L’indépendance du Québec et la lutte des travailleurs et travailleuses

Dans son article de Presse-toi à gauche1 sur l’indépendance du Québec, André Frappier place la lutte pour l’indépendance fermement dans le cadre de l’État Canadien. L’indépendance politique remet en cause l’existence de cet État en raison du poids et de la position du Québec au cœur même du Canada. Elle remet aussi en cause le rapport de force international de l’impérialisme canadien. Il n’y a que l’unité de la classe ouvrière pancanadienne contre toute forme d’oppression qui est capable de défier ce pouvoir.

D’une part, la question nationale est polarisée par le nationalisme réactionnaire et ethnique du PQ qui a remis aux calendes grecques un hypothétique référendum. D’autre part, un aspect progressif de la question nationale est exprimé par Québec Solidaire. Ce parti place l’indépendance au centre de son projet de société égalitaire, lequel ne peut pas se réaliser sans tous les pouvoirs d’un État indépendant. Le nationalisme bourgeois du PQ et de la CAQ représente la division et l’affaiblissement de la classe ouvrière du Québec et donc un renforcement de l’État fédéral.

Il n’est pas déterminant que plusieurs se soient détourné·e·s de l’indépendance, écœuré·e·s par la xénophobie de la CAQ et du PQ néolibéraux. La question nationale est beaucoup plus large que la politique du PQ. Ce qui détermine l’importance de la question nationale, c’est la lutte des classes. André Frappier a bien souligné le fait que la lutte de la classe ouvrière au Québec et dans le reste du Canada suit des directions et des rythmes différents.

L’interrelation oppression nationale/oppression de classe

Résultat de la lutte contre l’oppression nationale, la lutte de la classe ouvrière québécoise a été plus intense qu’ailleurs au Canada. Cela explique les gains sociaux plus importants au Québec et place la section québécoise de la classe ouvrière canadienne à l’avant-garde.

La lutte contre l’oppression nationale au Québec est le maillon faible de l’État capitaliste canadien. La lutte de la classe ouvrière pour le pouvoir politique au Canada s’exprime à travers la lutte pour l’indépendance politique du Québec. La classe ouvrière québécoise souffre toutefois de l’absence d’un parti politique qui représente et se bat exclusivement pour ses intérêts. Dans le contexte actuel, Québec solidaire peut constituer un premier pas dans la construction d’une telle alternative politique de classe.

La nécessité d’un parti de classe

Un parti de masse dédié aux intérêts des travailleurs et travailleuses est essentiel pour leur permettre de passer à l’offensive, et pas seulement à résister à la puissance des capitalistes et de leurs politicien·ne·s. La lutte contre l’oppression nationale au Québec est le chemin par lequel les masses laborieuses peuvent réaliser leurs intérêts de classe et la nécessité de lutter aussi bien contre l’État fédéral que l’État provincial capitaliste.

Les nationalistes capitalistes du PQ et du Bloc québécois sont conscient·e·s de cette dynamique. La situation en Catalogne le prouve. Ces personnes savent que menacer les assises du pouvoir impérialiste canadien exigerait une lutte de masse qui les dépasse. C’est pour cette raison que les nationalistes conservateurs du Bloc ont quitté leur parti dirigé par Martine Ouellette. Dans les faits, le PQ autant que le Bloc et ses dérivés ont abandonné la lutte contre l’oppression nationale au profit de privilèges pour le Québec inc. qu’ils représentent.

Crise du capitalisme et remontée de la question nationale

Un article de La Riposte2 tente de montrer que la revendication pour l’indépendance politique du Québec (la séparation) sert à diviser la classe ouvrière du Canada. L’article met de l’avant le tournant à droite de la bourgeoisie nationaliste et la montée de la xénophobie qu’elle alimente. La baisse d’appui à l’indépendance dans les sondages serait quant à elle un indicateur d’une meilleure unité de classe. Cette position erronée est alignée sur l’approche stalinienne traditionnelle de la question nationale, qui méconnaît le rôle de la conscience nationale dans l’élévation de la conscience de classe3.

