Royaume Uni: Incendie de la Tour Grenfell – Tout l’establishment est exposé

Editorial de l’hebdomadaire The Socialist (journal du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au pays de Galles), 22 juin 2017.

 

Au fur et à mesure que plus de détails émergent et que le nombre de morts s’élève, le désastre se fait de plus en plus terrible. Le feu s’est répandu à une vitesse ‘‘grand V’’ et les témoins décrivent des scènes déchirantes alors que les victimes essayaient désespérément d’échapper à l’emprise des flammes.

C’est une grande tragédie pour le quartier. Des enfants sont morts. Trois générations d’une même famille ont péri dans le feu. Mais plutôt que d’être déchirés, le quartier a témoigné d’une remarquable solidarité humaine, se soutenant les uns les autres, recueillant des dons de biens et d’argent, organisant un hébergement d’urgence, coordonnant les secours. L’héroïsme, le courage et le sacrifice des services d’urgence et des résidents locaux ont été incroyables. Qui n’a pas été ému en voyant ces pompiers applaudis alors qu’ils s’éloignaient des lieux de la catastrophe ? Le vrai visage de l’Humanité a été révélé au travers de la solidarité qui a fait suite à ce tragique événement.

La colère est parallèlement énorme, contre le conseil communal, contre la société de gestion du logement, contre les entrepreneurs qui ont rénovés le bâtiment, contre le gouvernement et contre le système dans son ensemble. De nombreux résidents sont persuadés que le nombre de morts sera beaucoup plus élevé qu’initialement estimé et que des faits sont cachés.

Ce n’est ne sont pas seulement le Socialist Party ou d’autres militants qui l’affirment, les résidents de la tour le crient eux-mêmes: cette affaire concerne la division entre riches et pauvres, à la base de tout cela se trouve un arrogant mépris pour la vie des travailleurs et de leurs familles. Il s’agit d’une communauté aux origines diverses, beaucoup étant issus de l’immigration africaine ou asiatique, qui vivent dans une zone ouvrière pauvre au côté de l’immense richesse des plus nantis.

Après plusieurs années à avoir été ignorés par le conseil communal, certains locataires qui avaient mené campagne pour accroitre la sécurité face aux incendies dans la tour ont péris par les flammes. Deux femmes menacées d’une action en justice par le conseil communal manquent à l’appel, présumées mortes. Dans leur lutte pour augmenter la sécurité sur le site, elles ont été confrontées à divers obstacles, y compris la coupure de leur aide juridique, ce qui signifie concrètement qu’elles ne pouvaient plus se permettre de représentation légale. Mais elles ont mis par écrit leur expérience.

La faillite du conseil communal

La colère est énorme contre l’arrogance et à l’inertie du conseil communal à réponse à la crise. Durant les deux premiers jours qui ont suivi la catastrophe, c’est à peine si le conseil et le gouvernement étaient présents, tout a été organisé par la communauté.

Plus de 5 millions de livres sterlings ont été donnés par la population, ce qui est incroyable, mais tout de même négligeable en comparaison des réserves détenues par le conseil communal de Kensington et Chelsea (300 millions £). Ce conseil a géré un excédent de 15 millions de livres sur son budget consacré au logement (en gagnant 54 millions de livres en loyers et services divers tout en ne dépensant que 40 millions de livres). Malgré cela, les autorités avaient économisé sur les extincteurs et sur d’autres mesures de prévention des incendies.
Le relogement d’urgence est un véritable scandale. Les survivants sont simplement dispersés dans des hôtels. Lors de la deuxième guerre mondiale, les familles victimes des bombardements étaient relogées dans les 24 heures! Selon le député David Lammy, il semblerait que les survivants qui ne veulent pas être répartis dans tout le pays puissent être menacés d’être déclarés délibérément sans abri (ce qui leur ferait perdre plusieurs aides). En continuant de la sorte, la colère ne pourra que continuer à croitre. Le conseil et le gouvernement sont invités à revenir sur leur politique concernant le logement, de sorte qu’aucun résident ne risque de perdre ses droits s’il refuse un logement inadapté.

Le vrai visage des Tories

Le vrai visage des conservateurs (tories) en tant que représentants de la classe capitaliste a été mis à nu. L’attitude dénuée de toute empathie de la Première ministre Theresa May n’est qu’un élément parmi d’autres. La vidéo de Boris Johnson assis au City Hall en se moquant des plaintes concernant les coupes budgétaires dans les services d’incendie est devenue virale. Un ancien discours du précédent Premier ministre David Cameron a aussi beaucoup circulé. Dans celui-ci, il se vante de vouloir ‘‘tuer la culture de la sécurité’’ et déclare : ‘‘Je veux que l’année 2012 soit décrite dans l’histoire non seulement comme l’année des Jeux olympiques ou du Jubilé de diamant, mais aussi comme étant l’année où nous en avons fini avec ce gaspillage inutile de l’économie britannique’’. Le ministre conservateur du logement, Gavin Barwell, aujourd’hui chef d’état-major de Theresa May, s’est scandaleusement assis sur les leçons de l’incendie de l’immeuble Lakanal à Southwark en 2009.

