Élections irlandaises: L’establishment en déroute tandis que la gauche progresse

Le gouvernement de coalition entre le Fine Gael (FG) et le Labour Party a reçu une véritable claque à l’occasion des élections générales de ce 26 février. La profonde colère de classe ressentie contre la politique d’austérité et, plus particulièrement, contre la trahison du Labour Party a poussé les électeurs à infliger une cuisante et humiliante défaite à ces deux partis.

Les résultats montrent que le Labour a perdu au moins les trois quarts de ses sièges et n’a remporté que 6,6% des votes. Soit une baisse de près de 20% par rapport à 2011. Le Fine Gael a perdu plus de 10% et plus de 16 sièges. Le paysage politique est totalement chamboulé et fragmenté, avec également la montée en puissance d’une nouvelle gauche socialiste.

« Laissez la relance économique se poursuivre »

Les partis gouvernementaux ont mené une campagne électorale désastreuse. En dépit des sondages qui n’ont pas montré clairement de perspective d’un gouvernement alternatif, le soutien du FG et du Labour a systématiquement baissé au fur et à mesure qu’approchait le jour du scrutin. Les partenaires gouvernementaux ont cherché à se présenter comme la seule option viable en menaçant les électeurs du chaos que représenterait n’importe quel autre choix à la «stabilité» qu’ils pouvaient seuls garantir.

Ils n’ont cessé de répéter : «laissez la relance économique se poursuivre», selon l’idée que le gouvernement serait parvenu à extraire l’économie irlandaise du marasme et qu’il devait par conséquent être autorisé à poursuivre son travail. Ce slogan a connu un flop retentissant.

Ainsi, comme l’a expliqué l’Anti Austerity Alliance (au sein de laquelle est activement engagé le Socialist Party – section du CIO en Irlande), ce discours basé sur une reprise économique contrastait massivement avec la réalité et l’atmosphère présente dans les quartiers ouvriers du pays. Ces communautés ont été durement frappées et dévastées par les années successives de politique d’austérité durant la récession, mais la «reprise» du capitalisme irlandais leur est passée au-dessus de la tête. Tous les avantages de cette reprise ont été empochés par le 1% au sommet de la société alors que les conditions de vie de la majorité de la population stagnaient.

Plutôt que d’inspirer la foi dans les partis au pouvoir, ce slogan et cette idée ont plutôt renforcé les sentiments d’amertume et d’injustice parmi les masses aux prises avec la lutte quotidienne pour parvenir à joindre les deux bouts et face au constat des inégalités profondément ancrées dans cette prétendue reprise économique.

Voilà la toile de fond derrière les malheurs et misères du gouvernement aux élections. Les menaces de «la stabilité ou le chaos» n’ont en rien amenuisé l’ardente volonté de connaître un changement. L’état d’esprit anti-establishment qui existe dans la classe ouvrière en Irlande était suffisamment enraciné pour vivement couper court au chantage et à l’alarmisme du gouvernement.

Une crise sans précédent de l’establishment politique

Ces élections plongent le capitalisme irlandais dans une crise profonde, selon des lignes déjà observées dans d’autres pays européens touchés par la crise, comme l’Espagne et la Grèce. Les partis de la domination capitaliste sont en crise après avoir subi le test de la pratique et ne peuvent tout simplement plus continuer à arriver au pouvoir en alternance pour assurer la «stabilité» du système de marché.

En Irlande, cela s’exprimait historiquement par la domination de deux partis conservateurs de droite, le Fianna Fail (FF) et le Fine Gael, aux côtés du Labour. Ces partis ont régulièrement monopolisé à eux seuls environ 90% de l’espace électoral. Mais cette fois-ci, le Fianna Fail et le Fine Gael ont obtenu moins de 50% des voix ensemble tandis que le Labour était décimé. Les suffrages restants sont fortement dispersés, avec 30% des voix en faveur d’indépendants et de petits partis et un peu moins de 14% pour le Sinn Fein.

Le Sinn Fein

Le Sinn Fein a renforcé son soutien électoral ainsi que son nombre de sièges, mais bien en deçà des attentes. L’an dernier, il avait dépassé les 20% dans les sondages et était même considéré capable de contester la place du Fianna Fail comme second parti du pays. Sa direction se présentait comme le potentiel leader du prochain gouvernement. Mais il s’est retrouvé avec moins de 14% des voix, soit environ 10% derrière le FF, et a même perdu un certain nombre de circonscriptions clés, y compris au bénéfice de la gauche socialiste.