En réalité, la crispation identitaire des nationalistes bourgeois·es reflète l’accentuation de la polarisation de classe. La question nationale resurgit constamment des crises du capitaliste. Depuis la crise de 2008, il y a une remontée de la lutte des classes au Québec, notamment à travers la lutte aux mesures d’austérité (2012, 2015) ou aux violences faites aux femmes. Il y a une nouvelle affirmation nationale des Premières nations et sa reconnaissance par la gauche. QS réaffirme aussi son nationalisme de gauche concernant l’indépendance du Québec. Au niveau international, la crise du capitalisme a entraîné la résurgence de la question nationale couplée à une lutte contre l’austérité notamment en Catalogne et en Écosse.

Un enjeu pour toute la classe ouvrière canadienne

Dans le contexte de l’État canadien, les travailleurs et les travailleuses du Québec en lutte contre le capitalisme expriment leur aspiration au pouvoir politique par le contrôle indépendant de leur propre nation. La lutte pour l’indépendance politique du Québec exprime de façon explosive la remise en question du pouvoir impérialiste dans tout le Canada. C’est donc un enjeu pour toute la classe ouvrière canadienne. L’indépendance du Québec est une lutte concrète pour l’unité de la lutte de la classe ouvrière canadienne. Elle seule a la capacité de relever l’immense défi du pouvoir.

La principale force de la classe ouvrière, c’est de solidariser toutes ses forces vives autour de luttes concrètes. En vue des prochaines élections, cette unité peut se construire en partie grâce à QS. Ultimement, cette solidarité ne peut se faire qu’avec un parti de masse des travailleurs et travailleuses du Québec qui dirige la lutte pour l’indépendance. L’actuel virage à gauche dans le discours du PQ est une tentative d’éviter à tout prix cette unité autour d’un projet de pays qui n’aurait pas le PQ aux commandes.

Menace ultime au capitalisme canadien

Le capitalisme actuellement en crise continuera d’exacerber les contradictions et les conflits de classe, dont l’oppression nationale est une des caractéristiques. Comme le soutient André Frappier dans son article, cette situation souligne la nécessité pour la classe ouvrière pancanadienne de soutenir non pas seulement l’autodétermination du Québec, mais la lutte pour son indépendance politique comme moyen de renverser l’État impérialiste canadien. Aucune lutte ne menace davantage le capitalisme canadien que celle pour l’indépendance du Québec. Cette indépendance sonne toutefois faux si elle n’est pas couplée à la reconnaissance du droit des Premières nations à l’autodétermination, allant jusqu’à la séparation, et appuyée par les travailleurs et travailleuses du Canada anglais.

Nous devrions porter une attention particulière aux luttes pancanadiennes qui visent directement l’État fédéral. C’est le cas de la lutte contre l’oléoduc Kinder Morgan. Ottawa est bien décidé à l’imposer au nom de l’intérêt national, avec l’argent de la population, sur le dos des Premières nations, de la Colombie-Britannique et du climat. Ce type de lutte permet de construire les bases concrètes de l’unité de tous les secteurs de la classe ouvrière canadienne, tout en respectant l’autodétermination de chacun·e.

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L’indépendance permet-elle l’émancipation?, André Frappier, Presse-toi à gauche!, 27 février 2018
La question nationale et la lutte des classes au Québec, Joel Bergman, La Riposte socialiste, 12 janvier 2018
3 Cette position explique en partie la scission importante qu’a connue la Tendance marxiste internationale (TMI) en 2010, lors de laquelle près de la moitié de ses membres est partie. Les sections espagnole/catalane, mexicaine et vénézuélienne ont quitté notamment sur la base d’une critique de la position erronée de la direction sur la question nationale en générale, basque en particulier.


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