Penser l’action culturelle aujourd’hui

En septembre dernier, le programme d’Animation et recherche culturelles (ARC) a organisé un Grand Forum offrant un espace de discussion dans lequel étudiant-es, enseignant-es et travailleur-euses du milieu étaient invité-es. Les discussions portaient sur l’histoire et les défis du programme ainsi que sur la pertinence de l’animation culturelle dans la sphère sociale. L’objectif de cet article est de promouvoir l’animation culturelle, entendue ici au sens d’un levier démocratique en mesure de fournir des outils et des compétences à la classe populaire pour lui permettre de se réapproprier les moyens de production de sa culture.

L’institutionnalisation de la culture : principes et limites

À la naissance du concept (principalement en France), l’action culturelle avait comme leitmotiv l’accès à la culture pour la classe ouvrière. De ce principe de base sont nées, dans les années 1950, les Maisons de la culture, devenues également très populaires au Québec. Initiative gouvernementale, ces centres de diffusion ont pour objectif de présenter des œuvres artistiques variées à des publics non initiés à moindre coût. Cette fourberie bourgeoise a toutefois laissé place à l’instauration d’une culture élitiste gracieusement offerte pour « cultiver » le peuple.
Ce projet de diffusion culturelle accentue les frontières entre les classes dominantes (celles qui détiennent les moyens de produire une culture et le privilège de la diffuser) et la classe populaire (celles qui auront principalement le rôle de spectateur). Effectivement, bien que l’objectif d’accessibilité ait été partiellement atteint, l’appropriation de la culture bourgeoise par la classe ouvrière ne pouvait s’opérer. À ces deux acteurs en lutte culturelle s’est ajouté, au cours des années 70-80, un troisième, celui du secteur privé incluant les médias de masse, les entreprises et les fondations (Franklin, 2002). La lutte se joue désormais à plusieurs niveaux et ne se limite plus aux domaines de la culture, au sens artistique. Ce volet, nécessaire au déploiement des collectivités, n’est certes plus suffisant. L’action culturelle manœuvrée par le mouvement des travailleur-euses doit palier à ce manque en consolidant deux autres volets importants, le social et le politique, basant sa structure sur la population desservie.

Penser l’action culturelle aujourd’hui

Nous y voilà : en pleine lutte idéologique, entre l’État, le privé et la classe populaire. Notons qu’à la lumière de la critique apportée au projet des Maisons de la culture comme source absolue de diffusion, le défi est plutôt de penser l’institutionnalisation et le projet de démocratie culturelle en inversant les pôles, c’est-à-dire en cumulant les outils pour créer et pour s’organiser en tant que collectivité autour de projets faisant sens. Pour ce faire, l’idée n’est surtout pas de retirer l’État des projets issus de la population : sa part financière est essentielle et son rôle de fournir des services doit s’exprimer par ces projets. Il s’agirait plutôt de retirer le privé des acteurs principaux puisqu’il risque, selon Charpenteau (1966) de devenir « un puissant instrument d’aliénation » (Ibid, p.67 dans Midy, 2003, p.9). Les actions culturelles doivent être l’œuvre de l’État par sa contribution financière et ses ressources matérielles et de la classe populaire par ses ressources humaines. Il ne faut pas perdre de vue que la création d’une culture commune impliquant des aspects artistique, social et politique doit partir de la base de la population afin qu’elle fasse sens, qu’elle permette l’acquisition de liens sociaux significatifs et d’outils de lutte. En d’autres mots, les espaces communautaires, si nous les utilisons à bon escient, peuvent servir de levier démocratique considérable.

L’urgence de s’approprier ces structures est imminente. Nous avons déjà la télévision, les journaux et autres sources d’art, de divertissements et d’information qui proviennent de et qui alimentent l’idéologie dominante. Il faut s’organiser pour penser des façons de s’émanciper collectivement. Selon Jean Régnier, chargé de cours en ARC, cofondateur et directeur du Groupe des 33 [1], les groupes communautaires, avec l’action culturelle comme approche, sont en mesure de donner à la population les compétences nécessaires pour agir à l’amélioration de ses conditions objectives d’existence.

Notons que l’action culturelle et l’éducation populaire, en raison de leur proximité avec la population, sous-tendent un volet préventif en matière de santé, de services sociaux et d’éducation. Couper dans les services publics nuit à la qualité de vie de la majorité de la population. Si un gouvernement québécois osait une perspective allant réellement dans l’intérêt de la majorité de la population, les coûts dans le domaine de la santé et des services sociaux associés aux grands établissements diminueraient. Une autre bonne raison pour militer en faveur des projets d’action culturelle dans les quartiers.

