L’homme de 6 M$ jette 150 familles à la rue

La direction de Pages Jaunes a décrété un lock-out pour ses représentant·e·s aux ventes le 10 septembre dernier, à la surprise de leur syndicat. La partie patronale a stoppé les négociations entamées à la fin du printemps sans même avoir déposé d’offre finale ou avoir répondu aux dernières propositions syndicales.

« Nous avons déposé des propositions syndicales le lundi 10 septembre en après-midi, explique le président du Syndicat des employées et employés professionnel(le)s de bureau (SEPB 574-FTQ), Christian Léonard. Le lendemain soir, tout le monde a reçu un appel téléphonique pour nous annoncer que nous étions en lock-out ». Les 130 représentant·e·s aux ventes touché·e·s assurent la vente de publicités pour les plates-formes digitales et papiers de Pages Jaunes. Ils et elles ont répliqué le jeudi 13 septembre en votant un appui à 92% pour une grève générale illimitée.

Les syndiqué·e·s ont commencé leurs moyens de pression le lundi 17 septembre en manifestant et en distribuant des tracts au rez-de-chaussée de l’immeuble où se situent leurs bureaux à Montréal. Alternative socialiste les a rencontré·e·s.

Changement de ton
« C’est la tactique Trump », estime un syndiqué en parlant du style impulsif et autoritaire du nouveau PDG de Pages Jaunes solutions numériques et médias Limitée, David A. Eckhart. Nommé par le conseil d’administration de Pages Jaunes en 2017, Eckhart est reconnu pour avoir opéré une restructuration chez hibü, une multinationale de marketing numérique basée en Angleterre. Après avoir imposé un tournant numérique à la compagnie, la direction de Eckhart a supprimé plus de 300 emplois aux États-Unis en 2014 et délocalisé leur production en Inde et aux Philippines.

En janvier 2018, Pages Jaunes a annoncé un plan visant à supprimer environ 500 emplois au Canada, soit environ 18% du personnel. Cette nouvelle est arrivée au lendemain de la fin de la convention collective des représentant·e·s aux ventes, le 31 décembre 2017. La convention collective des employé·e·s de bureau se termine quant à elle en 2019.

Le président du syndicat reconnaît qu’il y a eu un « changement de ton » avec l’arrivée de Eckhart. « Il s’est fait voter une augmentation de 64% », souligne Léonard, ce qui a fait passer son salaire de 3,61 à 5,89 millions $/an. Malgré l’octroi de millions de dollars supplémentaires pour une seule personne, Pages Jaunes soutient que les suppressions de postes annoncées sont nécessaires pour améliorer ses résultats financiers.

Biffer le 2/3 de la convention
« Eckhart estime que la convention collective des vendeurs est un frein à la prospérité de Pages Jaunes, affirme Léonard. C’est une grosse farce! Les vendeurs sont son seul actif! » Selon le président du syndicat, la partie patronale voudrait biffer le 2/3 de la convention collective, dont les modalités du salaire variable. Les représentant·e·s aux ventes sont payé·e·s à la commission. La plupart de ces employé·e·s ont un salaire de base d’environ 25 000$ (qui représente environ 1/3 de leur salaire) auquel s’ajoute un salaire variable en fonction de leurs ventes. D’une part, l’employeur propose une certaine augmentation du salaire de base. En contrepartie, il veut retirer de la convention les modalités du salaire variable afin d’avoir un contrôle total sur l’affectation du travail ou l’appréciation de la performance. Comme l’a dit un vendeur en lock-out, des congédiements plus faciles et plus rapides!

Des attaques antisyndicales
D’après Léonard, l’employeur veut également supprimer des libérations syndicales, couper de moitié l’équipe de représentant·e·s syndicaux (de 14 à 6) et du 2/3 celle de l’équipe de négociation (de 6 à 2). « Même si nous sommes passés de 275 à 180 employés durant les dernières années, nous avions le même nombre de représentant·e·s syndicaux·ales dans les années 90 où nous n’étions que 150″, explique-t-il. Un syndiqué de la base rencontré lundi souligne que l’employeur réclame aussi que tous les messages du syndicat destinés aux membres passent obligatoirement par l’équipe des ressources humaines. L’employeur voudrait aussi pouvoir modifier les salaires des vendeurs et vendeuses selon un préavis de 10 jours. Une autre syndiquée signale que ces attaques antisyndicales s’ajoutent à une situation déjà tendue: près d’une centaine de griefs ont été déposés l’an dernier.

Retour à la table de négociation
Ce lock-out sauvage a pris tout le monde par surprise, d’autant plus que les parties ont fait appel à une tierce partie pour aider leurs négociations. « Nous sommes tristes pour les client·e·s, déplorent plusieurs syndiqué·e·s. Nous allons les appeler pour leur expliquer que nous sommes en lock-out et leur demander d’appeler l’administration ». Ces vendeurs et vendeuses demandent à leur client·e·s d’être solidaires de leur situation. « Attendez le retour des représentant·e·s aux ventes avant d’utiliser Pages Jaunes », ont-ils suggéré.

Le président du syndicat soutient que c’est maintenant à l’Employeur de faire preuve de bonne foi en revenant à la table de négociation.

Julien D.


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