1er mai 2015 : Bilan et perspectives de la lutte contre l’austérité

« Nous, les gens que vous essayez de piétiner, nous sommes tous ceux dont vous dépendez. Nous sommes ceux-là mêmes qui vous blanchissent votre linge, vous préparent votre nourriture, vous servent à dîner. Nous veillons sur vous pendant que vous dormez. Surtout…ne nous faites pas chier ! »
– Tyler Durden, Fight Club

Cette citation du film Fight Club résume bien l’ambiance qui nous a animé pendant les actions du 1er mai dernier. Pour une rare fois, le mouvement syndical a laissé de côté ses défilés, avouons-le souvent mornes, pour déranger de façon créative l’ordre établi.

Cette journée-là, le mouvement syndical n’a pas eu à rougir devant le dynamisme du mouvement étudiant. Il nous a montré un sérieux aperçu du potentiel qu’il renferme. Aucune autre organisation ou mouvement n’aurait eu la capacité d’organiser une journée de cette ampleur. Rien d’autre que lui ne mobilise le « monde ordinaire ». En tant que seule organisation de masse dont nous disposons, la contestation contre le gouvernement passe obligatoirement par le mouvement syndical.

Une journée de perturbation réussie

Cette journée de perturbation nous a démontré que oui, le monde ordinaire peut mener des actions directes et que oui, le mouvement syndical peut encore grogner et contester le pouvoir de l’argent.

Il y a eu des activités dans plus de 35 municipalités et des piquets symboliques dans plus de 100 lieux de travail. Plusieurs autoroutes ont été bloquées dans toutes les régions du Québec. Les travailleurs-euses ont laissé passer les automobilistes en les sensibilisant sur les mesures d’austérité, mais ont bloqué le passage aux camions de marchandises. Sauf de rare exception, les automobilistes ont compris ce qui se passait et ont sympathisé avec le mouvement.

Plusieurs occupations simultanées ont également eu lieu, notamment devant le chantier du CHUM, à l’intérieur du Centre de commerce mondial, dans le Hall de Québecor ainsi que dans une vingtaine de banques du quartier des affaires et de Westmount. La consigne était de quitter les lieux dès l’avis d’éviction de la police. Malgré cette attitude de non-confrontation, les policier-ères ont semblé ne plus savoir où donner de la tête. Leur arrivée a pu prendre plus d’une demi-heure dans certains cas.

Simultanément, plus de 800 organisations étaient en grève, principalement des groupes communautaires. Près de 40 000 étudiant-es ont également débrayé-es. Une journée de grève de 24h a été votée dans plus d’une dizaine de CÉGEPS. Une demi-journée de grève s’est aussi effectuée parmi les services de garde en milieu familial. Au final, il est impossible d’énumérer l’ensemble des actions qui ont lieu partout à travers la province.

Les différentes centrales syndicales, les groupes communautaires et le mouvement étudiant ont organisé simultanément des actions directes d’une ampleur jamais vue dans l’histoire du monde du travail québécois. Cette unité dans l’action est nouvelle et nous permet de voir le potentiel que nous avons en tant que classe sociale, celle des travailleurs et des travailleuses.

Une répétition générale

Cette journée a été un excellent test pratique et un pas en avant important pour la construction d’une journée de grève générale. Toutefois, ce mouvement a révélé des limites importantes.

La journée d’action du 1er mai n’a été ni une journée de perturbation économique ni une journée de grève générale nationale. Pour l’essentiel, elle s’est limitée à des actions de visibilité plus dynamiques qu’à l’habitude. Le caractère secret de l’organisation des actions et l’absence d’une campagne de masse sur l’objectif de la journée ont limité la mobilisation aux appareils syndicaux et aux militant-es les plus conscientisé-es.

Grève illégale et directions syndicales

Les exécutifs syndicaux locaux d’une trentaine de CÉGEPs ont volontairement adopté un mandat de grève illégale pour le 1er mai. Malgré la pression des patrons et du gouvernement, les risques d’une grève illégale ont été évalués et assumés. À moins de 24h de préavis, la direction de la FNEEQ a envoyé un message conseillant aux syndicats locaux de ne pas faire grève. Y a-t-il un meilleur moyen pour déstabiliser une mobilisation? Résultat : un tiers des grévistes sont effectivement sorti dans la rue. Nous devons exiger des explications le plus tôt possible quant à cette attitude de la direction. Elle donne un aperçu de l’obstacle que représentera ces directions à l’automne lorsque tomberons décrets et lois spéciales pour briser le potentiel mouvement de grève syndicale.