Du leurre du pouvoir citoyen à l’ « empowerment à jugement critique »

Depuis les années 1970, la recherche de consensus via des consultations citoyennes a pour effet « d’éliminer les discussions, les débats, les affrontements, afin de tenter d’occulter les traces trop visibles de la lutte politique et, au-delà, de la lutte des classes, bref d’exorciser la lutte idéologique » (Gaudibert, 1972, p.14). Par cette stratégie, toutefois, une impression de liberté d’expression est ressentie par les participant-es. Ce leurre participatif empêche toute autre mobilisation puisqu’il est présenté comme étant une structure pouvant nous appartenir. Comme l’explique le professeur en ARC, Martin Lussier, ces consultations permettent la validation des projets pensés par les grandes instances : elles ne permettent pas d’aller chercher le feedback des collectivités.

Il est important de remettre les problèmes vécus dans leur logique sociale, de ne pas les limiter à leur aspect individuel. Ainsi, on se donner les moyens de comprendre en quoi nos conditions de vie sont le résultat d’une structure sociale oppressante. Pour M. Lussier, le principe d’empowerment permet cette prise en charge collective, mettant de l’avant les différentes façons par lesquelles nous sommes dominé-es, traversé-es par des rapports de pouvoir et comment cette situation n’est pas seulement propre aux individus. Ce principe doit prévaloir sur la recherche de consensus que nous propose la classe dominante. Le pouvoir en place déconstruit les acquis de notre classe pour reformuler une citoyenneté inoffensive. En optant, comme le propose M. Régnier, pour un « empowerment à jugement critique », la classe des travailleur-euses peut reprendre le pouvoir politique afin d’instaurer sa vision globale du monde.

L’action culturelle au sein de l’UQAM

Lors du Grand Forum ARC, la professeure Jocelyne Lamoureux a présenté le programme dans une perspective historique, mettant de l’avant l’aspect militant des étudiant-es et enseignant-es. Nées dans les années 70, les études de l’animation et de la recherche culturelles reflétaient la conjoncture politique, sociale et culturelle propre à cette période. Dans les années 1980, c’est l’opération survie qui alimentait la majorité des périodes de cours : les étudiant-es et le corps enseignant luttait auprès de l’UQAM afin d’avoir une reconnaissance équivalente aux autres programmes (des appareils techniques adaptés, plus de professeur-es…). De cette mobilisation, le programme a retiré des gains considérables : il est passé de 2 à 7 professeur-es et les étudiant-es avaient désormais leur place sur le comité pédagogique.

En 2012, les étudiant-es ont montré leur couleur en étant le premier module de la faculté de communication à se joindre à la Coalition large de l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante). Organisant des espaces de discussions et de créations artistiques, les membres actif-ves du programme ont réussi à articuler l’importance de l’animation culturelle dans les enjeux sociaux et politiques. Ce programme continu d’être d’une pertinence incommensurable.

Pour une action culturelle organisée par les travailleur-euses!

La mobilisation ne doit pas se limiter à l’étape de la sensibilisation. En prenant les rênes et en devant l’acteur principal de l’action culturelle, nous devons penser le changement et adapter nos stratégies pour passer à l’étape suivante : prendre le pouvoir politique!

Non à la déresponsabilisation de l’État québécois et ux privilèges des entreprises privées!
Réinvestissons dans les services communautaires!
Que l’État finance la réparation des immeubles des centres d’éducation populaire et des organismes communautaires!
Que les baux des centres d’éducation populaire soient renouvelés dans les mêmes termes!
Intégrons les services communautaires dans le système de santé!
Pour des projets portant sur la réalité des quartiers et de leur population!


Sources:
Animation et recherche culturelles, UQAM www.arc.uqam.ca
Gaudibert, P. (1972) Action culturelle : Intégration et/ou subversion. Éd. Casterman. Paris,
Lamoureux, J. (2014) Dans le cadre du Grand Forum ARC.
Lussier, M. (2014) Dans le cadre d’une entrevue avec Émily Perrier Gosselin.
Midy, F. (2002) « Préalables à l’étude de l’action culturelle au Québec » dans Les cahiers de l’action culturelles. pp.7-13 [en ligne] http://arc.uqam.ca/upload/files/cahiers_acv1n1.pdf
Régnier, J. (2014) Dans le cadre d’une entrevue avec Émily Perrier Gosselin


par