Les murs économiques : la droite et le protectionnisme

Le mouvement nationaliste qui prend graduellement de l’ampleur partout en Occident peut être attribué à un grand nombre de facteurs : quoique la xénophobie semble être à la racine de cette tendance, nous pourrions également affirmer que ce serait plutôt la détérioration de la situation économique des classes moyennes et pauvres qui alimente la colère populaire que l’on voit aujourd’hui se canaliser de plus en plus contre l’étranger, que ce soit le terroriste islamiste ou l’ouvrier chinois sous-payé. À court de solutions, mais éternellement confiants en leur système économique, les Occidentaux se tournent de plus en plus vers le protectionnisme, une série de mesures destinée à protéger l’industrie locale en imposant des barrières – des tarifs et des quotas, entre autres – sur les produits provenant de l’étranger. Ce genre de politique visant à combattre la délocalisation engendrée par la mondialisation a été un des piliers de la campagne de Donald Trump, et se retrouve de plus en plus dans les discours de droite européens, comme dans le cas de Brexit au Royaume-Uni ou chez les partisans du Front National en France. Manifestement, la promesse d’ériger des barrières et des murs fait mouche chez les politiciens populistes, mais la question se pose : est-ce que le protectionnisme sauvera réellement l’Occident?

Les économistes libéraux sont plutôt divisés sur le sujet, les uns cherchant à défendre le protectionnisme sous certaines conditions, les autres militant pour son abolition totale et permanente. Irwin Stelzer, contributeur au Weekly Standard et au Sunday Times à Londres, s’en tient aux paroles du père fondateur de la science économique, Adam Smith, qu’il reprend sans gêne dans le contexte actuel. Selon ce penseur révéré du 18e siècle, le libre-échange est fondamentalement bénéfique pour l’économie, et chaque État devrait promouvoir l’ouverture de ses frontières aux déplacements du capital et des marchandises : ceci étant dit, le bon fonctionnement de cette ouverture dépend du comportement des États impliqués. Pour reprendre les paroles de Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS et coauteur de Le protectionnisme et ses ennemis : « L’ouverture des économies à la concurrence internationale ne produit des effets bénéfiques que si cette concurrence est ‘juste’, c’est-à-dire si elle met aux prises des projets entrepreneuriaux et non des mécanismes de dumping salarial, social ou fiscal »[1].

C’est pour cette raison qu’un économiste comme Stelzer arrive à défendre le protectionnisme prôné par Trump : selon lui, des pays comme la Chine exportent des produits à des prix beaucoup trop bas pour permettre une concurrence réaliste de la part des Américains, grâce à des subventions et d’importants investissements de la part du gouvernement [2]. Les défenseurs du protectionnisme et les promoteurs du libre-échange ont ainsi ceci en commun : les uns rationalisent ce genre de représailles économiques, et les autres comprennent que la seule manière de s’en sortir est d’en arriver à des accords mutuels pour mettre fin à ces incessantes querelles. C’est donc en pointant du doigt des pays comme la Chine qu’un politicien comme Donald Trump justifie des mesures qui affecteront possiblement l’ensemble des relations commerciales de son pays.

Les opposants du protectionnisme estiment que ces mesures auront ultimement un impact négatif sur les plus pauvres et les plus démunis du pays dressant les barrières. Jean-Marc Daniel, professeur associé à L’ESCP Europe, souligne que : « Plus de protections, c’est plus d’impôts, des produits plus chers, donc une baisse du pouvoir d’achat des particuliers » (Maligorne et Théobald, 2017). Voilà en fait la raison pour laquelle Adam Smith s’opposait, quoique conditionnellement, aux mesures protectionnistes : en protégeant les producteurs locaux, ce sont les consommateurs locaux qui paient le prix, et l’économie dans son ensemble devient moins efficace. À cela, bien sûr, nous devons rajouter l’impact que cela devrait avoir dans les autres pays : à titre d’exemple, le ministre des Finances de l’Inde Arun Jaitley avertit son gouvernement dans un récent rapport que la tendance protectionniste des pays développés pourrait nuire à l’efficience des économies qui en dépendent et ainsi réduire leur produit intérieur brut [3] D’ailleurs, le Fonds Monétaire International prédit que les mesures promises par Trump – les promesses d’investissements infrastructurels massifs et de nouveaux tarifs et quotas – devraient aider l’économie américaine à poursuivre sa croissance, mais cela au détriment des économies étrangères [4].