Traqué par la presse et les partis de l’établissement au sujet de questions historiques et de sécurité, le Sinn Fein a fait l’effort de courtiser les faveurs de l’establishment pour prouver qu’il pouvait être «responsable». Alors qu’il voulait se présentait comme une véritable alternative à gauche, il a limité son programme électoral à «l’espace fiscal» autorisé par les règles restrictives de la troïka européenne, excluant ainsi dans les faits l’arrivée d’un véritable changement tel que désiré par les travailleurs. Il a également courtisé les partis de l’establishment en tant que potentiel partenaire de coalition, refusant même d’exclure de conclure un accord avec le FF (une possibilité rendue impossible par la réalité des résultats électoraux).

Sur la question clé de la nouvelle taxe qui vise à en finir avec la gratuité de l’eau, qui a déclenché un mouvement de masse au cours de ces dernières années, le Sinn Fein s’est vu exposé au grand jour et même dépouillé par la véritable gauche, en particulier par l’Anti Austerity Alliance. Les travailleurs et les jeunes les plus conscients, ceux qui ont joué un rôle actif dans le mouvement de masse contre la taxe sur l’eau et l’austérité de manière plus générale, ont eu tendance à favoriser ceux qui avaient construit le mouvement et l’avaient dirigé sur ceux qui avaient limité leurs efforts à une timide assistance parlementaire. C’est ce qu’illustrent les résultats électoraux et les gains substantiels pour l’Anti Austerity Alliance (AAA) et le Socialist Party dans les circonscriptions clés que sont Dublin Ouest, Dublin Sud-Ouest et Cork North Central.

Croissance de la gauche socialiste

La crise capitaliste actuelle a conduit à la disparition du Labour Party fondé par le marxiste James Connolly, devenu depuis un vicieux instrument au service des patrons et des marchés. Mais la situation actuelle est aussi marquée par l’émergence d’une nouvelle gauche dans laquelle les socialistes révolutionnaires jouent un rôle clé et qui est d’ores et déjà prête pour de nouvelles percées.

L’AAA, en alliance avec People Before Profit (PBP), a constitué le plus sérieux défi de la gauche à l’échelle nationale de l’histoire de l’État dans ces élections, en se présentant dans plus de 30 circonscriptions. L’alliance a remporté 4% des votes nominatifs de premier choix en ne se présentant que dans un peu moins d’un tiers des circonscriptions. Il s’agit d’un excellent résultat pour une nouvelle initiative socialiste combative.

L’Anti Austerity Alliance a réélu avec succès les membres du Socialist Party Ruth Coppinger (Dublin Ouest) et Paul Murphy (Dublin Sud-Ouest) tout en réalisant une percée impressionnante en parvenant à faire élire un autre membre du Socialist Party, Mick Barry, à Cork North-Central. Il s’en est également fallu de peu (270 voix) qu’un siège soit également conquis dans la ville de Limerick avec Cian Prendiville, ce qui aurait été le choc des élections. Cela provient de la campagne fantastique qui a été menée, mais aussi de la reconnaissance du rôle de premier plan joué par le Socialist Party et l’AAA dans la construction du mouvement contre la taxe sur l’eau.

L’alliance People Before Profit a également remporté 3 sièges, ce qui signifie qu’un bloc de 6 députés pourra être constitué. Cette plate-forme sera d’une aide précieuse pour la lutte contre l’austérité du prochain gouvernement.

Un gouvernement de coalition Fine Gael – Fianna Fail serait désastreux pour la classe des travailleurs en Irlande. Les mouvements de masse qui ont ébranlé le précédent gouvernement devront redoubler d’efforts. Le Socialist Party et l’AAA orienteront leur attention vers la construction de ces mouvements afin d’assurer l’abolition de la taxe sur l’eau et d’arracher un refinancement public massif des soins de santé, de l’enseignement, des logements et l’amélioration des conditions de vie des masses.

Cette lutte doit nécessairement étendre ses objectifs au-delà de «l’espace fiscal» des capitalistes et de la troïka. L’économie doit être réorientée pour satisfaire les besoins de la population au lieu des profits de quelques-uns. Seules des politiques de type socialiste, basées sur la propriété publique démocratique des secteurs clés de l’économie, représentent une alternative au règne des multinationales. Le soutien pour de telles politiques peut rapidement se développer avec l’aide de la nouvelle gauche socialiste combative qui se lève pour remplacer les vendus du Labour Party.

Danny Byrne, Comité pour une Internationale Ouvrière.


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