Cette question du respect de la légalité par les directions syndicales, à une époque où nos conditions de vie et de travail se détériorent et où nous avons de moins en moins les moyens de résister, est l’une des dimensions les plus cruciales à laquelle nous devons faire face. Le 1er mai, nous avons démontré avec force que nous existions. Nous avons essentiellement effectué des actions de visibilités. Or, pour faire céder les banquiers et le gouvernement libéral, il faudra aller plus loin et réellement construire un rapport de force. Les élites ne nous laisseront cependant pas faire. Elles imposeront l’illégalité sur nos actions légitimes et justifiées. De plus en plus de travailleur-euses prennent conscience que nous n’avons plus vraiment le choix d’emprunter cette avenue. Les directions syndicales ne semblent toutefois pas prêtes à s’y engager. Les débats pour la suite des choses seront cruciaux. Cette question doit être clairement posée le plus tôt possible dans nos instances.

L’aile droite du mouvement syndical affirmera que les « membres ne sont pas prêts » et que nous risquons de nous aliéner « l’opinion publique ». Pour l’instant, ce n’est pas faux. Toutefois, ce n’est pas une fatalité. Nous avons le temps de renverser la vapeur. La solution passe par une meilleure mobilisation de la base. Plusieurs travailleur-euses syndiqué-es ne n’ont même pas été mis au courant des actions du 1er mai. Précisons que le slogan « Refusons l’austérité! » de la campagne du même nom est abstrait dans la tête de bien des gens. Pour rendre cette campagne plus concrète, il est nécessaire d’y joindre des revendications offensives capables de mobiliser le plus massivement possible les syndiqué-es comme les non-syndiqué-es.

Pour des revendications fédératrices et offensives

La lutte pour la « défense du système public » et « contre l’évasion fiscale » sont des batailles qui relèvent de la prise du pouvoir politique, pas seulement du combat d’idées dans l’espace médiatique. Telles qu’elles sont formulées actuellement dans le discours des mouvements sociaux et syndicaux, ces campagnes n’identifient pas clairement le rôle des élites économiques et politiques dans cette dépossession collective. Lorsque l’on identifie un ennemi, on identifie forcément son opposant, en l’occurrence la classe des travailleur-euses.

Les effets dévastateurs des coupes dans le système public n’affectent pas les salarié-es et les usager-ères de la même façon. Il est difficile de fédérer de larges couches de la population autour d’une revendication concrète et claire, réalisable à court terme, qui ne tombe ni dans des enjeux locaux hyper précis ni dans l’abstraction des principes vertueux. Il s’agit de formuler des revendications ayant d’abord et avant tout un caractère de classe. Telles que formulées actuellement, les revendications s’opposant aux pipelines et à la fracturation hydraulique, s’opposant à la hausse des frais de service de garde ou pour la construction de logements sociaux d’adoptent pas cet angle.

Malgré leur pertinence, ces revendications ne fédèrent pas les travailleur-euses sur la base de leurs intérêts de classe. Par exemple, la lutte pour le logement social en ville ne rejoint pas la situation des travailleur-euses de banlieues qui peine à payer leur hypothèque et qui gagneraient à lutter.

Il ne s’agit pas de déterminer quelle revendication est plus importante qu’une autre. Elles sont toutes importantes. L’enjeu ne consiste pas tant à dresser une liste d’épicerie voulant couvrir l’ensemble des luttes que de penser en fonction de ce qui risque de fédérer ceux et celles qui ne se mobilisent pas d’habitude.

– La perte du pouvoir d’achat

À l’heure actuelle, aucune campagne ne cible l’augmentation du coût de la vie et la stagnation de nos salaires. Certes, le Front commun du secteur public et parapublic réclame une augmentation salariale, mais qui ne touche que ses 400 000 membres syndiqué-es. Le pire, c’est que l’argumentation utilisée (avoir des salaires compétitifs, sinon les salarié-es iront travailler dans le privé) est celle qui sert les intérêts du patronat, pas ceux des travailleur-euses. Il est vrai que les salaires des employé-es spécialisé-es (les informaticien-nes, par exemple) est plus élevé dans le privé. Ce n’est toutefois pas le cas pour une personne à l’entretien ménager, catégorie de salarié-es beaucoup plus importante au sein du Front commun. Pour le monde du secteur des services, souvent non-syndiqué et gagnant un salaire minimum misérable, les demandes du Front commun peuvent sembler excessives. Les médias de droite utilisent ce sentiment à fond de train. Alors, pourquoi ne pas retourner cette « faiblesse » en force? Proposons l’augmentation du salaire minimum à 15$/h maintenant, comme première étape pour l’indexation des salaires au coût de la vie pour tout le monde!

