infléchir le discours, particulièrement en travaillant avec un parti de gauche comme QS.


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