L’austérité tue, cela ne saurait être plus clair. Mais cette politique fait des ravages depuis bien plus longtemps que le règne des conservateurs. Il y a eu des décennies de coupes budgétaires, de privatisations, de déréglementation et de manque de responsabilités démocratiques. Pendant ce temps, le Times rapporte que les topmanagers de Grenfell ont eu 650.000 £ de salaire. De Margaret Thatcher à Tony Blair en passant par David Cameron, tous les politiciens traditionnels sont passés par ce néolibéralisme sauvage.

Les logements sociaux

Le développement de logements sociaux a constitué un grand pas en avant pour les travailleurs; Mais les travailleurs n’ont que ce pour quoi ils se sont battus. Après la Première guerre mondiale, les subventions du gouvernement pour les logements sociaux ne sont arrivées qu’en réponse à la vague de boycott de paiement des loyers et à l’impact de la Révolution russe. Un des responsables d’un conseil d’administration local a notamment déclaré: ‘‘L’argent que nous allons dépenser pour le logement est une assurance contre le bolchevisme et la révolution’’. Le gouvernement travailliste de 1945 a créé l’État-providence, y compris la construction massive de logements sociaux, également sous la pression des masses.

Mais les riches n’ont jamais accepté cette situation et leurs représentants politiques ont passé ces 35 dernières années à démanteler ces conquêtes sociales. En 1980, Thatcher a ainsi forcé la vente de nombreux logements sociaux.

Un million de maisons ont été vendues en dix ans. Parallèlement, les restrictions de budgets ont réduit la construction de nouveaux logements sociaux. Puis, en 1988, le Transfert volontaire à grande échelle (LSVT) a permis de déplacer le parc de logements de la propriété d’un conseil vers celle d’association du logement, un processus ensuite massivement accéléré sous Tony Blair.
Le New Labour a alors couru pour générer des bénéfices des logements publics grâce à l’initiative de financement privé et qui a poussé vigoureusement les «organismes de gestion sans limite» (Almos), éliminant le contrôle démocratique du logement social et le remettant au secteur privé. En 2000, le député New Labour John Prescott a prédit ‘‘la fin du logement social public’’. L’actuel dirigeant du Labour Jeremy Corbyn fut l’un des députés travaillistes qui se sont opposés à ces mesures.

Tout cela a conduit à un transfert de responsabilité et de contrôle des locataires ou des conseillers communaux élus vers des organismes de gestion. Il est vrai que certains locataires sont impliqués dans la gestion, mais ces derniers n’ont aucun pouvoir. Les militants du logement estiment qu’une manœuvre concertée est actuellement en cours pour en finir avec les associations de locataires et de résidents à travers Londres. Les conservateurs veulent mettre fin au logement social, en conséquence de quoi des conditions datant d’il y a une centaine d’années (surpopulation et conditions de vie dangereuses) sont de retour.

L’austérités des Tories

Durant la même semaine que celle de l’incendie de Grenfell, il a été divulgué au Guardian que l’hôpital Charing Cross, qui traite actuellement des survivants, fait face à des réductions dévastatrices qui réduiraient l’institution hospitalière à 13% de sa taille actuelle. Tout comme pour les récentes attaques terroristes, cet événement horrible a fait ressortir le fait que le nombre de pompiers a été réduit à Londres de 550 soldats du feu. Dix stations ont été fermées et d’autres fonctionnent avec des moyens réduits. Le maire de Londres, Sadiq Khan, devrait revenir sur toutes les coupes budgétaires qui ont été opérées dans les services d’incendie de Londres.

Tout cela a un effet profond sur la conscience des masses, non seulement vis-à-vis du logement, mais également quant à la manière dont est organisée la société. La colère s’exprime contre ‘‘les riches qui s’opposent à la classe ouvrière’’. Ce n’est guère étonnant que Jeremy Corbyn ait été si populaire dans la région – non seulement en raison de son attitude humaine, mais aussi en raison de la rupture qu’il offre potentiellement face aux politiques d’austérité.

Theresa May et les Tories étaient déjà en crise, mais cette dernière pourrait encore s’approfondir sur base de cet incendie et de la colère des habitants du quartier et plus généralement des travailleurs.

En plus d’offrir notre plus grande sympathie et notre solidarité avec les habitants de Grenfell et de la région, le Socialist Party défend également diverses idées concernant ce qui pourrait être fait aujourd’hui. Nous soutenons que l’organisation et l’action des locataires avec le soutient actif des syndicats pourraient apporter non seulement une justice rapide pour les survivants, mais aussi amener immédiatement la sécurité de tous les résidents des blocs-tours et des logements de masse.

L’appel lancé en faveur d’une manifestation d’un million de personnes dans les rues le 1er juillet et pour que les syndicats organisent une manifestation de masse et une grève coordonnée pourrait être décisif pour mettre pression sur les conservateurs et avoir l’organisation de nouvelles élections générales.

Le Socialist Party soutient les projets de construction de logements de Jeremy Corbyn, mais il pourrait aller plus loin. En plus d’abolir la ‘‘bedroom tax’’ (une taxe antisociale sur les logements), une politique socialiste de logement impliquerait des investissements massifs dans les logements sociaux, y compris dans la rénovation de nombreuses propriétés existantes; des contrôles de loyers qui contrôlent le niveau réel des loyers et pas seulement les augmentations ou encore la nationalisation sous contrôle démocratique des banques, des terrains et des entreprises de construction pour fournir des logements sûrs, sécurisés et véritablement abordables pour tous.


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