Philanthropie et hypocrisie des riches

Avec les fêtes de fin d’année, les travailleurs et travailleuses sont sollicité·e·s de toute part pour « donner généreusement », que ce soit lors des campagnes de Centraide, des diverses guignolées ou lors d’actions spécifiques organisées par différentes fondations. Il faut dire que les besoins sont criants dans la population. 25 000 familles sont en attente de logement social. Il y a près de 1,9 million de demandes par mois pour les banques alimentaires du Québec. Une personne qui vit seule sur 4 est sous le seuil de pauvreté. Presque 16 % des familles monoparentales du Québec aussi. Pourtant, il paraît que c’est le plein emploi au Québec et que le taux de chômage est au plus bas.

La réalité, c’est que l’écart entre riches et pauvres augmente. L’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de plus de 2,3 % en 2018, mais pas les revenus de la population. Le salaire minimum ne permet toujours pas de sortir de la pauvreté. Et pourtant, nous sommes sollicité·e·s à tort et à travers par des fondations gérées par les plus riches de notre société. C’est normal de vouloir aider son prochain. Mais est-ce avec la charité que nous aidons vraiment les gens à améliorer leurs conditions de vie?

Les dons sur le dos des travailleurs et travailleuses
Chaque année, c’est la même chose! Les initiatives se multiplient dans les milieux de travail pour être aussi inventives que possible pour soutirer le plus d’argent possible aux travailleurs et travailleuses. Les plus riches de la société nous culpabilisent pour que nous donnions à ceux et celles qui sont encore plus opprimé·e·s que nous. Et la majorité d’entre nous donne généreusement, selon leurs moyens. Malgré tout, chaque année les médias bourgeois et les capitalistes nous culpabilisent en nous disant que nous donnons moins que les autres provinces canadiennes. Les petit·e·s boss errent dans les couloirs des bureaux pour soutirer de l’argent à leurs employé·e·s. Les capitalistes nous font la morale sur l’importance de la solidarité. Facile pour les mieux nanti·e·s de montrer de bons sentiments! Pendant ce temps, les administrateurs·trices des fondations gagnent parfois des salaires annuels de plus de 150 000 $!

Le philanthrocapitalisme
La philanthropie, elle, se porte bien au Québec. Une fondation comme celle de Lucie et André Chagnon, de son bureau situé au 2001 McGill College, imprime de l’argent, que ce soit sous forme de dons ou de revenus de placement pour ensuite redistribuer aux pauvres méritant·e·s. Les pauvres méritant·e·s étant ceux et celles qui sont photogéniques, propres (de préférence) et qui ne feront pas trop de remous. Les enfants malades, mais pas les femmes battues par exemple. C’est d’ailleurs très intéressant pour des capitalistes de mettre sur pied une fondation. Ça donne aux fondateurs·trices une aura de « bonne personne, qui veut améliorer la situation des sous-privilégié·e·s ».

Tout ça, sans oublier l’indéniable avantage des énormes crédits d’impôt générés par les sommes placées dans une fondation. Dans le livre Détournement d’État, l’IRIS montre le dilemme d’André Chagnon : devait-il mettre son magot accumulé suite à la vente de Vidéotron dans un paradis fiscal ou plutôt créer une fondation? Bien entendu, Chagnon aurait pu choisir de payer sa juste part d’impôts… mais il faut croire que l’idée ne lui a jamais traversé l’esprit.

Les groupes communautaires et les services publics : les premières victimes de la philanthropie capitaliste
Avec la Révolution tranquille, de nombreux organismes communautaires ont vu le jour, en partie pour remplacer la charité condescendante de l’Église catholique. Ces organismes sont souvent autogérés par leurs membres, permettant un service de proximité adapté aux besoins de la communauté qu’ils desservent. Toutefois, dans les années 80, l’État québécois a créé le ministère de la Santé et des Services sociaux. Petit à petit, on laisse tomber le financement aux organismes communautaires et on les oblige à signer des « contrats de service » avec le gouvernement bourgeois. Avec l’arrivée au pouvoir des libéraux en 2003 et l’essor du néo-libéralisme apparaît ce que l’ont peut qualifier de « PPP sociaux ».

On constate que l’État se désengage de plus en plus des services sociaux et de santé. Pourtant, c’est l’État qui devrait garantir ces services à la population. Mais il délègue ses responsabilités aux fondations philanthrocapitalistes qui choisissent les groupes considérés comme méritants. Les groupes communautaires sont maintenant gérés comme des entreprises privées, soumis à des objectifs de performance. Les moins méritants perdent ainsi leur financement. Et les plus performants sont propulsés vers le haut, leurs porte-paroles sont sur toutes les tribunes. Pensons à la fondation du Dr Julien, financée en grande partie par la fondation Chagnon. Cette fondation a une mission essentielle dans une société comme la nôtre : la pédiatrie sociale. Mais les subventions gouvernementales qu’elle a reçues ces dernières années — comme toutes les subventions reçues par des fondations — auraient dû être réinjectées dans le système public. Nous avons besoin de services publics de proximité, accessibles et gratuits, libres de toute morale conservatrice pour améliorer les conditions de vie de la population québécoise, pas de petits groupes communautaires dépendants de la bonne volonté des bourgeois·es.

Nous devons dénoncer ces pratiques. La philanthropie est avant tout un moyen pour les plus riches de faire de l’évasion fiscale, que ce soit sous forme de crédits d’impôt ou non, plutôt que de vraiment aider la population. Nous réclamons la fin des crédits d’impôts pour les entreprises privées philanthrocapitalistes. Nous réclamons que toutes les entreprises payent enfin leur juste part d’impôt. Nous réclamons des services publics financés par les impôts des riches pour que la classe laborieuse n’ait plus à porter le fardeau des privilèges des capitalistes. Nous réclamons le réinvestissement dans les services publics des subventions accordées aux fondations du 1 %.


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