– Pour un salaire minimum de 15$/h!

Cette revendication a un potentiel explosif, comme le démontre le dynamisme des différentes campagnes aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Avec cette revendication, le mouvement syndical est en mesure de coaliser les travailleuse-euses précaires du privé avec ceux et celles du public et parapublic. Cette solidarité permettra de créer un Front commun dépassant le milieu syndical, donc mieux outillé pour renverser le gouvernement. Aux États-Unis, les conseils municipaux des villes de Seattle, Los Angeles et San Francisco ont augmenté leur salaire minimum à 15$/h. Des projets similaires sont débattus à New York et Washington. Au Canada, le NPD, qui a foutu les conservateurs albertains dehors après 44 ans de pouvoir le 5 mai, a fait du 15$/h une de ses principales revendications électorales.

Ce type de campagne ne constitue pas la solution à tous nos problèmes. Or, sérieusement menée, cette campagne nous permettra de faire un sérieux bon en avant dans la construction d’un mouvement d’opposition susceptible de renverser ce gouvernement et les lobbys qui le supportent.

S’emparer du pouvoir politique

Le syndicat du CSSS Laval a organisé un gala de lutte professionnelle pour clôturer ses actions de la journée du 1er mai. Le lutteur et président des productions MWF a terminé la soirée avec un témoignage poignant sur son expérience personnelle de l’austérité en santé. Il l’a conclu en appelant à la lutte pour le pouvoir politique. « Dans trois ans, a-t-il soutenu, le gouvernement Couillard sera dehors et c’est les travailleurs et les travailleuses qui vont gérer la société comme ils et elles le veulent ». Pour une rare fois, la question du renversement du gouvernement a été posée. Mais, pour réussir, nous avons besoin d’un véhicule politique.

La grève générale est un événement politique qui ouvre des possibilités révolutionnaires, en particulier lorsque la contestation vise le pouvoir de l’État. Nous l’avons bien vu en 2012. Le gouvernement libéral, sentant sa légitimité contestée, spécialement à travers le non-respect massif de la loi spéciale, a déclenché des élections. Il a perdu, mais nous n’avons pas su tirer profit de la situation. C’est le Parti québécois de Pauline Marois qui a canalisé la frustration sociale. Aux prochaines élections provinciales, qu’allons-nous présenter pour faire barrage au Parti libéral? Le modèle d’austérité à la sauce PKP ? L’accélération des coupures et des hausses avec la CAQ?

Le rôle de Québec solidaire

Les militant-es de Québec solidaire peuvent jouer un rôle de premier plan pour amener le mouvement contre l’austérité sur le terrain politique. Un gouvernement solidaire est toutefois peu probable. La classe des travailleurs et des travailleuses ne voit pas en QS un parti du « monde ordinaire », mais plutôt des pauvres et du milieu communautaire. De son côté, QS ne veut pas jouer ce rôle non plus. Le parti multiplie les déclarations pour protéger les minorités exclues, mais rarement va-t-il prendre le parti de la majorité. Résultat, la CAQ, avec son discours de classe, concentre le vote anti-establisment. Pour Alternative socialiste, QS ne constitue pas l’unique alternative politique. Les syndicats peuvent et doivent présenter leurs propres candidat-es anti-austérité, avec l’aide de Québec solidaire. Des élu-es indépendant-es anti-austérité pourraient se coaliser avec des député-es solidaires. Nous pourrions voir l’émergence d’une coalition anti-austérité, ou carrément la création d’un nouveau parti, plus près des préoccupations quotidiennes de la majorité et lié aux organisations syndicales.

Si QS veut éviter d’être dépassé sur sa gauche, il devra combattre l’une de ses plus grandes phobies, celle d’avoir l’air de « récupérer » les mouvements sociaux. Cette position sert davantage les patron-nes que l’ « indépendance » des mouvements sociaux et syndicaux. Plutôt que de se lier organiquement aux mouvements de la rue, QS se marginalise et risque de devenir très précisément ce qu’il ne veut pas être : un parti de politicien-nes professionnel-les comme les autres.

Pour un salaire minimum de 15$/h, maintenant! Pour l’indexation des salaires au coût de la vie!
Luttons pour abolir les paradis fiscaux, fortement imposer les grandes fortunes et nationaliser le secteur bancaire et financier sous contrôle démocratique !
Pour des comités de mobilisation basés sur les syndicats locaux et les groupes communautaires !
Pour des candidatures anti-austérité à tous les paliers de gouvernement!
Pour un gouvernement qui sert les intérêts des gens ordinaires, pas des grandes compagnies!


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