Historiquement, le protectionnisme n’a rarement été autre chose qu’une façon pour les producteurs capitalistes de défendre leurs intérêts face à leurs compétiteurs étrangers (sauf dans le cas particulier des industries naissantes, qui ont parfois besoin d’une certaine protection pour pouvoir s’établir sur le marché mondial). Depuis ce temps, la majorité des économistes s’entendent sur le fait que le libre-échange permet aux pays les plus démunis de sortir de la pauvreté absolue. Tandis que leur président s’insurge contre l’injustice du protectionnisme ailleurs dans le monde, les États-Unis ne sont certainement pas innocents dans cette histoire : les subventions qu’ils accordent à leur industrie cotonnière, au montant d’environ 2.4 milliards en dollars US par année, ont été dénoncé par l’Organisation mondiale du commerce comme étant une pratique illégale au détriment des producteurs africains [5]. Les Américains permettent même à la concurrence déloyale de se produire dans leur propre pays : les prisons privées ne paient pas plus que $1 par heure pour le travail de leurs détenus, ce qui permet aux entreprises privées et au gouvernement américain d’économiser presque $40 millions par année comparativement à s’ils les avaient payés au minable salaire minimum fédéral, ce qui nuit à la possibilité des employeurs payant ce salaire minimum d’être compétitifs [6]. Il ne s’agit que de deux exemples parmi tant d’autres.

Quoique les ententes de libre-échange représentent leurs propres lots de problèmes, notamment en ce qui concerne l’élargissement du droit corporatif au détriment des États souverains, la tendance protectionniste aura certainement un impact négatif sur les pays en développement et les consommateurs américains les plus pauvres. De plus, il est plutôt incertain que la quantité d’emplois « sauvés » ou « créés » par ces pratiques aura réellement l’impact désiré, sachant que l’automatisation promet d’éliminer en permanence une quantité énorme de ces emplois dans un avenir rapproché. Les classes moyennes et pauvres, frustrées, blâment l’étranger pour leur misère, alors que ce sont les classes politiques et bourgeoises qui perpétuent leur tourmente, qui est certaine de s’aggraver au fil du temps.

Paolo


Notes
[1] Maligorne, C. et Marie Théobald. (15 février 2017), Le protectionnisme est-il de retour?, Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/2017/02/15/29002-20170215ARTFIG00016-le-protectionnisme-est-il-de-retour.php
[2]  Stelzer, I. (19 décembre 2016), Trump and Trade, Weekly Standard, http://www.weeklystandard.com/trump-and-trade/article/2005750
[3] PTI. (10 février 2017), Protectionist tendencies will shrink GDP, warns Arun Jaitley, India Times, http://economictimes.indiatimes.com/news/economy/policy/protectionist-tendencies-will-shrink-gdp-warns-arun-jaitley/articleshow/57069803.cms
[4] Allen, K. (16 janvier 2017), IMF upgrades UK forecast but notes Brexit terms are ‘unsettled’, The Guardian, https://www.theguardian.com/business/2017/jan/16/imf-trump-protectionism-world-economy-trade-us-europe
[5] Kinnock, G. (24 mai 2011), America’s $24bn subsidy damages developing world cotton farmers, The Guardian, https://www.theguardian.com/global-development/poverty-matters/2011/may/24/american-cotton-subsidies-illegal-obama-must-act
[6] Urbina, I. (24 mai 2014), Using Jailed Migrants as a Pool of Cheap Labor, New York Times, https://www.nytimes.com/2014/05/25/us/using-jailed-migrants-as-a-pool-of-cheap-labor.html?_r=0


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